xoxo

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Il est de ces décès dont on ne se remet pas. Le mort emporte avec lui cette part de vous qui riait aux éclats, mais aussi celle qui avait pris des automatismes et autres habitudes vous tirant parfois des soupirs exaspérés une fois le dos tourné.


Dans la vie, on avance en terrain conquis. C'est normal de respirer, c'est normal de ressentir, de boire, de manger. Toutefois, il arrive ce moment que tous affrontent, où la perte de l'autre survient de façon tellement brutale un jour où l'on pensait que tout allait bien, qu'on regarde ce trou se former du côté gauche de la poitrine avec des yeux exorbités. La chair commence par tirailler, à picoter jusqu'à ce qu'elle se déchire, petit à petit, pour ne laisser qu'un gouffre béant dans lequel on y passe aisément le poing.


Souvent, cet état physique est accompagné d'une incapacité à parler, voire à pleurer. C'est la sidération la plus totale, et l'incompréhension aussi, qui s'installent jour après jour, malgré les explications qu'on vous donne pour justifier qu'un corps ne bouge plus ; qu'on ne reconnaît pas ce visage que vous avez sous le nez ; que non, ces yeux ne se rouvriront pas malgré tous les efforts consentis.


Le vieux cœur allait pourtant très bien. Les poumons aussi. Et il n'était pas impossible qu'après une deuxième anesthésie, cette vieille carcasse en surpoids qui gisait devant vous décidait curieusement de faire de la résistance afin de défier toutes les statistiques et d'émerger à nouveau de son sommeil léthargique. Le problème, c'était les viscères. On en avait déjà enlevé une grande partie – ce qui occasionnait quelques complications au quotidien – mais il en restait suffisamment pour la survie. Seulement, alors que tout le reste était en parfait état, cette dernière masse de boyaux entortillés était émaillée d'une multitude de trous microscopiques, signes dramatiques d'un organe qui se désagrégeait sans possibilité de retour en arrière.


L'heure était donc venue pour notre première tragédie. Oh, on en avait vu passer quelques-unes, et parmi elles, des qui vous fendaient le cœur et vous tiraient des larmes de tristesse et de compassion. Sauf que celle-ci, elle faisait mal comme une toute première fois, et elle avait le goût âcre du temps qui passe, de la réalité d'un monde où certains naissent et d'autres trépassent.


Le plus simple sur le moment fut d'analyser. C'était normal. Après tout, quatre-vingt ans, n'était-ce pas un âge honorable ? Fallait-il vivre cent-vingt ans pour qu'on puisse dire que la personne avait bien profité ? Certainement pas. On la laissa donc partir, retenant les torrents humides qui bordaient les paupières pour pouvoir soutenir ceux qui n'y arrivaient pas. Ce fut difficile, mais on arriva tout de même à tirer quelques sourires, et même des rires à l'évocation de souvenirs tendres et parfois drolatiques.


Puis les jours passèrent, les semaines aussi, durant lesquels on reçut de bonnes nouvelles, certaines plus mauvaises, ignorant royalement cette douloureuse pression dans sa cage thoracique, pour finalement se rendre compte en ce début d'année qu'un trou s'y était formé et qu'il était devenu compliqué de ressentir.


Les yeux tout secs, la bouche aussi, et malgré les bonnes résolutions, une impression de vide plus effrayante qu'elle ne l'avait jamais été. Est-ce qu'on allait passer le reste de notre vie comme ça, à triturer les bords asséchés de ce trou terriblement parfait en se matant dans la glace ? D'autant plus qu'on avait beau essayer de le cacher par des couches et des couches de vêtements informes, cet importun les carbonisait, reproduisant avec une précision déconcertante ce cercle qui vous brûlait la peau et alors là, tout le monde voyait.


Oui, ils voyaient, comme c'était vide à l'intérieur, comme il n'y avait rien et que ce rien vous rendait honteuse de n'avoir plus rien d'humain. Les petites choses vous semblaient trop grosses, et les grosses vous les ignoriez ; et le moche devenait beau, et le beau vous le dégommiez, à coups de crosse, à coups de cutter et coups de scalpel mal maîtrisés. Vous lui sautiez au visage, au beau, et vous le griffiez de toutes vos forces pourvu que ça saigne, que ça dégouline, que quelqu'un finisse par vous dire que ça suffisait.


Et ça suffisait. Le temps de nettoyer les plaies, d'y remettre des pansements, et d'observer encore une fois le soleil se lever à l'horizon.

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