Se remettre

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Sam

Le sol lisse de l’hôpital chuinte sous les semelles en plastique de mes baskets. Je laisse glisser ma main le long du mur donc le blanc éclatant irrite ma rétine. Le silence du couloir est assourdissant, brisé seulement par les bruits diffus d’appareils électriques. Je retourne dans ma chambre.

Je la partage avec Annie, une dame d’environ 70 ans dont la tête est courronnée d’une masse de cheveux gris et blanc. Petite, un peu trapue, elle a un sourire communicatif, avec des dents manquantes. Ses doigts un peu tordus pianotent en permanence le bord des tables, des lits, des murs, et son corps entier est plein de petits tics incongrus qui, dans la vie quotidienne, doivent lui attirer bien des regards. Mais ici, tout le monde est bizarre et cassé, alors elle avait trouvé sa place. Sa générosité et son empathie font d’elle la grand-mère honoraire de notre groupe : c’est un peu notre mascotte, aux jeunes de l'hôpital.

Elle me salue avec un grand sourire quand j’entre dans la chambre. C’est dur d’imaginer en la voyant ainsi l’ampleur des psychoses qu’elle combat. Dans les coins de sa vision rôdent des ombres impalpables aux formes plus ou moins nettes, des hommes et des femmes et d’autres créatures inquiétantes qui parfois envahissent son champ de vision et la laisse démunie face à une menace qu’elle seule perçoit. Alors, il est facile de tomber dans la paranoïa, les délires prenant peu à peu de plus en plus de place dans sa vie, l’isolant alors irrémédiablement du reste du monde. Aujourd’hui, ses traitements la soulagent la majorité du temps ; elle reste pour ajuster les doses et finir de mettre à jour sa prescription.

-Bonjour mon scarabée, qu’elle me dit. Tu as bien mangé ?

Je hausse les épaules. Mes médicaments me coupent l’appétit, ce qui rend difficile le fait de s’alimenter. Elle me tapote l’épaule maladroitement.

-Déjà, tu as mangé. C’est un progrès.

C’est vrai. Au début, je n’arrivais même pas à descendre à tous les repas. Maintenant, j'arrive à descendre trois fois par jour pour m'alimenter.

-Merci Annie. Tu devrais y aller, le deuxième service va commencer.

Elle acquiesce et me salue avant de descendre au repas. Je me laisse tomber dans mon lit, épuisé. Les médicaments tapent fort, surtout les premières semaines quand tout doit être réajusté. Je ferme les yeux. Cette après-midi, Noor venait me rendre visite. Mais en attendant, j’allais dormir un peu.

Noor

Sam a pas l’air très réveillé quand il me rejoint dans la cafétéria de l'hôpital. Les médicaments le fatiguent encore. Je m’installe avec lui dans un coin de la pièce, dans le bourdonnement doux des discussions que les autres patients avaient avec leurs visiteurs. J’avais ramené des jeux de société, et ma guitare aussi.

Dans son t-shirt à manche longue trop grand et son jean baggy, il s’étale sur sa chaise, il prend de l’espace. Il a coupé ses cheveux roux pour adopter une coupe plus masculine, et il passe sa main dans ses boucles à intervalle régulier, comme pour vérifier que rien n’avait changé. Il s’est acheté quelques vêtements aussi, des trucs qui lui plaisent. Depuis qu’il ne dépend plus de ses parents, il est plus libre d’expérimenter avec son style, et ça se voit que ça lui fait du bien. Il est plus assuré.

On fait un uno. Un moment, une de ses amies s’est jointe à nous, Annie, je l’avais déjà vu une ou deux fois. Elle nous a accompagnés pour un ou deux rounds avant de s'éclipser faire une sieste. Y’a deux trois jeunes qui sont passés aussi, ils ont salué Sam avant d’aller fumer une cigarette dehors. Il a l’air bien intégré.

Sam fume beaucoup. Un effet secondaire de la clinique, ou le temps s’écoule à petits pas, donnant de multiple occasion de céder à la tentation d’une pause clope, mais aussi une tentative de compenser le cannabis qu’il ne peut plus fumer. Même le CBD c’est interdit ici. Alors il les enchaîne un peu, essayant d’apaiser le manque avec les moyens du bord. Je viens avec lui. Le temps est doux ; le soleil donne des reflets moirés aux boucles de Sam et je le dévore du regard. J’ai eu si peur, chaque instant que je passe avec lui est un petit miracle.

Entre deux sorties, je m’installe dans une chaise avec ma guitare. J’ai la gorge sèche et l’estomac noué. J’ai une chanson pour lui. J’entonne, la voix un peu tremblante :

Wherever you are

Whatever you’ll do

I’ll be next to you,

I’ll be proud of you.

I hope you make the weird choice,

I hope you make the wrong choice,

I just hope you make a choice that’s yours

As long as you are you, I’ll be with you

I love everything you do,

I’ll love anything you’ll be

If I could be someone to you,

I’d feel special, I’d feel free

Wherever you are

Whatever you’ll do

I’ll be next to you,

I’ll be proud of you.

Your freckles are my constellation,

My love is in perpetual extension,

I want no other space than the one you’re in,

No other spaceship than the one we live in

And I love all the things you do,

I adore the life we’re in

I can’t wait to see what’s next

‘Cause I’ll live it next to you

Wherever you are

Whatever you’ll do

I’ll be next to you,

I’ll be proud of you.

La chanson s’achève sur un accord mineur. J’ai les joues rouges et le regard fuyant, alors je ne vois rien venir. Sam a pris ma main. Sam a caressé ma joue, guidant mon visage vers le sien. Et Sam m’a embrassé.

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