73. Maîtresse Muse

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La boutique dont m’avait parlée Geisha était ouverte le lundi après-midi. Nous nous y rendîmes donc comme convenu, même si je n’avais toujours pas d’idée claire de comment me venger d’Arcan. Je ne voulais pas être méchante, juste un peu froide, pour qu’il retînt l’idée qu’il ne fallait plus qu’il essayât de me manipuler.

L’endroit était une boutique étroite mais toute en longueur, compartimentée, vendant d’abord des costumes et des tenues d’écolières, qui étaient la raison pour laquelle Yako avait emmené Geisha. En me montrant les costumes, elle me dit :

— Ce n’est pas un façonneur avec beaucoup d’imagination.

— Mesdemoiselles, bonjour, fit une voix de femme. Bienvenues à Qui-est-bi, la boutique à petits prix. Seriez-vous à la recherche d’un costume coquin ?

Geisha passa sa main sur mon épaule :

— Voici ma petite-amie, et elle voudrait frustrer son ex. Un homme. Donc, qu’est-ce qu’une bonne dominatrice doit savoir ?

— C’est un homme qui a l’habitude d’être dominé ?

— Je ne pense pas, rit Geisha. C’est plutôt l’inverse.

— Donc, on va considérer que nous avons un débutant. Suivez-moi.

Nous passâmes au rayon éclairé de rouge, où menottes et cravaches se mêlaient à plusieurs accessoires en cuir. Je n’imaginais pas Arcan en harnais, en cagoulé, ou bâillonné. Il était même quasiment certain qu’il ne rentrerait pas dans ce genre de jeu. Il ne prendrait jamais le risque de pouvoir perdre le contrôle sur les choses. Je précisai avant qu’elle nous déballât son catalogue :

— Je ne veux pas qu’il ait de douleur. Je veux juste qu’il soit frustré. Je veux dire, c’est un dominant dans le sens où c’est quelqu’un qui a le contrôle sur tout. J’aimerais que pour une fois, il ne maîtrise rien.

— Vous aviez déjà des idées, peut-être ?

— Je voulais qu’il me regarde m’amuser avec ma copine, mais, elle a raison, ça va lui plaire. Je veux lui donner envie, mais qu’il lui manque quelque chose.

La femme sourit :

— Qu’est-ce qui lui plaît ?

— Jouer, répondit Geisha. C’est un joueur.

— C’est un créateur de jeu, précisai-je. Il aime que les gens s’amusent. En fait, il faudrait lui faire inventer un jeu et ne simplement pas suivre les règles qu’il a imaginé.

— Vous avez l’air de chercher compliqué, constata la vendeuse.

J’échangeai un regard désespéré avec Geisha car l’idée que je venais d’avoir me semblait être la plus cohérente pour faire sortir Arcan de son confort. Il fallait le forcer à jouer avec de nouvelles règles. Mais comment ? Geisha lisant ma détresse, proposa :

— Déjà, on va te relooker. Il t’aime naturelle ou soumise. On ne va lui donner ni l’un, ni l’autre.

— D’accord. Mais ça ne va pas suffire à le frustrer.

La vendeuse intervint :

— Dans l’érotisme conventionnel, la satisfaction de l’homme vient de son orgasme. Si vous débutez dans la domination, il faut que vous sollicitiez son désir, son excitation, que vous le mettiez à cran sans jamais lui donner l’ultime satisfaction. C’est à la maîtresse de décider quand l’homme a le droit de jouir. Croyez-moi, c’est ce qui les rend accrocs.

— Faut le stimuler mais s’arrêter à temps ? comprit Geisha.

— Il faut lui faire boire trois flûtes de champagne et attendre une heure, plaisantai-je.

— Pour le contrôle, vous pouvez lui mettre un cockring.

— Un quoi ? répétai-je.

— Ceci.

Elle nous présenta un anneau élastique à passer autour de la verge permettant de retarder l’éjaculation. La vendeuse ne fut pas avare d’explications, nous narrant le gonflement des bourses ou les tressautements annonciateurs de l’orgasme. L’idée de faire bander Arcan durant des heures sans jamais lui donner satisfaction était plaisante. Arcan et moi avions une relation centrée sur la sexualité. Maîtriser ce moment à sa place et lui enlever le contrôle total me semblait le meilleur plan. Je pouvais utiliser Geisha pour le stimuler sans jamais lui laisser le droit de m’approcher. S’il était vraiment amoureux de moi, c’était de moi sont il avait surtout envie. Sans pudeur devant la vendeuse, j’expliquai mon projet à ma petite-amie, afin de m’assurer qu’elle fût partante. La vendeuse cernant l’homme que je voulais dominer, elle comprit qu’il avait un ascendant sur mon inconscient. Elle me conseilla de parler le moins possible et de ne donner uniquement des ordres. Si je commençais à faire des phrases, je risquais de bégayer, ou d’avoir la voix qui tremblât ou qui lui fît sentir une hésitation. Geisha se moqua en disant que je savais très bien rester muette des heures. De toute façon, il fallait que je lui fisse sentir que j’étais en colère.

— Merci pour ces conseils.

— Je vous suggère également la cravache. Ce n’est pas pour le frapper, c’est pour occuper vos mains. Les mains peuvent trahir le stress.

— Ce n’est pas faux, dit Geisha. On peut prendre ça, ça peut servir.

Je regardai les menottes de cuir et éludai en lisant le prix :

— Non. C’est juste un jeu d’une fois.

— Mais peut-être qu’il peut un prendre goût. Et puis au moins, il ne fera rien de ses mains.

Je soupirai :

— On se demande qui de nous deux veut vraiment faire ça.

— Elle les prend, déclara Geisha à ma place. Et ça aussi.

Elle empoigna une cravache, et nous suivîmes la vendeuse jusqu’au comptoir, satisfaite de sa vente.

— Vous ne voulez pas faire un tour de magasin ?

— Non, ma copine va tout dévaliser, répondis-je.

Je comptai mes billets en regardant le prix grimper sr la caisse enregistreuse et jetai un regard de reproche à Geisha. Mais elle était souriante, emballée par l’idée de transformer le tigre en chaton. Moi, je n’étais pas certaine de le vouloir. Son côté indomptable faisait son charme. Nous sortîmes de la boutique et Geisha déclara :

— Maintenant, on va te faire une tenue éphémère à pas cher de dominatrice.

Elle semblait savoir ce qui me conviendrait, donc je me laissai guider. Nous traversâmes la rue pour une boutique un peu BCBG à mon goût, loin des grandes enseignes où j’avais l’habitude de traîner.

En entrant, elle s’exclama :

— C’est notre première journée shopping !

— Le supermarché, ça ne compte pas ?

— Non. Là, c’est shopping de filles !

— Je sais que t’aime le rose, mais je ne te connaissais pas ce côté féminin.

— Ah ! Parce que tu dois encore découvrir plein de chose sur moi.

Elle étreignit mon bras et je demandai :

— Et qu’est-ce qu’on fait dans un magasin pour vieilles ?

— Eugène aime les jeunes, non ?

— Il semblerait.

— On va faire de toi une femme.

— Et tu veux que je me teigne les cheveux en gris ?

— Plus sérieusement, tu vas devenir la version féminine d’Eugène. Eugénette !

— Eugénie ?

— C’est ça !

La vendeuse sur talon s’avança vers nous.

— Mesdemoiselles.

— Ma copine a un enterrement, il nous faut donc quelque chose de sombre, mais de classieux ! Une veste de costume courte.

— Alors, du côté des costumes…

Geisha avait une idée bien en tête, et il me fut impossible de nager à contre-courant. La vendeuse prit mes mensurations d’un simple regard expert, puis dépendit une veste noire de rayonnage. Je l’essayai par-dessus mon t-shirt. Geisha la ferma d’un bouton puis conclut :

— Un peu grande.

La vendeuse sortit une taille en dessous. Une fois ma veste sur l’épaule, Geisha s’assura qu’elle me cintrait et conclut :

— On prend !

— Ce sera tout ?

— Oui !

Geisha balaya les chaussures d’un œil vif tout en approchant du comptoir et me dit :

— Je te la paie pour me faire pardonner.

— Si t’insiste.

Elle sortit sa carte bancaire, j’empoignai le sac en carton, puis précédai Geisha avec l’impression de perdre le contrôle, sinon la motivation. Parce que convaincre Arcan de se laisser mettre les menottes ou même l’anneau à la verge n’allait pas être une mince affaire. Subordonner notre couple à ce jeu de rôle était dangereux. S’il refusait, ce serait un échec car cela bloquerait toute possibilité de réconciliation.

Geisha sortit de la boutique en fredonnant. Je marmonnai :

— Je commence à me demander si c’est une bonne idée.

— On verra bien ! Mais faut essayer ! Allez, viens !

Elle prit mon bras et nous descendîmes la rue jusqu’à un magasin pour adolescentes. Geisha s’exclama :

— Oh ! Yes ! Y en a encore !

Elle trotta jusqu’à un portique de jupes moulantes en cuir et l’idée me plaisait e moins en moins. Geisha me tira jusque dans une cabine. Une fois enfermée, elle déboutonna mon jeans.

— Enlève le t-shirt et mets la veste.

Tandis qu’elle me défroquait, j’acceptai d’essayer la veste par-dessus mon soutien-gorge. Elle m’aida à enfiler la jupe, puis, elle tendit mes cheveux en arrière. Elle regarda le miroir en même temps que moi.

— Un élastique, de la lingerie noire, tu seras à la fois sexy et femme fatale.

— Je ne sais pas si je dois être sexy.

— Mais si ! Il faut le surprendre ! Il faut que tu sois à la fois pas toi, et à la fois bombasse. Il faut que tu aies un look qu’il n’aurait jamais choisi et en même temps, qu’il n’ait qu’une envie : te sauter dessus.

— Je n’avais pas vu ça comme ça. C’est… C’est astucieux. Je ne mets pas de lingerie en dentelle. Et puis ce n’est pas sûr que ça l’excite.

— Ouais, mais ça fait femme.

— Pourquoi pas des porte-jarretelles, tant que t’y ait. N’importe-quoi ! À la rigueur, je ne mets pas de soutien-gorge et je ne laisse jamais rien voir. C’est comme ça qu’il fait avec les façonneurs, il montre sans rien montrer.

— Ça peut le faire.

Je soupirai, toujours hésitante à me lancer dans cette entreprise. Geisha, à l’inverse montait en excitation au fil des achats :

— Je vais chercher des chaussures.

— Pas de talon !

— Non mais j’ai vu un truc trop bien ! Trente-huit ?

— Oui.

Elle disparut une minute, me laissant le temps de me mirer, de rester seule avec mes pensées. Je désirais toujours frustrer Arcan pour me venger, même si je doutais que me grimer en dominatrice fut la solution. Cependant, ma petite-copine avait raison, il fallait que je fusse irrésistible pour qu’il fût frustré. Je m’adressai au miroir :

— Allez. Faut juste ne pas te laisser faire et t’imposer.

Mon reflet hocha du menton. Geisha revint avec des chaussures en cuir noir montantes compensées d’épaisses semelles à crampons, et surélevées au niveau des talons. Elle s’exclama de joie en me le mettant sous le nez :

— Tin din !

— C’est toi la naine, pas moi.

— Mais allez, ce n’est pas des talons aiguilles. C’est pour ta croupe qu’il aime bien galbée.

Abattue par son argument imparable, je les chaussai, puis la laissai m’aider à entrecroiser les lacets jusqu’à mi-hauteur de mes tibias. Je me relevai, me regardai dubitative et décrivis :

— Alors, le haut classe, et le bas pute, c’est ton style ?

— C’est classe !

— Avec la jupe ras la moule et les chaussures de pouffe gothique, super !

— Mais regarde — Elle passa sa main sur ma cuisse. — De longues jambes mises en valeur, une veste qui s’entrouvre sur un océan de taches de rousseur. Un regard insondable et froid derrière des lunettes de comptable. C’est troublant, c’est hot.

— Hot ? Sérieusement ?

— Si moi ça m’excite, ça excitera Eugène.

— Vous n’avez pas les mêmes goûts.

— Bien sûr que si. Ton joli cul.

— Pas faux.

— Et ouais. Présentement, je te trouve inspirante, et pas du tout toi.

— C’est clair, ce n’est pas du tout moi. — Je me tournai de profil en ouvrant la veste. — T’es sûre de toi ?

— On passe à mon appart, je finis de t’arranger, et je te jure qu’il va boguer en te voyant.

Elle m’embrassa sur la bouche, et je cédai.

Comme convenu, nous passâmes chez elle. Elle me brossa les cheveux, me les plaqua avec du gel et fit une queue de cheval. Elle m’obligea à épaissir mes cils au crayon, mais ne voulut pas que je peignisse mes lèvres. J’étais physiquement prête à revoir Arcan, mais pas psychologiquement. J’étais morte de trouille, persuadée que je n’allais pas pouvoir garder l’ascendance sur la soirée. C’était certain, Arcan allait me bouffer toute crue. Un regard et j’allais me jeter dans ses bras.

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