68. Léa

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Je me réveillai ce dimanche matin, dans un pyjama prêté par Léa, le visage encore maquillé et le corps barbouillé de la mise en scène. Léa était au rez-de-chaussée avec sa mère, alors je me traînai jusqu’à la douche pour ôter les fausses cicatrices, le faux sang, et me rincer les fausses idées que j’avais pu me faire sur mon aventure. L’eau battit sur mes cheveux, glacée. Je restai immobile, grelottante, jusqu’à ce qu’elle tiédît et, qu’avec, mon cerveau s’éclaircît. Comment j’avais pu m’y laisser entraîner ? Comment j’avais pu y prendre du plaisir ? Ce qu’il y avait de pire dans cette sordide histoire, c’est que j’y avais plongé de mon plein gré. Dans ma tête, ces quatre semaines gardaient le goût d’une confiserie multicolore.

Je frottai avec force, comme si je pouvais enlever avec le maquillage la couche d’emprise qu’Arcan avait sur moi. Je savonnai les artifices hideux de ma peau, jusqu’à retrouve sa blancheur innocente et ses tâches de rousseur éternelles.

Je coupai l’eau, sans parvenir à chasser l’envie de retrouver les bras de mes concubins. Ce désir se percutait avec la douleur de la trahison. Emmitouflée dans la serviette de bain, les cheveux dégoulinant sur mes épaules, je retournai à la chambre de Léa. Le masque de Muse gisait sur le sol à côté des chaussures d’actrice porno qu’Arcan m’avait fait porter contre mon gré.

Elles étaient le symbole de la manipulation sournoise qui avait eu pour but de me transformer en celle que je n’étais pas, et m’exhiber comme une bête de foire. Mais ces chaussures, avant d’être rattachées aux chaînes de vélo, c’était ma mère qui les avait choisies. Il n’y avait que deux personnes à qui j’en voulais vraiment. La première était évidemment ma génitrice, celle qui m’avait apprêtée pour ce premier rendez-vous, et m’avez poussée dans le piège en connaissance évidente des risques. Elle était la seule au début de cette histoire à connaître le déroulement des soirées, les jeux pervers qui s’y pratiquaient.

La seconde personne envers qui je n’éprouvais que de la haine, c’était moi-même, pour n’avoir rien décelé derrière le charme du gentleman. Lui, il avait suivi son plan lubrique, celui qu’il aurait appliqué avec n’importe quelle fille qui lui aurait été présentée. Je n’avais été qu’un article en solde, un animal de compagnie qu’il fallait dresser. Connaissant aujourd’hui sa façon de fonctionner, je n’arrivais pas à le détester. Il avait toujours mis des gants, calculateur et prédicateur, il avait toujours été lui-même. Même en apprenant à le connaître, j’étais restée dans le sillage de son influence, préférant y rester aveugle au lieu d’ouvrir les yeux. J’avais été le jouet de son fantasme, ce personnage qu’il croquait dans ses carnets, et il ne s’en était jamais caché. Il m’avait toujours laissé le choix, et il avait juste fait en sorte que je ne puisse pas dire non. Comme l’avait dit Geisha : comment dire refuser lorsque ses yeux d’enfant pétillaient à l’évocation d’une nouvelle idée ? Comment ne pas reconnaître que je m’étais laissée entraînée par la curiosité et le plaisir ?

Ma tante leva le nez vers moi en me voyant entrer dans la cuisine, revêtue du pyjama. Bien que de trois ans l’ainée de sa fratrie, elle ressemblait beaucoup à ma mère. Elle me sourit avec une vois affable :

— Dure soirée ?

— Ouais, ça picolé dur, répondit Léa.

Je m’assis à la chaise libre. Léa bondit vers la cafetière et mit une capsule. Ma tante devina :

— Je suppose que je ne dois pas dire à ma sœur que tu es là ?

Je secouai la tête.

— Bien. Je vous laisse entre vous. J’ai yoga.

Elle s’éloigna pour nous laisser tranquille. Quand elle disait qu’elle avait yoga, c’était un code pour s’éclipser. Assise dans cette cuisine, où j’avais été souvent installée petite pour des goûter ou pour dessiner, c’était comme revenir en arrière. Sauf que je n’imaginais plus vraiment de quelle manière repartir en avant. Comment songer à rebâtir une vie amoureuse après avoir goûté ces jeux à trois qui m’avaient grisée comme jamais ? Lucide, je savais qu’une part de moi était prête à retourner auprès de mes deux amants, la tête basse, mettre côté leur jeu malsain pour m’abandonner à leurs supplices érotiques. Cependant, il était hors de question que de poser un genou à terre face à la trahison. Je tournais en rond dans ma tête. J’étais mon propre bourreau.

Léa posa la tasse de café et me frotta la main.

— Encore une rupture compliquée ?

— Je ne sais pas très bien quoi en penser.

— En tout cas ton ex, celle avec des cheveux, m’a laissé des SMS. Je lui ai dit que je ne savais pas où t’étais. Elle est super angoissée.

— J’ai coupé mon téléphone.

— Je lui écris que tu vas bien ? Que je t’ai eu en SMS et…

Je secouai la tête. Elle fit couler deux tasses de café, une pour elle et une seconde qu’elle posa devant moi alors que je n’avais pas attaqué la première. Mais elle me connaissait mieux que quiconque. Elle passa sa main dans mon dos :

— Qui a plaqué qui ?

Je lui jetai un regard désespéré mais elle répliqua :

— J’invoque le serment de Teddy.

Je répondis comme un robot :

— Moi. Les deux.

— Va falloir tout me raconter, ma chérie. Parce que si j’avais la chance de sortir avec deux personnes en même temps, je ne plaquerais pas les deux en même temps.

— Sauf si les deux t’on fait un coup de pute ensemble.

— Ils ont couché ensemble ? Sans toi ?

Elle tentait l’humour, et ça m’agaçait. Je lui jetai un regard déprimé et elle me supplia :

— Mais dis-moi !

— Ils se sont foutus de ma gueule ! Ils me manipulent depuis le début ! Eugène il a tout manigancé pour que je fasse ce qu’il veut, et il a payé Anh pour qu’elle me drague et que je devienne bi.

— Tu n’as pas rencontré sa mère, lundi ?

— Si, c’est ça le pire. Ils me dégoûtent.

— Laëtitia. Je ne connais pas Anh, mais j’ai vu comment elle te regarde…

— Ouais, ce n’est pas de l’amour. Elle a les ovaires en feu quand elle me voit, soupirai-je.

Léa se leva et tourna autour de la table en déclarant :

— Soyons posées. Eugène-Statham a payé Anh pour qu’elle te drague.

— Oui.

— Pourquoi elle ?

— Parce que justement elle a un petit problème d’ovaires. C’est une nympho lesbienne, c’est tout.

— Mais attirance ou amour, dans tous les cas, elle t’aime. Je veux dire, d’un, ça se voit, et de deux, elle t’a présentée à sa mère.

— C’est une tactique. Peu importe qu’elle me dise « je t’aime » si elle arrive à me le faire croire par des gestes détournés.

— Ce n’est pas ce que ta mère t’a dit à propos d’Arcan ?

— Si. Et elle avait raison.

— Ouh là ! Là, tu n’es pas dans ton état normal ! Tu vas tout reprendre depuis le début et me raconter comment t’a appris qu’Eugène l’avait payée.

— Non, c’est bon. Je n’ai pas envie d’en parler.

— D’abord, je ne te laisse pas le choix de m’en parler. Serment de Teddy. Et même si Eugène l’a payée pour la première rencontre, je veux dire, vous avez vécu ensemble. Il y a un truc entre vous deux !

— Mais c’est moi qui croyais qu’il y avait un truc ! m’emportai-je. Tu sais très bien comment je suis, je m’enflamme même quand il n’y a rien ! Les sentiments, c’est un truc qu’on imagine ! Ça se passe bien, alors on croit qu’on est amoureux, alors qu’en fait, tout est calculé par un mec, un pervers, qui joue à la marionnette !

Léa s’assit et soupira.

— Bien… Et bien… Je ne vais pas jouer ma romantique.

— Non, c’est mon rôle.

— Ecoute ce que je vais te dire. En tant que cousine, et en tant que demi-sœur présumée. Je te parle avec mon cœur. Anh, elle est amoureuse de toi, j’en suis persuadée jusqu’au fond de mes tripes. Donc, juste pour moi, laisse-lui une seconde chance, répond-lui, écoute au moins ce qu’elle a à te dire.

J’avais beau avoir la haine, j’avais envie que Léa eût raison. Je posai mon téléphone et enlevai le mode avion. Il vibra à répétition. Deux appels d’Arcan, dix de Geisha. Peut-être ma cousine avait-elle raison. Seul Arcan avait laissé un message vocal. Geisha avait laissé un SMS : « Je t’aime. Rappelle-moi. »

J’écoutai le message d’Arcan :

— Mon amour, je voudrais qu’on parle. Tu as juste entendu un jeu de provocation entre ta mère et moi, rien de plus. Je ne veux pas que tu doutes de mes sentiments, ni de ceux d’Anh. Ecoute ton cœur, fais le tri et tu sauras qui manipule qui.

Je serrai mon téléphone de toutes mes forces, agacée par cette voix qui me donnait envie de la croire. Léa n’ayant rien entendu, me regarda avec curiosité. Je tapotai un message et donnai rendez-vous à Geisha sur une colline non loin de mon ancien lycée. Léa sourit, certaine d’avoir raison, alors je lui souris aussi.

— Je vais te prêter des fringues.

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