15. Kebab et photos

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Nous nous arrêtâmes avant chez lui. Il me guida par la laisse, le long des trottoirs. C’était beaucoup moins facile que sur le sol plat de la réception. L’odeur du kebab me chatouilla les narines avant-même qu’il poussât la porte.

— Bonsoir.

— Bonsoir lui répondit un homme avec un accent Libanais.

— Ce sera deux kebabs. Tu veux quoi ?

— Complet, sauce blanche.

— Pour moi, sauce algérienne.

— Je vous mets des frites ?

— Bien sûr.

Je l’entendis se déplacer derrière son comptoir et Arcan murmura à mon oreille.

— T’es joueuse ?

— Un peu.

— On peut négocier le prix de ton kebab en échange d’une petite démo. C’est toi qui décides.

L’idée ne m’excitait pas, mais j’étais amusée à l’avance d’entendre la réaction de l’homme. J’opinai du menton. Arcan interpella le commerçant :

— Mon amie est nue sous son manteau. Elle propose de l’ouvrir en échange d’une réduction.

— Vous avez l’air très jolie, Mademoiselle, mais on ne fait pas de réduction.

— Tant pis, on aura essayé, dit Arcan.

D’un sens, j’étais soulagée. Il nous servit nos kebabs, et nous retournâmes à la voiture. Arrivés en bas des escaliers de son appartement, je les grimpai à l’aveugle. Et seulement une fois que nous fûmes dans le salon, je portai mes mains à ma cagoule. Malgré la pénombre qu’Arcan avait volontairement laissée, la lumière me parut aveuglante. Il sourit en me voyant grimacer :

— Cinq heures sans voir le jour, ça doit être dur.

La fatigue et la faim me donnaient la chair de poule. Je restai emmitouflée dans le manteau et m’assis sur le canapé. Il ouvrit le kebab, puis posa le téléphone sur sa table.

— Je te propose une petite rétrospective.

Je hochai de la tête. Il s’assit à côté de moi et afficha la première photo. La fille avait les cheveux en pétard et teints en vert. Elle était drapée de chaines et de lambeaux de tissus verts et jaunes. Son visage pétillait, plein de vie et donnait l’idée d’une personne explosive.

— Je te présente Nitroglycérine. Je pense que c’est son côté copine avec tout le monde qui plaît, bien plus que le talent de son façonneur. Il lui fait toujours la même coiffure, c’est sa signature. Il joue juste sur les couleurs et les accessoires.

Les photos s’enchainèrent. Prune et Mirabelle, les poupées de ma mère n’étaient que seins et fesses nues. En plus du médaillon qu’elle avait choisi la semaine dernière, un long pagne translucide tombait devant leurs jambes. Leur coiffure était irréprochable. Ma mère entre elles, déguisée en Cléopâtre épaississait le trio.

— Je comprends qu’elles aient du succès.

— Surtout avec leur spectacle. Attends.

Il lança la vidéo. C’était étrange d’entendre cette musique, et de mettre des images après-coup. Les lumières s’étaient éteintes dans la salle et la poursuite s’était posée sur ma mère. Elle était assise sur une chaise longue et les croupes des deux jumelles, tournées vers les spectateurs, lui servaient d’accoudoir. Maman huma une petite fiole qu’elle ouvrit théâtralement avant de la verser sur l’anus de chacune de ses poupées. Le filet d’huile ruissela sur le mont. Les doigts de ma mère commencèrent à caresser le fruit charnu comprimé entre leurs cuisses. Une émotion brûlante s’empara de mon ventre, remontant jusque dans ma poitrine. Mal à l’aise de ressentir de l’excitation devant le spectacle, je croisai une jambe. Ma mère poursuivit, jusqu’à ce que les filles écartent un peu les genoux et que les pétales des petites lèvres s’épanouissent sous l’approbation béate du public. Les majeurs s’enfoncèrent dans les écrins des deux poupées qui se cambrèrent, pile au moment où une cymbale marquait la musique. L’émoi qui me rendait humide me faisait comprendre ce que le public avait ressenti. Puis ses phalanges ressortirent, tournèrent longuement sur leur anus avant de s’y enfoncer au son d’un drill de percussions. Je grimaçai de douleur à leur place. Mon trouble se refroidit devant le spectacle qui suivit. Les filles rampèrent devant ma mère, sans que cette dernière ne défît ses prises. Elle les regarda s’embrasser langoureusement avec un air satisfait. Même si elle se donnait le rôle d’une reine, j’avais la certitude que sa délectation n’était pas feinte. Leur échange dura longtemps, somptueux de sensualité. Ma mère récupéra ses mains et guida le visage des filles vers sa poitrine. La lumière s’éteignit, laissant aux spectateurs le soin d’imaginer la suite, et je reconnus le ban d’applaudissement.

— Ça va ? s’étonna Arcan.

— Je ne sais pas comment je dois encaisser… Voir sa mère dans un porno ça…

— Je devine. Pardon.

Je mordis dans mon kebab pour fuir la conversation. Ce n’était pas tant découvrir ma mère en reine du sexe saphique qui me perturbait. C’est d’avoir ressenti une excitation durant les premières minutes. La bouche pleine, je fis signe à Arcan de poursuivre.

— La plus belle.

Il reprit avec les photos où j’apparaissais, posant avec d’autre poupées. Je paraissais soit austère, soit torturée, tout dépendait sous quel angle je me regardais. Mais je me trouvais belle et étrange. Je prenais assez de recul pour savoir que si cette fille n’avait pas été moi, je l’aurais trouvé érotiquement troublante. Ipkiss l’était moins malgré sa silhouette de bimbo. Elle avait le visage recouvert d’un masque de bois. Son déguisement état composé d’épaulettes de bois, de plumes colorées et d’ossements. Il y en avait tant que ça masquait presque toute sa poitrine ronde. Elle avait l’air d’une indigène arborigène. J’avais du mal à m’imaginer que c’était elle que j’avais fait jouir. Elle était pieds nus, juste avec quelques bracelets de cheville. Naja, la fille de la jeune façonneuse, avait le corps entièrement peint, la faisant ressembler à un reptile. Des lentilles changeaient la couleur de ses iris et la forme de sa pupille. Des reliefs avaient été collés sur sa peau, avant que la peinture fût appliquée. Je trouvais le résultat bluffant.

Celles qui se démarquaient étaient les poupées de l’Impératrice. La vieille femme aux cheveux blancs et courts était suivie par des filles au corps peint couleur ivoire. Des touches géométriques noires ponctuaient leur visage, ou leur ventre. Elles avaient les cheveux tirés en arrière comme des danseuses de ballets, des silhouettes fluettes avec des petites poitrines, et elles se tenaient impassibles. On aurait dit des clones extraterrestres, envoûtantes de perfection. Je comprenais qu’elles eussent plu à Arcan.

Le kebab fini, mon façonneur me dit :

— Je t’ai filmée pendant que tu étais avec Ipkiss. Je ne sais pas si t’as envie de voir.

J’hésitais, me mordis la lèvre et hochai la tête pour l’y autoriser. La vidéo commença alors que j’étais encore debout, le phallus de verre couleur émeraude entre les mains. Le masque et son air apitoyant ne faisait que renforcer la terreur que mon corps exprimait. Je n’avais pas imaginé qu’Ipkiss pût être autant quémandeuse sans le voir de mes propres yeux. Cela modifiait ma perception. La gorge nouée, je me vis tâtonner, hésiter, alors que le ventre d’Ipkiss se creusait et se levait d’impatience. Ses colliers de plumes et d’os étaient retombés sur son cou, dévoilant ses seins majestueux au public. Elle avait écarté grand les cuisses, juste avant que mon pouce rencontrât par erreur les chairs de sa vulve. En essayant de regarder la vidéo d’un œil extérieur, j’observai le gode qui pénétrait son vagin. L’air de supplication de mon masque trahissait toujours la terreur qui animait ma respiration. Revoir ces images me ramenait tant à ma détresse qu’à l’odeur moite de son sexe à laquelle je n’avais pas prêté attention. Je revivais la scène d’une autre façon, et ses cris de plaisir me paraissaient gratifiants. Arcan m’avait filmé d’assez près, de manière que ce que sur les images qui suivirent, je vis le rictus de déplaisir que ma bouche affichait. Je comprenais pourquoi Arcan s’était inquiété. Mes mouvements devenaient brusques, presque violents. J’étais mortifiée de lire ma haine tendre ma mâchoire sans voir mon regard. Pourtant mon ventre s’inondait en découvrant au premier plan le corps d’Ipkiss savourer ma sauvagerie. Le téléphone proche d’Arcan avait capté le moindre de ses sons, et si son visage n’était pas visible, sa poitrine gonflée de désir, ses tétons dardés ne mentaient pas. Son corps se tordait, suivant le mouvement de mes mains. Je la regardai jouir avec fascination tandis que je poursuivais mes coups de butoir enragés. Ipkiss n’avait pas de visage, mais je la trouvais tellement belle dans sa sincérité. Je ne regrettais plus d’être celle qui avais libéré son orgasme. La vidéo se coupa, la suite, je la connaissais. Je lui confiai :

— J’ai dû mal à me dire que c’est moi sur la vidéo.

— Mais je comprends que pour une première soirée…

— C’était très bien.

— Si tu le dis.

— Je trouve que… Je me sens un peu naïve d’avoir cru qu’il y avait juste à défiler. Évidemment qu’il y aurait du sexe.

— C’était optionnel. C’est ma faute.

Je haussai les épaules sans savoir quoi lui répondre. Lui non-plus, ne le savait pas avant d’y venir. Ça m’énervait de l’entendre s’accuser et en même temps, il avait raison. Il aurait dû me demander avant de se lancer dans ce jeu débile.

— Prends une douche, je te raccompagne chez toi.

Je me levai en gardant le manteau autour de moi et gagnai la salle de bains. Il alluma la lumière, me fit un clin d’œil amical et ferma la porte pour me laisser seule. Je posai le manteau de fourrure et portai mon majeur à ma vulve. Il s’enfonça sans effort entre mes nymphes huilées. Je murmurai à moi-même :

— Putain !

Je désassemblai les accessoires de mes jambes, quittai ses escarpins qui commençaient à être douloureux. J’écrasai le tapis de bains avec plaisir sous mes orteils et ôtai les mitaines. Tâtonnante, je pris soin se défaire la coiffure alors que les gémissements d’Ipkiss résonnaient dans ma tête jusque dans mon bas-ventre. Je gagnai la cabine de douche, l’eau froide percuta mes pieds. Quand elle se réchauffa, je m’avançai, revoyant les images de moi godant Ipkiss. L’évocation de la soirée me rendait fiévreuse. Mon cerveau mélangeait les odeurs, les effleurements délicats, les voix des poupées en pleine jouissance. Puis ce fût le contact d’Arcan sur mon échine qui me revint, la précaution dans les mots qu’il utilisait avec moi, la légèreté de ses doigts sur ma raie culière. Je voulais revivre cent fois cet instant trop bref dans les WC. Je plongeai la tête sous l’eau et mon majeur dans mon vagin. J’avais envie de sexe. J’avais envie de jouir, animée par une envie bestiale de mon façonneur. Je désirais être à nouveau masquée pour qu’il me tirât violemment par la laisse. Je voulais qu’il me plaquât contre la vitre de la cabine et qu’il me baisât, qu’il me ramonât avec force. Je voulais jouir comme Ipkiss, je voulais jouir de lui. Ma paume frappait le haut de mon pubis, tandis que l’eau masquait le bruit de mon majeur allant et venant. Mes dents emprisonnèrent ma lèvre pour m’empêcher de hurler. Mon ventre se contracta. L’orgasme m’emporta, vague après vague, chassant les images scabreuses de ma mère et ses poupées, chassant le spectacle obscène d’Ipkiss, me laissant juste avec lui… Lui, nu, me caressant le visage, se délectant du plaisir qui venait de ravager mon corps.

Je laissai passer les secondes, retrouvai mes esprits, puis frottai la peinture avec le gant. Une fois rincée, l’esprit hagard, abattu par la fatigue, je m’enveloppai de la serviette, me séchai sans volonté et renfilai mes habits. Mon téléphone était blindé de messages qu’Arcan m’avait transféré, photos comme vidéos. Je regardai les accessoires au sol, comme une partie de moi abandonnée. Je les ramassai, les alignai soigneusement sur la chaise, puis quittai la salle de bains. Arcan était en civil, un blouson de cuir sur son t-shirt.

— Ça fait du bien ?

— Oui. Merci.

— Tiens, ton argent.

— Il n’y avait pas autant.

— Les cinq cent du jeu, et les deux mille cinq cent euros, la moitié de mes gains, comme promis. Et il y a ton chèque emploi-service pour la soirée. Mille euros.

Je me sentis confuse. Mais je ne voulais pas cracher sur cette somme. Je pris l’enveloppe, et il m’ouvrit la porte. Nous descendîmes les escaliers sans un mot et rejoignîmes la voiture. Une fois que je fus assise, j’eus des scrupules.

— T’as eu assez ?

— J’ai payé mille euros pour entrer, mille euros pour te rémunérer, il me reste cinq cent euros pour payer les accessoires. Je n’ai pas fait le déboursé, mais on ne va pas dire que ton costume était très riche. Ne t’inquiète pas, d’avoir gagné va déjà bien au-delà de mes espérances.

— Et sur le chèque, tu vas avoir des charges ?

Il fit ronronner le moteur en haussant les épaules. Pour essayer de plaisanter, je lui dis :

— Ce n’est pas ça qui paiera ce genre de voiture.

— Cette voiture ? Je l’ai fait venir d’Angleterre pour douze mille euros et j’ai un copain cosplayeur qui m’a interverti les commandes.

— Douze mille euros, ce n’est pas cher ?

— Passe ton permis et quand tu voudras acheter une voiture, tu te feras un ordre d’idée.

Il sourit, amusé. Afficha le GPS sur le tableau de bord et demanda :

— Sinon, à part ça, t’habites où ?

J’entrai l’adresse.

Nous arrivâmes, tandis que je commençais à digérer la soirée et à me faire une idée sur ce que j’avais vécu. C’était fort en émotions, mais il en restait surtout du positif. Quand il entra dans le lotissement, je me rendis compte que nous allions devoir nous séparer. Le cœur en peine, je cherchai un stratagème pour qu’il m’embrassa sur les lèvres. Il se gara, et me dit avec son sérieux de tueur.

— Je te laisse te reposer. Si tu te sens partante pour une nouvelle soirée, tu dis à ta mère de te déposer chez moi. Si tu me préviens assez tôt, je prévoirai les croissants.

Je me détachai en cherchant au fond de moi le même courage que pour m’être déshabillée la première fois devant lui. Je m’appuyai et posai mes lèvres sur sa joue. Il leva un sourcil étonné. Je lui dis :

— Merci d’être un gentleman.

— Si j’en étais un, tu ne te serais pas retrouvée sur scène.

Je l’embrassai une seconde fois sur la joue. Ses yeux acquiescèrent seulement, mais ses lèvres ne m’assaillirent pas en retour. Je descendis de la voiture. Il me souhaita bonne nuit, puis attendit que je fusse rentrée pour repartir.

La maison était vide, comme mon cœur. C’était plus qu’une attirance physique qui était née au fil des jours. Ses yeux, sa voix, ses effleurements, sa cuisine, sa passion. Toute la façon d’être d’Arcan me plaisait. Jamais un garçon ne m’avait troublée avec cette intensité. Le constat était sans appel : J’étais amoureuse d’un vieux.

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