11. Début de soirée

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Un jour sans voir Arcan, c’était aussi long que reposant. J’avais les idées plus claires, et je me sentais plus facilement capable de prendre de la distance par rapport à mes émotions. Ma mère et moi faisions comme d’ordinaire, sans beaucoup nous parler, ni revenir sur la discussion de la veille. Elle me déposa un peu plus tôt que prévu, mais ça m’arrangeait de passer du temps avec Arcan. De surcroit, sa cabine de douche était grande, plus lumineuse que celle de chez nous. C’est donc avec ma trousse de toilette que je montai les marches. Il avait laissé la porte entrouverte, alors j’entrai, puis refermai derrière-moi.

— Je suis dans la salle d’eau.

Je traversai le salon puis le couloir jusqu’à la pièce tout en longueur. Il était torse-nu, juste habillé d’un pantalon de jogging, en train de colorier ses yeux. Je parcourus sa musculature du regard et détournai les yeux quand il se retourna en me saluant.

— Bonjour

— J’ai pris ma trousse de toilette.

— La douche est à toi.

Je défis mes lacets, puis ôtai mes chaussettes. Comme si je m’étais déshabituée, j’eus un petit sentiment de timidité en baissant mon pantalon avec ma culotte. J’abandonnai les lunettes, dévêtis mes épaules, abandonnai mon sweat-shirt au sol, recouvert de mon soutien-gorge avant de gagner la cabine encore humide. Mes cheveux une fois attachés en chignon, je mis l’eau déjà chaude à couler.

Il se tourna vers moi et ramassa mes vêtements pour les plier un à un et les poser sur la chaise. Lorsque je coupai l’eau, il me regarda me savonner. Bien que je visse flou, je devinais qu’il avait son regard scrutateur dépourvu de vice. Je rinçai ma peau sans attendre, puis ouvris la porte de la cabine. Il me tendit une serviette propre. Lorsque j’avançai sur le tapis de bain, il me frotta les épaules. Surprise, je me laissai faire. Il s’assura qu’il ne restât aucune goutte d’eau sur mon buste.

— Lève les bras.

Je lui offris mes aisselles, et il poursuivit sur mes hanches. J’écartai un peu les pieds, le laissai passer la serviette entre mes cuisses, réveillant l’appétit que j’avais réussi à endormir. Je lui présentai la plante des pieds, et il replia la serviette avant de la suspendre. Je lui dis :

— Merci.

— Je veux que la peinture tienne.

— D’accord.

— Remets tes lunettes.

J’obéis et je le suivis, nue, dans l’atelier. Il se saisit d’une bombe et procéda à l’opération de peinture. Les bras parallèles au sol sans qu’il ne me le demandât, j’attendis patiemment qu’il me recouvrît complètement. Sans avoir les yeux bandés, c’était moins amusant. La peinture qu’il utilisait était noire, et il se dépêcha pour qu’elle n’eût pas le temps de sécher. Il commença à l’enlever avec des torches de tissus, sans me faire ressentir la même excitation que la première fois. Même quand il passa sur mon entrecuisse, je n’avais pour sensation que ma concentration à rester immobile. Il utilisa une dizaine de chiffons nuançant ma peau d’une noirceur d’apparence naturelle. Puis, il utilisa le pinceau. Le premier pour diluer et créer des effets de coulure sur mes joues et quelques autres endroits. Le second pour perfectionner les dégradés de noir sur des zones où la peinture avait séché trop vite, et formait des marques trop franches. Il y passa une bonne demi-heure, calme, concentré, sans dire un mot. Je n’osais pas bouger, ni dire un mot de peur de le troubler. C’était le grand soir, chaque chose devait être parfaite. Je fus soulagée quand il rangea ses pinceaux et je fis quelques pas pour me dégourdir les jambes.

— Tu peux te rasseoir, les fesses sont sèches.

J’étendis mes jambes avec soulagement et il passa derrière-moi. Il détacha mes cheveux, les brossa, refit mon chignon en y emmêlant l’accroche de la tignasse de câbles de freins et de chaînes de vélo. Ensuite, il s’agenouilla et il me chaussa, avant de peindre méticuleusement mes ongles de pieds. Il répéta l’opération en me gantant. Le collier une fois serré, il m’invita à me lever. Il me regarda avec attention, appliqua le lipstick noir, sembla satisfait, puis me dit :

— Rassieds-toi, je reviens.

Il s’éloigna, et je le regardai par-dessus mon épaule, dos à moi abaisser son pantalon et son sous-vêtement. Il avait des fesses magnifiques. Il enfila des chaussettes puis un cycliste avant le pantalon. Sans se retourner, il dit :

— Je parie que tu te rinces l’œil.

— Vous ne me l’avez pas interdit.

Le pantalon fermé, il agrafa le pagne de métal avant d’enfiler sa tunique sans manche. Il coiffa la cagoule et le chapeau, ensuite il se tourna vers moi, tout en mettant ses mitaines avec des bras d’armes. Il saisit le bâton sur lequel pendait ma laisse enroulée. Il s’approcha, alors je levai le menton pour lui laisser accès à l’accroche. Il sourit :

— Quelle docilité ! Tiens-le bâton.

Je me levai et empoignai l’accessoire. Il toucha mes biceps pour s’assurer que la peinture avait séchée, puis m’enveloppa les épaules dans une grande cape de fourrure. Il prit ma cagoule en latex et me dit :

— Je te laisse tes lunettes pour descendre les escaliers.

— C’est gentil.

Je le précédai dans les escaliers, reliée au bâton par la chaîne, puis nous sortîmes dans la rue. Les regards des badauds m’ignorèrent, préférant observer son costume. C’était un peu étrange. Moi, hormis ma queue de cheval, je n’avais l’air que d’une suceuse de fric en manteau de fourrure. Il s’arrêta devant une Lotus Elise noire.

— C’est votre voiture ?

— Les façonneurs paient bien, et je n’ai pas de femme à entretenir.

Il m’ouvrit la portière, cala le bâton, alors je m’assis avec difficulté, en me demandant si c’était un homme qui préférait le célibat ou s’il recherchait quelqu’un. Il ôta son chapeau avant de prendre place et me dit une fois que nous fûmes enfermés :

— Les poupées n’ont pas le droit de connaître l’adresse.

J’opinai en retirant mes lunettes, le cœur battant, et il se pencha vers moi. Ses pouces plaquèrent délicatement le masque sur mes yeux. Je l’entendis attacher sa ceinture, puis il démarra.

Le trajet fut long, et les accélérations m’indiquèrent que nous partions loin de la ville. Arcan restait silencieux, tenaillé par la crainte d’être mal reçu. Il ne le disait pas mais son silence parlait pour lui. La passion l’avait rendu bavard tout le long de la préparation. Il se refermait car le sort en était jeté, et qu’il n’y avait plus qu’à attendre le verdict. Je pensais aux heures d’exhibition qui se rapprochaient, sans crainte d’être nue tant qu’il était avec moi. Ma seule angoisse était la présence de ma mère, car elle était la seule qui connaissait mon nom, la seule à-même de juger ma personne, en plus de mon apparence. Pour les autres, je ne serais qu’une poupée dont ils se fichaient de l’identité. Ils me regarderaient comme on regarde un tableau dans un musée. Ma mère me connaissait, de mon enfance à aujourd’hui, et ça me mettait mal à l’aise.

La voiture ralentit. Arcan arrêta le moteur et expira un coup sec. Il sortit et m’ouvrit la porte. Mes talons s’enfoncèrent dans du gravier. Il me tint le bras de la main gauche, son bâton dans la main droite. Je marchai malgré-moi sans parvenir à trouver la posture orgueilleuse. Il s’arrêta et salua :

— Bonsoir

Une voix rauque demanda :

— Bonsoir. Votre nom ?

— Arcan.

— Poupée Muse ?

— Oui, répondis-je.

— Suivez-moi.

— Escalier montant, murmura Arcan. Trois marches

Je grimpai puis mes talons résonnèrent dans un hall immense.

— Vestiaire numéro 4.

Arcan m’entraîna en direction de la pièce. On ferma la porte derrière-nous. Un bruit de store en bois roula et une voix féminine nous accueillit :

— Bonsoir.

— Bonsoir, répondit Arcan.

— Quel beau costume. Très original.

— Merci. Comment ça se passe ?

— Nouveau ? Je prends les manteaux, les sacs, tout ce dont vous avez besoin de vous séparer. Et je mets à disposition les glaçons pour durcir les tétons.

— Ça ne sera pas utile.

Il retira mon manteau, me laissant un frisson. La chaleur de la fourrure en moins, mon corps exposé aux regards. Je ne savais pas ce qui me mettait mal à l’aise. La fille dit :

— Ah ! J’aime beaucoup !

— Merci, répondit Arcan.

— À quel nom ?

— Muse.

— C’est joli. Ça va faire du bien, quelques nouvelles têtes. Je vous laisse faire les retouches dont vous avez besoin. Dès que c’est fait, j’active le profil de Muse sur l’appli je vous ouvre l’accès à la grande salle.

— Vous êtes très charmante. Il n’y aura pas besoin de retouche.

Je frissonnai, un peu jalouse de l’amabilité qui sonnait comme une drague à mes oreilles. Qu’elle trouvât la tenue jolie me rassurait un peu. J’entendis un déclic d’appareil photo de smartphone ou de tablette.

— Voilà, Muse est activée, et le vigil a confirmé votre arrivée, vous êtes donc en compétition. Vous avez votre téléphone ?

— Hmm, approuva Arcan.

— Je vous explique comment ça marche. Voyez, vous avez les portraits de toutes les poupées. Vous êtes lié à Muse, donc elle apparaît ici, et vous ne pouvez pas voter pour elle. Pour élire une poupée, il suffit d’appuyer et faire glisser son visage sur la colonne. Plus elle est haute, plus vous estimez que c’est la plus jolie. Il faut en élire minimum cinq, puisque ce sont elles qui peuvent faire gagner de l’argent à leur façonneur. Mais si vous voulez faire votre propre classement de toutes celles que vous croisez, vous pouvez faire défiler pour avoir accès à autant de rangs que vous voulez. C’est toujours des points qui peuvent jouer en leur faveur si d’autres les ont mises en tête du classement.

— Il y en a beaucoup.

— Selon les soirées, ça varie entre trente et soixante participantes. Ce soir nous avons quarante-trois poupées. Quarante-quatre car les jumelles Prune et Mirabelle comptent pour une seule. Vous pouvez intervertir les poupées, tout le long de la soirée. Si vous appuyez et faites glisser, elle va automatiquement décaler l’autre. Le classement se fige à vingt-deux heures. La poupée gagnante rapporte cinq mille euros à son façonneur. La seconde quatre mille euros, trois mille pour la troisième, deux mille pour la quatrième et mille pour la cinquième. Si vous avez des questions, toutes les hôtesses y répondront.

— Merci. On ne voit pas le classement au fur et à mesure ?

— Non. On ne voudrait pas que les gens s’influencent entre eux. On garde la surprise du classement final. Est-ce que Muse a un spectacle de présentation ?

— Non.

— Je vous ouvre la porte ?

Il inspira profondément, tandis que je sentais mon cœur se serrer. C’était comme s’apprêter à chanter pour la première fois devant sa classe toute entière. Mes mains et mes cuisses tremblaient malgré-moi. Arcan demanda :

— T’as froid ?

— Un peu.

— Ça se passera bien. Je ne lâcherai pas la laisse de la soirée.

— D’accord. Merci.

— Vous pouvez ouvrir.

— Je vous souhaite une excellente soirée.

La porte grinça, s’ouvrit sur un brouhaha vers lequel la laisse m’indiqua d’avancer. Les voix se turent, laissant la musique d’ambiance jazz arriver jusqu’à nos oreilles. Sous mes talons, je trouvai le feutre très léger d’un tapis. Le peu des photos que j’avais vues me laissaient imaginer la pièce et les couleurs. J’avais dû mal à réaliser que je m’étais laissée entraîner jusqu’ici. J’étais nue au milieu de plus de quatre-vingt personnes. Mon cœur galopait de panique entre mes côtes, cependant je restais digne, adoptant l’allure pour laquelle je m’étais exercée. La musique, en décalage complet avec notre look, créait un malaise, et j’étais heureuse d’être masquée pour ne pas que ça se lût. Quelques murmures me firent réaliser que plus nous avancions, plus nous étions encerclés. Les chuchotis, les odeurs, les respirations, me faisaient prendre conscience que nous étions proches les uns des autres.

Un homme à un mètre de moi me fit sursauter en prenant la parole :

— Quel audace !

— Merci, répondit Arcan.

La laisse se détendit alors je m’arrêtai. L’inconnu demanda :

— Voit-elle ?

— Non.

— C’est diablement inspirant.

— Merci.

— Je vous ouvre le chemin jusqu’au buffet.

La laisse me tira vers l’avant. Un autre homme nous interpella :

— Bonsoir.

— Bonsoir.

— C’est une idée remarquable, les chaînes de vélo.

— Merci.

— Je dois dire, déclara une troisième voix, que ce qui m’inspire le plus, c’est ce corps brûlant. C’est de la graisse ?

— De la peinture, répondit Arcan.

— L’effet est redoutable. On jurerait qu’elle glisse. On peut toucher ?

— Non, elle est intouchable.

La fermeté dans la voix d’Arcan me fit frissonner. Personne ne risquait de réitérer la demande. Ce trait de sa personnalité était rassurant, et le rendait doublement attirant. Une quatrième voix articula :

— C’est autant le châssis que la peinture qui est réussi.

— Très beau châssis. Un bas de caisse splendide.

— Joli châssis, approuva une des premières voix.

Il s’arrêta de marcher. J’entendis un murmure :

— Elle a des seins d’adolescente. Ça m’inspire beaucoup.

Une voix plus proche indiqua :

— Je viens de monter Muse en haut de mon top cinq. Puis-je avoir une photo de ma poupée avec la vôtre ?

— Bien entendu.

Je sentis une main légère se poser sur ma hanche, et le flanc nu d’une fille se presser contre le mien.

— Un petit sourire ?

Je fus incapable de me forcer au moindre rictus, mais il n’insista pas.

— Vous pouvez me l’envoyer ? demanda Arcan.

— Je cherche votre profil. Ah, voilà.

— Je cherche votre poupée. Je n’ai pas encore voté, je vais commencer par elle. Elle est vraiment ravissante.

— Nitroglycérine.

— Excellente, je l’ai.

— Bonne soirée, Arcan. Vous aussi.

La main de la poupée me quitta en glissant dans le creux de mon dos. Arcan me surprit en tirant la laisse et je me rattrapai hasardeusement avant de le suivre. Il m’approcha face à lui et murmura à mon oreille.

— Tout le monde te regarde. Si tu veux une flûte de champagne, opine une fois.

Je hochai de la tête, la gorge sèche et il interpella une barmaid.

— On va prendre quelque chose.

— Champagne ?

— Champagne. Deux verres. — Elle le servit. — Main droite.

Il mit une flûte dans ma main droite et je trempai les lèvres. Je ne savais pas si d’avoir les yeux masqués multipliait les autres sens, mais il me parût vraiment très bon. Arcan me murmura avec un sourire dans la voix :

— Ici, je crois qu’inspirant, veut dire bandant.

— Monsieur Arcan, salua la voix suave de ma mère.

— Madame Sculpturine.

— Si je ne connaissais pas ces taches de rousseur, je peinerais à croire que c’est elle.

— Je vous présente Muse.

— Joli nom pour une chienne.

Je connaissais assez ma mère pour y entendre de l’humour sans arrière-pensée. Arcan marqua l’hésitation puis répliqua :

— Elle ne vous répondra pas, si c’est ce que vous cherchez.

— Muette, aveugle et enchaînée. Je me demande comment elle s’est laissée convaincre.

— Elle partage ma vision.

— Je ne vois aucune vision d’élégance.

— Vous peut-être. Mais observez les regards des hommes autour de vous.

— C’est la soumission qui les excite, et je partage ce sentiment.

— C’est un tout, Madame Sculpturine. C’est un tout.

— En tout cas, vous voici parmi nous. Soyez le bienvenu.

— Merci.

— Bonne soirée.

— Également.

Arcan chuchota.

— Maman est très jalouse, ça dit combien tu as du succès. J’aurais bien mis le cul de ses deux poupées en seconde place sur le podium, mais je n’aime pas sa façon de te traiter. En tout cas, elle a du talent par rapport aux autres. Elle choisit le thème bidon de l’Egypte et elle arrive à faire d’elle et de ses deux poupées des bombes pour les yeux. Dans l’ensemble, c’est bien moins sophistiqué que je ne le pensais. Il y a du cosplay de mauvaise qualité, comme dans une convention. Au fond de la salle, Mario Bross se balade avec la princesse Peach. Elle porte un harnais rose à la place de la robe, mais elle a sa couronne et la perruque. C’est rigolo, mais c’est tout. Mario est gros et Peach a les seins lourds, ce n’est pas la plus belle de la soirée. Supposons qu’ils soient un couple exhibitionniste. Ta mère est en train de faire de la lèche à tous les façonneurs. On devrait en faire autant si on veut la battre.

J’étais curieuse de voir le résultat de ce que ma mère ébauchait dans notre salon. Le masque me frustrait autant qu’il m’aidait à me sentir protégée. Je me laissai entraîner en douceur par la laisse.

— Il y en a une autre sur le thème de la soumission. Pas de laisse. Elle porte juste un harnais, c’est tellement simple, et pourtant, très inspirant. On pourrait peut-être en faire un en chaîne de vélo. Je vais la mettre en seconde place sur l’appli.

— On parle tout seul ? demanda un homme.

— Je décrivais ce que je voyais à Muse.

— Je plaisantais.

— Peut-on faire une photo ?

— Volontiers

La poupée se colla de face contre mon flanc et sa bouche se posa à la commissure de mes lèvres. Me voyant rester immobile, son façonneur dit :

— Pas très câline.

— Pas habituée. Et je ne sais pas si les filles, c’est son truc, répondit Arcan.

Joueuse, la poupée caressa mon sein en murmurant :

— Dommage.

Elle s’éloigna. Un frisson me parcourut, composé de gêne et d’excitation d’être effleurée. . Ça m’avait surpris parce que je ne m’y attendais pas, et ça m’avait étonné car j’avais trouvé ça agréable. Arcan me dit :

— Si ça te dérange, préviens-moi.

Je haussai les épaules, car il fallait bien jouer le jeu. Tant que ça n’était que des effleurements, je survivrais. Il s’approcha de moi et murmura :

— Ça va ?

— Ça va, répondis-je.

— Une photo ? proposa un homme.

— Si votre poupée reste courtoise.

— Bien évidemment.

L’inconnue se posta à côté de moi et sa main descendit sur mes fesses. C’était à la fois délicieux de douceur et gênant de ne pas savoir de qui ça venait.

— Que de jolies filles, commenta un nouveau façonneur.

— Oui, je ne sais même pas pour qui voter, confia Arcan. On se demande où se cachent toutes ces poupées dans la vie civile.

— Un peu partout, mais on n’y prête pas attention, surtout aux moches.

— Je ne vois aucune moche, ici.

— C’est parce que le visage de ma poupée est entièrement masqué.

— J’espère qu’elle ne vous entend pas.

— Il a raison, dit la poupée avec une voix rauque. J’ai une tronche de sorcière.

— Et pourtant, un cul de bonne fée, ajouta son façonneur.

Elle gloussa. Arcan demanda :

— Vous avez fait son masque en résine… On dirait du bois.

— C’est du bois. Je sculpte le masque moi-même.

— Ce n’est pas trop douloureux à porter ?

— Non, répondit la poupée.

— Pour ce magnifique travail et ce corps de bonne fée, je vais vous mettre sur le podium. Je cherche. Ipkiss ? C’est une référence à Stanley Ipkiss ?

— Vous connaissez ? Mon premier masque était une imitation du masque de The Mask. Et on a gardé le nom car il nous plaisait bien.

— Il y a Kiss, dedans, ajouta la poupée.

— C’est original. Les attaches sont intéressantes.

— Alors les attaches…

Les deux hommes se mirent à discuter bricolage et accessoires de cinéma. Ipkiss se colla à nouveau, me faisant sursauter. Elle me rassura en usant de sa voix rauque :

— C’est moi.

Ses ongles galopèrent sur mes fesses. Elle susurra pour ne pas déranger les deux hommes :

— T’as un cul super.

J’opinai du menton. Mon corps appréciait d’être effleuré, et mon cœur s’emballait de peur que ça ne dérapât vers autre chose. Le côté tactile d’Ipkiss et ma docilité ne manquèrent pas d’être aperçus par d’autres façonneurs. Ils interrompirent la discussion entre Arcan et le façonneur ébéniste. L’un d’eux présenta des flûtes de champagne.

— Je vois que vous êtes à sec. Moi et mon ami aimerions faire une photo osée de nos poupées avec Muse.

— Osée comment ?

— Juste un peu serrée avec quelques caresses.

— C’est OK pour toi, Muse ? demanda Arcan.

Appréciant le côté à la fois chaste et torride des doigts d’Ipkiss, j’opinai du menton. Ma consœur au masque de bois laissa sa place. Les deux poupées se collèrent à moi, leur corps était chaud, ornée d’entrelacements de perles pour l’une, et de voilages légers pour l’autre. Je trouvai la chevelure de cette dernière sur mon épaule très agréable. La main de celles aux perles glissa sur ma poitrine, l’autre remonta sur ma cuisse. Puis lorsque la main remonta avec légèreté sur mon Mont de Vénus, l’autre roula mon téton entre des deux doigts. Je retins ma respiration, complètement paniquée par le plaisir inattendu. La photo terminée, les filles se décollèrent de moi.

— Quelle photo ! s’emballa le façonneur d’Ipkiss. Vous me l’enverrez également.

Arcan me passa la flûte de champagne qui m’était destinée. Il expliqua ses techniques de moulage pendant une dizaine de minutes. Je ne savais si c’était aux mêmes façonneurs ou à d’autres qu’il s’adressait. La voix fluette d’une hôtesse interrompit la discussion :

— Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs. Au nom du Grand Glouton et toutes l’équipes des Gloutonnettes, je vous souhaite la bienvenue à la cent huitième soirée poupée. Madame L’Impératrice nous a rejoints, nous sommes maintenant au complet. Si vous le souhaitez, les premiers shows de la soirée vont débuter d’ici trois minutes sur l’estrade. J’appelle donc Sculpturine à venir ouvrir la soirée.

Des applaudissements portèrent ma mère. Arcan murmura à mon oreille.

— Tu veux que je filme ?

J’opinai du menton. Il me tira par la laisse dans la même direction que la foule. Nous prîmes place sur des chaises rembourrées. Les cinq minutes ne furent pas longues. Sitôt ma flûte de champagne terminée, alors que j’avais la tête qui commençait à tourner, la musique inspirée de thème orientaux fit taire tout le monde. De savoir que chacun avait les yeux rivés sur les poupées de ma mère sans rien en voir moi-même me frustra. Des exclamations d’admirations à peines étouffées me laissaient imaginer que c’était beau. J’enrageais de me sentir exclue et je comptais sur Arcan pour tout me dévoiler dès notre retour chez lui.

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