Chapitre 14-1 : Cash - Comment en générer
Générer du cash à partir de …rien : acte 1
Paris, siège de la Nab
2 octobre 1989 après-midi
Radier balaya la salle du conseil du regard. Son état-major était au complet. Étaient également présents : Laffix et Taitbon qui avaient pris un rôle transverse au niveau de la holding bancaire, ainsi qu’Ancel, Malta et Forel.
Wilson et Muller venaient de terminer leurs présentations. L’Allemagne avait ouvert dix nouveaux bureaux pendant l’été. La New British Bank, elle, s’était attaquée aux PME et petites entreprises afin d’utiliser sa trésorerie excédentaire.
Ourant prit la parole.
« Avec un bilan à sept milliards, la Nab affiche une progression spectaculaire. Mais qui génère des déséquilibres. Nous sommes emprunteurs à hauteur de cent millions sur les marchés et nous accusons une perte de 105 millions. Du fait des coûts d’acquisition des nouveaux clients, et notamment de la gratuité des boîtiers électroniques.
— Impossible de rester sur cette trajectoire, compléta Radier, les marchés finiront par refuser de nous prêter plus. »
Ourant acquiesça, la mine grave : « Il nous faut prendre des décisions. »
« Lesquelles ? », grogna Marc, le visage fermé.
Radier posa brutalement l’arbitrage à réaliser :
« Ou nous stoppons notre croissance, ou nous obtenons plus de fonds : la Zurich Trust Bank pourrait-elle nous aider ? »
Marc secoua la tête :
« Pas question d’accentuer notre dépendance vis-à-vis d’eux. »
Malta intervint :
« Il reste une autre possibilité Marc.
— Je sais. Introduire la Nab en bourse.
— Elle bénéficie d’une belle image.
— Nos pertes, même si elles sont normales en phase de démarrage, vont refroidir les investisseurs. Je ne veux pas d’une recapitalisation dans l’urgence. Il nous faut préparer les marchés. »
Malta insista : « Cela va prendre du temps… que nous n’avons pas. »
Marc soupira. Ces adjoints semblaient attendre une orientation claire de sa part. Lui n’avait qu’une envie… fuir cette salle où il se sentait coincé devant les contradictions de son ambition.
« Gagnons quelques mois. Ralentissez l’octroi des crédits, quitte à perdre quelques clients. »
Le président de la Nab le scruta, sceptique : « Et que veux-tu faire pendant ce temps ?
— Trouver du cash au niveau du groupe. Nous en reparlerons juste après cette réunion. Pour le moment, enrayez les crédits. »
Après un court silence, Ourant acquiesça, fataliste : « Je vais donner les consignes. Retardons-nous aussi les prêts personnels et le financement à la promotion que je souhaite développer ? »
Radier trancha sans hésiter : « Non. Ces affaires sont rentables. Et consomment peu de cash à ce stade. »
Marc referma la porte après la réunion. Ne restaient que Malta, Forel et Radier.
« Avant de parler du groupe. André, tu avais un autre dossier avec toi, que tu n’as pas évoqué. »
Le banquier fit la moue :
« J’ai étudié l’ouverture de filiales en Italie et en Espagne. Milan me semble prioritaire.
— Pourquoi ne pas l’avoir mentionné ?
— Parce qu’il faut des fonds, répondit Radier en haussant les épaules, et il ne t’aura pas échappé que ce n’est pas tout à fait ce dont on dispose.
— Je l’ai mérité celle-là ! fit Marc en souriant, tu voudrais y mettre combien ?
— Comme pour les autres : cent millions.
— Lance les préparatifs. On cible la fin de l’année.
— Et comment finance-t-on cela ? »
Marc ignora le ton revendicatif et le désigna du doigt :
« C’est toi qui vas investir !
— Moi !?!
Le jeune homme partit d’un grand éclat de rire :
« Toi. Enfin… la New British Bank. Elle va prêter cet argent à CFIA Bank. Elle en a les moyens. »
Radier marqua un temps, puis à contrecœur : « Cela peut se faire. »
Marc enchaîna :
« Passons au point principal. Nous allons nous appuyer sur nos holdings pour lever des capitaux. En capitalisant d’abord sur nos plus-values immobilières. »
Malta, qui avait déjà envisagé cette solution, continua à sa place : « Sur la base de ces bénéfices, tu vas emprunter. Et tu investiras le tout sous forme d’augmentation de capital dans tes holdings sectorielles. Mais cela ne fera que quelques millions. Pas plus.
— D’où mon deuxième levier : revaloriser CFIA Bank, afin d’augmenter sa capacité à d’emprunt. »
Le juriste secoua la tête : « Sauf à vendre des participations pour encaisser une plus-value, je ne vois pas comment. »
Marc pointa son doigt vers lui :
« C’est exactement ce qu’on va faire. CFIA Bank va acheter des actions de la Nab à la Zurich Trust Bank, et les revendre avec un bénéfice. Elle rachètera ensuite ces parts au prix ou elle les aura vendus. Cela gonflera son bilan et son résultat.
— Mais comment… nom de dieu, mais c’est génial ! », s’exclama Malta en écartant les bras.
Forel demanda : « heu, quelqu’un peut m’expliquer ? »
Marc s’approcha du tableau blanc et saisit un feutre.
« L’opération napolitaine, a rapporté 1,5 million. La holding CFIA va le mettre en garantie pour s’endetter d’autant. Elle injectera le tout dans CFIA Nouveaux Placements Financiers qui en empruntera de nouveau autant. Le 1,5 du départ sera ainsi devenu six millions qui seront apportés à CFIA… qui les investira dans CFIA Bank. C’est le premier mécanisme dont nous parlions. »
Le détective fit signe qu’il comprenait. Marc poursuivit :
« Dans un second temps. CFIA Bank va racheter des parts de la Nab à la Zurich Trust Bank. Pour six millions. Le contrat avec la banque suisse nous permet de payer ces parts à leur valeur nominale.
— Bon et alors ? Tu auras légèrement augmenté ta part dans la Nab, mais cela s’arrête là.
— Et non ! CFIA Bank va alors vendre ces parts à CFIA NPF pour dix millions. »
Comme Forel ne disait plus rien, il continua : « La CFIA NPF va ensuite céder ces parts à CFIA pour le même prix. Et celle-ci les revendra à CFIA Bank toujours pour le même montant. »
Le détective s’exclama « Au final notre holding bancaire rachètera dix ce qu’elle aura vendu dix. Quel intérêt ? »
Malta lui expliqua : « Ça gonfle la valeur comptable du bilan. Avec un actif valorisé dix millions au lieu de six, et en prime un bénéfice de quatre millions.
— Purement fictifs, rugit Radier, c’est de la fraude ! »
Marc tressaillit. Le banquier s’était levé, les deux poings appuyés sur la table, furieux.
« Dis-moi, ses parts valent elles bien au moins dix millions ?
— Ce n’est pas la question ! En comptabilité, les participations doivent être enregistrées à leur coût d’achat. Là, il fit un geste vers le tableau : tu contournes les règles.
— Mais financièrement je n’aurai pas survalorisé CFIA Bank. »
Radier haussa les épaules, butté. Il détestait l’admettre, mais le jeune homme avait raison.
Marc les regarda tous les trois :
« D’autres questions ou remarques ? Non ? Alors on y va. Jacques, tu t’en occupes ?
— C’est comme si c’était fait. »
Passe d’armes
Paris, siège de la CFIA
6 octobre 1989 matin
« Nos centres de la fraîcheur tournent à plein régime. Les marges et la trésorerie sont correctes, mais nous sommes encore trop petits. D’où la stratégie de croissance décidée au printemps.
— Merci Bruno. Qu’en est-il de nos financements ? demanda Marc.
— La Nab est le chef de file et porte 40 % de l'investissement sur chaque dossier. »
Hussard adressa un signe de tête à Radier, assis un peu plus loin : « Tes équipes ont été très réactives.
— Que ne ferait-on pas pour nos clients », plaisanta le banquier.
Le patron de la distribution saisit la balle au bond : « À ce propos... On a dû payer deux millions de commissions de montage.
— Effectivement.
— C’est beaucoup. Nous sommes dans le même groupe et nous devons dégager de la marge. »
Radier ne cilla pas. Sa longue carrière l’avait habitué à ce genre de manœuvres, courantes dans les grandes entreprises.
« Pour un prêt de plus de deux cents millions, cela ne représente que 1 %. C’est très en dessous des standards du marché.
— Tout de même. Notre banque est là avant tout pour financer et favoriser nos activités, il se tourna vers Ancel, n’est-ce pas ? »
Marc n’avait pas envie de se mêler à ce bras de fer. Il tenta de botter en touche :
« On en parlera plus tard.
— On doit s’accorder sur la direction à prendre », insista Hussard.
Marc serra les dents, masquant son agacement.
« Nos activités bancaires sont là pour financer notre croissance. Cela ne veut pas dire à prix d’ami. Il y a des règles. Jacques ? »
Malta se leva et se dressa en bout de table.
« La rémunération entre la banque et nos lignes métiers doit tenir compte de trois points. Un : nous aurons parfois intérêt à favoriser une société plutôt qu’une autre...
— Exactement ce que je voulais dire », s’exclama le patron de la grande distribution.
Le juriste resta imperturbable :
« … pour aider une filiale. Ou parce que notre quote-part de capital nous permettra de recevoir plus de dividendes. Ou encore pour des raisons de communication… Sans parler des optimisations fiscales. »
Il marqua une pause et reprit :
« Deux : ces choix doivent se faire sans risque pénal ou fiscal. Et trois : nos arbitrages évolueront avec le temps. »
Il retourna s’asseoir.
Je vais gagner, jubila intérieurement Hussard. Il s’adressa à Ancel :
« La grande distribution est en phase de démarrage. C’est maintenant qu’elle a besoin d’aide. De plus, tout bénéfice dégagé par la distrib’ revient directement dans notre poche. Alors que pour la Nab, c’est l’actionnaire suisse qui encaisse. »
Marc joignit lentement ses deux mains et fixa son collaborateur :
« La Nab doit rassurer sur sa solidité. Sans elle, adieu tous nos financements.
— Mais tout de même…
— Non ! coupa Ancel d’un ton sec, avant de reprendre plus posément : en tout cas, pas pour le moment. »
Hussard ravala son amertume. Le visage fermé, il passa à la suite de l’ordre du jour de la réunion. L’aménagement des nouveaux sites avançait bien. Ils ouvriraient fin octobre comme prévu. Idem pour l’agrandissement des points de vente existants.
« Parfait, acquiesça Marc, les négociations avec les fournisseurs ? »
Le patron de la grande distribution présenta les accords obtenus. Ancel devait admettre qu’il s’était très bien débrouillé.
« Beau travail, dit-il sobrement.
« Merci, répondit Hussard, en refermant son dossier.
— Et l’automatisation ? »
Hussard, qui avait espéré éviter le sujet, répliqua rapidement, sans laisser le loisir à son collaborateur de s‘exprimer : « C’est en cours. Mais ça prend du temps. »
Il énuméra les difficultés rencontrées.
Marc fronça les sourcils. C’était plus fort que lui, il ne lui faisait pas confiance. Il l’interrompit : « On ne demande pas aux équipes d’expliquer pourquoi le projet ne peut pas aboutir. On leur demande d’identifier les obstacles et de les surmonter ! »
Son interlocuteur dévia le reproche implicite à son encontre :
« Tout à fait en ligne, il se tourna vers son collaborateur, Vincent, tu peux développer les mesures que tu as prises ? »
Celui-ci s’exécuta. À l’entendre, les obstacles étaient réels, mais surmontables.
Marc l’écouta en silence, les yeux plissés. Il soupçonnait Hussard d’avoir donné d’autres priorités à son collaborateur. Il enfonça le clou :
« Bruno, je compte sur toi pour libérer Vincent le temps nécessaire. Je veux cette automatisation dès l’ouverture des magasins.
— Il reste moins de deux mois ! s’étrangla Hussard.
— Raison de plus pour maintenir la pression, comme tu l’as proposé, lui rétorqua Marc, glacial. »
CFIA Information
Paris
6 octobre 1989 après-midi
La branche information comptait déjà ses premiers clients : la Nab et quelques entreprises de ventes par correspondance. D’autres suivraient bientôt.
Côté back-office, tout était en place : l’informatique comme les premières données collectées, en commençant par les banlieues huppées de Paris.
Pichon avait lancé le service minitel permettant aux Français de saisir eux-mêmes leurs informations en échange de réductions, valables auprès de la Nab et des marchés fraîcheur. Cela drainait de nouveaux clients vers ces deux activités. Ceux de la banque recevaient même une petite somme sur leurs comptes. Les premiers résultats étaient encourageants.
Forel, Chevalier et Pichon se complétaient et s’entendaient à merveille ; ce qui était un gage de réussite. Marc était rassuré pour Serge dont le mode de fonctionnement était aux antipodes des deux autres.
Ils avaient évalué leurs besoins en trésorerie. Pour attirer les clients, ils devaient investir fortement afin de disposer d’un volume significatif de données.
« Nous manquons de capitaux, souligna l’ex-détective en distribuant un dossier. Nous ne serons pas à l’équilibre avant d’avoir décrit un million de Français actifs. Ceci si nous temporisons ensuite la croissance. Sinon nous devrons aller jusqu’à quatre millions.
— Il faut croître. Et vite, asséna Marc : combien pour ces quatre millions ?
« Pour des données basiques : adresses, composition familiale, catégorie professionnelle… entre cent et trois cents millions, annonça Chevalier. Si nous ajoutons les revenus, goûts personnels et centres d’intérêt : entre trois et huit cents millions. »
Marc siffla, songeur :
« Ce n’est pas rien. Pourquoi une telle fourchette ?
— Cela dépend de la population visée et du succès de la collecte par minitel. Les deux étant liés : les cadres supérieurs ne vont pas remplir un questionnaire juste pour une dizaine de francs. »
Le jeune homme esquissa une moue contrite et se tourna vers le banquier :
« Tu peux nous trouver un demi-milliard ?
— Impossible, fit Radier en secouant la tête.
— Et avec un pool de banques ?
— C’est trop tôt… personne ne suivra. Je peux débloquer cent millions, nous verrons alors si le modèle est viable. »
Marc ferma brièvement les yeux, se raccrochant au fait d’avoir une solution, même temporaire.
« Avançons comme ça, je vais chercher du cash.
— Et comment comptes-tu t’y prendre ? », s’inquiéta Malta. Il avait en mémoire l’exercice d’équilibriste du début de semaine pour renforcer les fonds de la banque.
« Nul doute qu’à nous deux, on trouvera », lui répondit Marc, souriant.
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