Renaissance

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La première puis la seconde vague des Français ont été brisées. La pluie est notre alliée inattendue, elle a rendu le terrain mortel pour les cavaliers et leur monture. Les chevaliers dans leur lourde armure se sont enfoncés jusqu'aux genoux, les malheureux qui ont été désarçonnés se sont fait piétiner par leur propre chevaux criblés de flèches. Certains se sont noyés dans leur carcan de métal, s'empalant sur les pieux que nous avons dressés la veille et affaiblis par leur marche au moment d'entrer en contact avec l'ennemi. Tout cela sous une nuée de traits Gallois. Nous avons moissonnés ces âmes, fauchées comme les blés alors que les plus grands noms de la noblesse Française s'écroulent à nos pieds.


Philippe de Nevers se tient là, l'épée à la main et la visière de son heaume relevée. Nos loups se sont cherchés, le mien l'a traqué et le sien l'a su... Le comte voit désormais que la loi de la meute l'a rattrapé. Nous nous tenons debout au milieu de ce chaos infernal, fatigués et blessés mais encore en vie. Nous nous défions, a savoir qui frappera le premier. Je peux sentir mon sang bouillir dans mes veines, les traits lupins qui déforment la masque Humain que j'arbore habituellement. Nous montrons les crocs, les pupilles animales qui se rétractent en un petit point d'onyx dans un océan d'ambre brillant de haine. Autour de nous, le monde n'a plus d'importance et nous ressemblons à deux fauves prêts à s’entre-tuer.
Ma main gauche se serre sur la lanière de mon écu et de concert nous nous ruons l'un contre l'autre, bouclier contre bouclier en grognant. Cela n'a rien d'humain. D'ailleurs n qu'y a t'il encore d'humain dans le marasme dans lequel nous pataugeons ? La ligne tient bon seulement je me fiche bien de l'issu de cette bataille maintenant. De crocs et de lames, le combat se joue sur les deux tableaux. Ce n'est qu'un louveteau mais entraîné au maniement des armes depuis son enfance, il n'est pas à prendre à la légère. Mes coups se font rageurs, terribles tout comme les siens qui s'écrasent sur mon bouclier alors que mon marteau vient gondoler et fendre le sien. Son armure l'handicape voilà la faille, je l'ai à ma pogne quand la retraite est sonnée, les vaincus fuient.


Le Bourguignon m'échappe et je ne peux m'empêcher de hurler de frustration, notre histoire ne s'arrêtera pas là. L'armée Française est en déroute, les survivants s'éparpillent comme une volée de perdreaux. L'odeur du sang, de la mort, de la pluie, tout se mélange et mes sens sont brouillés sans compter cette fatigue qui m'étreint. Le manque de sommeil, le froid, les blessures auraient pu avoir raison de moi si je n'étais pas si déterminé, si buté. Un loup n'arrête jamais la chasse tant qu'il ne tient pas sa proie dans sa gueule. C'est à mon tour de déserter le charnier qu'est devenue la plaine, couverte de boue et de cadavres ? J'abandonne tout signe me rattachant à l'armée Angloise, je n'ai plus besoin de cette couverture pour m'assurer la réussite de ma mission car il n'y a pas d'autres échappatoire, ni autre issue que sa mort.


La nuit tombe sur la plaine d'Azincourt qui restera marquée par cet affrontement pendant les siècles à venir. Le France a vu périr les grands noms de sa chevalerie de l'époque, des nobles et Grands du royaume qui ne reviendront jamais sur leurs terres. Moi, le laisse ma Bête prendre les rênes de ce corps fourbu pour remonter la piste ténue du comte de Nevers. Elle est si faible qu'elle ne tient qu'à un fil qui peut m'échapper des doigts à tout moment mais elle est là et je m'y accroche. Je finis par percevoir des cris et des grognements suivit d'un hurlement terrible d'une femme.


— Un leu ! Un monstre !! crie l'homme qui fuit, les traits déformés par la terreur.

Je le connais, il est l'un des médecins du convoi resté en arrière du front. Mes pas se pressent dans la terre lourde, je n'écoute plus les suppliques de mon corps fatigué car je sens l'odeur du Français. Dans une clairière excentrée du champ de bataille, quelques petites tentes de fortune sont installées là et les carrioles qui suivent l'armée depuis Harfleur se tiennent là. Les chevaux sont en panique, hennissent et piaffent en frappant le sol d'effroi. Les grognements qui me parviennent sont reconnaissables entre mille, ma proie est venue ici dans l'idée de se nourrir, de recouvrer des blessures que je lui ai infligé. Lâche ! Couard ! Indigne de sa nature. Ma colère m'envahit les moindres fibres de mon être, la Bête réclame son dû et je compte le lui offrir sans délai.


J'entre dans l'une des tentes prêt à frapper de l'épée lorsque mon regard est attirée par une scène terrible. Mes yeux s'écarquillent tant de surprise que de rage. Dans ma poitrine, le palpitant rate un battement à la vue ce corps pantelant et amorphe. Sa gorge entre les crocs du chevalier Français que je poursuis depuis si longtemps. Le long de son bras coule un fin filet de sang qui rehausse de façon morbide son teint pâle. Son regard vide se plonge dans le mien, je peux y voir la faible étincelle de vie qui peut vaciller à tout instant. De Nevers relâcha la fille qui fut ma soigneuse, la belle inconnue celle qui m'a tant intrigué, la personnification de mon destin qui changerait à tout jamais. Cette tendre anonyme tombe au sol comme une poupée de chiffon. De Nevers se tourne vers moi, les babines encore dégoulinantes du sang de l'innocence qu'il vient de voler sans aucuns scrupules ni même respect pour sa nature. Rusé jusqu'au bout, il s'est fait passer pour un blessé de guerre, désormais habillé d'un simple gambison noir, son armure reléguée dans un coin par sa soigneuse si naïve et dévouée.


Plus besoin d'armes, la question va se régler selon les lois de la meute, entre loup. Entre Neuri. L'un de nous restera debout pour de bon à la fin de ce dernier combat, nous le savons tous les deux. A la douleur de la transformation s'ajoute la lassitude et la fatigue du corps. Paradoxalement je me sens vivant, moi-même sous la forme qui me sied le plus et exprime ma nature première. Mon pelage immaculé tranche avec le sien, noir comme la nuit. Retroussant les babines mes crocs n'attendent que cela de déchiqueter la chair de mon ennemi. Trop engoncé dans sa vie de puissant noble, fils de Duc et comte enrichi, De Nevers n'a plus rien d'un loup comme je le conçois. Il ne sait pas se battre en tant que tel ou a oublié, comble de la disgrâce. Bien pâle représentation de notre race. Je ne peux m'empêcher de le toiser, de l'invectiver et de le provoquer. De Nevers a eu raison de quitter la meute, il n'est plus un neure. Au terme d'un combat âpre mais que je domine sans mal, mes crocs s'enfoncent dans sa gorge. Le liquide chaud coule sur ma langue comme un doux nectar déployant cette frénésie terrible du sang qui nous caractérise tous. Un bref coup de mâchoire et l'histoire est terminée. Ma mission est finie...ou presque car il restait une inconnue, mon inconnue.


A cet instant je l'ai pensé morte. Je n'aurais jamais cru que sa nature change à son tour et à tout jamais. Que la première chose qu'elle voit de sa renaissance soit le jugement de la meute dans sa forme la plus primale. Trois jours et trois nuits, voilà le temps que le calvaire de cette femme a duré dans cette tente oubliée de tous. Trois jours de douleurs, de larmes et de sang que j'ai passé à ses côtés pour panser sa plaie, un juste retour des choses. Son état m'est apparu désespéré et j'ai eu bien peu d'espoir quant à sa survie. Pourtant je sentais en cette jeune femme la volonté de vivre, une force particulière que je n'aurais pas soupçonné chez elle. C'est comme si ce que j'ai vu en elle sur la route d'Harfleur s'est libéré des chaînes de son subconscient. La rage de vie ou de survivre. Au petit matin, elle est née une seconde fois. Ouvrant les yeux sur un monde nouveau malgré elle. Quatre jours se sont passés.


Je pose un linge humide sur son front, silencieux tandis que je me tiens assis à même le sol.
Dehors brûle encore la dépouille de mon ennemi, ses cendres seront dispersées aux quatre vents et son nom voué à l'oubli. Mon loup veut s'approcher, la sentir, connaître cette nouvelle louve qui vient de naître. Il est curieux. C'était la première fois que je le sens ainsi.


— Quel est ton nom ?


Lui demandais-je alors, la voix grave et fatiguée.
Elle leva des yeux d'un bleu céruléen irréel vers moi, cherchant dans sa mémoire éprouvée. Sa louve fait ses premiers pas, hésitante. Enfin l'inconnue me répond.


— Gabryelle, je m'appelle Gabryelle...

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