Se réveiller

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TW hôpital, transphobie, mention de thérapie de conversion

Noor

Sam est réveillé !
Un cri de joie bourdonne contre mes lèvres, mais je me retiens pour respecter le silence lourd d’hôpital qui m’engloutissaient comme des sables mouvants. Sam est vivant. Sam est revenu.

Mes jambes en tremblent. Nora a immédiatement appelé une infirmière, et celle-ci nous a gentiment poussé vers la sortie le temps d’évaluer l’état du malade. Je m’assied sur un banc dans le couloir, le temps d’assimiler la bonne nouvelle. Mes épaules se détendent, rendues douloureuses par des jours et des jours de pression continue. Nora est sortie de la salle d’attente pour prévenir les autres, et moi je retiens un rire de soulagement entre mes dents. Je souris béatement sans même m’en rendre compte. Sam est revenu à lui ! C’est comme si un souffle frais avait soudain chassé le brouillard d’angoisse qui embrumait mes pensées depuis la disparition de mon ami. Sam est réveillé.

Nora

Pas de réponses de Zahid. Je lui laisse un message, espérant qu’il le verra à la fin de la cérémonie. Il valait mieux ne pas déranger son après-midi. Anis en revanche répond présent. Sa voix se casse en un sanglot de soulagement quand il apprend l’évolution de la situation. Il s’en voulait toujours énormément de l’avoir laissé seul ce soir-là. “J’arrive tout de suite”, qu’il dit.

Je retourne à l’intérieur chercher Noor. Le temps que les visites soient ouvertes, nous avons le temps de faire un petit tour pour prendre l’air et de nous restaurer. Il est déjà quatorze heures et veiller en silence dans les sièges inconfortables de l'hôpital est bien plus fatigant que cela en a l’air.

Nous marchons dans les rues d’un pas léger, soulagé.e.s du poids sourd qui pesait dans notre torse depuis des jours et qui engourdissait nos pensées. Noor a un air si joyeux qu’elle en attendrirait les pierres. Sous le soleil doux du mois de mai, elle s'enthousiasme. M’explique les plans qu’elle allait mettre en place dès que Sam pourrait à nouveau se joindre à elle. Elle a hâte qu’il voit les cadeaux amenés par ses proches, elle a hâte de l’accueillir à nouveau au sein de notre groupe, et je sais qu’elle a hâte de pouvoir le serrer à nouveau dans ses bras, laissant son coeur s’emballer en secret dans sa poitrine, se grisant de l’incertitude qui entoure leur relation.

Nous nous arrêtons à un food-truck pour y prendre un panini et une petite canette de soda, et nous mangeons sur un banc proche J’ai mis mes boules quies pour éviter d’entendre trop fort le bruit du trafic, qui a toujours eu le don de me tendre. Noor dévore son repas à une vitesse folle, ce qui me fait sourire. Je lui fait signe de s’asseoir et de se calmer. Elle finit par accepter. Un rayon de soleil se pose au creux entre son cou et son épaule, soulignant sa peau ambrée d’une caresse douce. Elle joue avec les plis de sa jupe pour contenir son excitation.

Je termine mon panini un peu plus rapidement que d’habitude, l’enthousiasme de Noor étant contagieux.

Ma joie m’avait toutefois fait oublier un détail, et quand nous arrivons dans la salle d’attente, je ne peux retenir une grimace À notre place se tenaient une dame rousse et ronde et l’homme qui semble être son mari, cheveux gris sur un air sévère.
Les parents de Sam sont là et mon sang bouillonne soudain d’une rage si pure, si concentrée que j’ai l’impression qu’elle va quitter mon corps pour agir par elle-même. Je serre les poings et m’avance vers eux sans hésitation.

Zahid

J’ai hésité avant de venir, tenant à finir mon deuil en paix. Mais c’était le réveil de Sam. Notre Sam. Mon petit protégé énervé.

Alors j’ai pris la voiture et j’ai roulé jusqu’à l’hôpital, Mia m’indiquant le chemin. Nous ne savions même pas si nous pourrions le voir le jour-même, étant donné que Noor et Nora veillaient déjà sur place au moment de l’annonce. Quatre visiteurs, ça risquait de faire beaucoup.

Nous avions ramené du chocolat et un jus de pomme. Mais quand nous arrivons à la salle d’attente, au lieu de la joie et de l’excitation que nous attendions, c’est un silence lourd qui nous accueille. Noor et Anis sont seul.e.s, et ils ne sont pas dans la chambre de Sam. Leur expression est grave.

-Bah alors, qu’est-ce qu’il se passe, vous deux ? demande Mia d’une voix inquiète.

Noor grimace et Anis nous lance un sourire un peu crispé, un peu las.

-Nora a croisé les parents de Sam, lâche Noor dans un soupir. Elle avait… Beaucoup à leur dire.

Il hausse les épaules d’un air déconfit.

-Du coup elle s’est fait virer de l’hosto pour le moment, ajoute-t-il finalement. Et les parents de Sam sont dans sa chambre.

Je grince des dents et observe la moue alarmée de Mia figer son visage en une drôle de grimace. Je ne dois pas avoir l’air bien fin non plus ; l’inquiétude de savoir Sam face à face avec ses parents me tends.

-...Elle a dit quoi de si grave, Nora, au fait ? demande Mia après un temps.

-Honnêtement ça n'a pas duré longtemps, la sécurité est intervenue vite. C’était un discours assez décousu. Ele leur a cité les études montrant la diminution du taux de suicide si les parents soutiennent leur enfant trans, ce qui est pertinent, mais elle les a aussi invité à “mettre leur énorme transphobie au fond de leur cul”, ce qui est déjà moins… professionnel, répondit Anis, qui ne peut retenir un air un peu satisfait en racontant l’anecdote.

Je soupire. Oui, c’était bien la Nora que je connaissais, en effet. Pas de regret cependant. Moi non plus, je ne portais pas non plus les parents de Sam dans mon coeur.

Leur visite ne dura pas bien longtemps. Les parents sortent ; l’air mécontent du père et les yeux humides de la mère me satisfont secrètement. Je n’accorde pas une grande importance à leurs état d’âme.

Ce fut notre tour. “Pas plus d’une demi heure”, nous dit une jeune infirmière à lunette en nous ouvrant la porte.

Sam était allongé sur le dos, toujours perfusé, pâle comme jamais, mais vivant. Il esquissa même un sourire un peu piteux en nous voyant entrer.

Immédiatement, Noor s’assis à côté de lui délicatement, en faisant attention à ne pas le pousser.

-Je peux te faire un câlin ? demande-t-elle

Il sourit et répond d’une voix un peu cassée :

-Je suis blessé, je suis pas en sucre. Viens.

Nous restons debout dans l’embrasure de la porte, n’osant trop rompre ce moment d’intimité. Quand ils relâchent leur étreinte, nous nous approchons. Sam nous sourit.

-Ca fait plus plaisir que de voir la tête de mes darons, quand même. Je vous jure j’ai failli faire demi-tour et retourner vers la petite lumière blanche quand j’ai vu le comité d’accueil.

Un rire un peu nerveux échappe à l’assemblée.

-Trop tôt ? Pardon, je viens de me réveiller, dit-il d’un ton léger, visiblement assez fier de sa blague malgré tout..

Sa voix est rauque et un peu basse, il parle lentement, mais il parle.

-Ils t’ont dit quoi tes parents ? demande Noor. Ça avait l’air agité comme visite.

Sam laisse échapper un long soupir et lève les yeux au ciel.

-Ils m’ont proposé de me payer une sorte de retraite chrétienne censée me “guérir spirituellement” de ma transidentité. Du coup, je leur ai dit que je partais définitivement de la maison. Ma mère a eu l’air triste, mais mon père m’a dit de bien me débrouiller et qu’il mettrait mes affaires devant la porte pour que je les récupère. Franchement, je m’inquiète surtout pour Val. L’ambiance est vraiment pas bonne à la maison, j’ai pas envie de l’abandonner.

Je sens très vite une colère froide s’installer dans la pièce alors que chacun tentait de faire sens de ce qui venait d’être dit.

-Quoi ?
-Connards ! Comment ils peuvent…

-Les enflures, à leur propre enfant…

-Merde quels irresponsables !

-C’est pas illégal ça ?

Les conversations fusent en simultané. Sam hausse les épaules et apaise un peu le brouhaha ambiant d’un geste de la main.

-C’est surtout mon père, ma mère le suit… Elle a même proposé de me faire héberger par des tantes de la famille, mais bon, ils sont tous construit un peu pareil spirituellement alors je préfèrerai trouver autre chose.

-T’auras toujours une place au squat, tu sais, lui dis Anis. Cette fois-ci, je ne te laisserais pas seul.

-Ah non ! Vous allez pas commencer à me fliquer hein, vous êtes pas des infirmières ! Laissez-moi vivre, je peux me débrouiller, regarde je suis en vie.

La conversation continue. Pour ne pas rompre le calme de l’instant, elle se fait d’une voix feutrée et douce, d’un ton qui glisse sur le silence ambiant plutôt que de le briser. Mia et moi lui offrons le canapé du salon pour qu’il ait provisoirement un toit, et nous lui proposons de prendre la voiture pour l’aider à ramener ses affaires. Noor, elle, passe sa main dans la tignasse rousse de Sam machinalement.

Sam prend le temps de remercier chaque personne présente pour leur cadeau. Celui de Théodore, une petite enceinte bluetooth, lui tire une petite moue. Il soupire et se résigne.

-Ok; filez-moi son numéro, je vais le remercier en personne…

“Fais chier”, semblait-il dire. C’est difficile de ne pas aimer Théodore, même quand on est jaloux comme Sam.

La visite passe à une vitesse effrayante. L’ambiance est chaleureuse, des petits rires fusent, tout le monde se blottit dans ce cocon paisible avant de retourner affronter la vie.. Puis, quand Sam montre les premiers signes de fatigue, nous partons.

Encore quelques jours et il pourrait sortir. Il a eu de la chance.

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