DUO
« C'est vraiment le jour et la nuit ! »
- Qui a encore dit ça ?
- Quelqu’un qui me trouve infiniment plus désirable que toi !
- Tout à fait le genre d’expression qui a fait ma mauvaise réputation.
- Je te sens d’humeur rebelle ce matin, ça ne te ressemble pas.
- Ma patience a des limites. Tu ne peux pas savoir comme ces mots font mal, à force de les entendre.
- Il faut dire que tu as bien mal démarré dans la vie. Qui a bien pu te prénommer NUIT ? Le présent te rappelle à la troisième personne du verbe nuire. Moi, le JOUR, je ne me laisse conjuguer par personne.
- Tout cela ne veut rien dire… Comment pourrais-je nuire à quelqu’un ? Comme toi, j’ignore tout de la haine.
- Et pourtant tu inspires la peur. Tu fais un tabac au cinéma dans les thrillers les plus effrayants et avec Nuit et brouillard, tu deviens complice d’un crime contre l’humanité.
- Arrête de m'accabler, je t'en supplie !
- Tu es tout de même un peu responsable.
- Responsable ?
- Oui, je veux parler de ton pouvoir de séduction. Tu endors la plupart des hommes et tu laisses les autres en proie à leurs insomnies. A part quelques noctambules, qui te désire vraiment ? Ah si, j’oubliais les quelques amoureux transis sous les étoiles qui perdent leurs illusions quand je les réveille.
- Tu trouves ça drôle ?
- Et puis, tu leur vends du rêve… Avec moi, ils font l’actualité, ils vivent leur histoire au Grand Jour. Je leur livre toutes les preuves de leur existence.
- « Ce qui est maintenant prouvé ne fut jadis qu’imaginé », juste une intuition que je retrouve dans cette pensée de William Blake.
- Le mariage du Ciel et de l’Enfer, plutôt subversif ton livre de chevet ! Tout en ce monde n’est que duo : la force - la faiblesse, le courage - la lâcheté, l’amour - la haine, la beauté - la laideur, le sérieux - le rire, l’esprit - le corps, le bien -l e mal, Dieu et le Diable...
- Et le Jour et la Nuit bien sûr si je comprends bien ? Où que j’aille, tu as toujours le beau rôle : « le jour se lève », « la nuit tombe » disent-ils… Tu es la lumière, je suis l’obscurité et maintenant le Diable…
- C’est ainsi que les hommes racontent le monde.
- Tu voudrais me convaincre que toute chose n’existe que grâce à son contraire ?
- J’existe d’autant plus que les hommes t’ont pris en grippe…
- Arrête de jubiler. Tu me fais rire… Et si tout cela n’était que pure invention des hommes ? Un jeu rhétorique pour justifier leur libre arbitre ? Bien étrange cette beauté acquise par le jugement et piètre courage, celui qui se glorifie. Tu ne trouves pas ?
- A force d’illuminer leurs jours, je me laisse éblouir par leurs passions. Ils sont libres, tu comprends, c’est tentant la liberté…
- Où rêverais-tu d’aller ?
- Même si je savais rêver, je n’irais nulle part… Nulle part ailleurs qu’à l’aube où tu me précèdes, au crépuscule où tu m’attends…. Là, je suis à ma place. Pour rien au monde, je ne pourrai manquer un seul de nos rendez-vous.
- Je doute que les canons de beauté des hommes puissent un jour rivaliser avec cette beauté-là : ton soleil à l’aube comme au crépuscule. Quel spectacle !
- Ta voie lactée, nos aurores boréales … J’en ai à chaque fois le souffle coupé.
- A quoi penses-tu ?
- A la façon de conjuguer ton nom. Au présent du verbe unir, j'ai trouvé ton anagramme : UNIT. Rien d’étonnant que le temps t’ait choisie pour accomplir son œuvre.
- Jour après jour…
- Mais cette étrange impression de te connaître depuis toujours. Aussi loin que je me souvienne… Tu étais là bien avant moi, n’est-ce pas ? Sinon pourquoi dirait-on « Depuis la Nuit des temps » ?
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