Chapitre 9

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Ses amies étaient parties peu de temps auparavant, et Emilie se retrouvait à présent assise à la table du dîner en compagnie de ses parents.

« On a eu un discours du directeur aujourd’hui. Un spectacle va être organisé à Noël, et les auditions auront bientôt lieu ! On n’en connaît pas encore le thème mais il sera dévoilé dans peu de temps. J’ai tellement hâte ! J’espère que j’arriverais à être sélectionnée.

- Ne t’en fais pas, mon canari des Andes, lui répondit posément son père. Tu es une excellente danseuse ; je ne vois pas pourquoi tu ne serais pas sélectionnée.

- En plus, ce sera merveilleux pour ton CV, ma chérie ! s’exclama sa mère. C'est très rare que les primo-arrivants prennent part aux spectacles. Oh ma précieuse, tu seras formidable, je t’imagine déjà en costume de princesse, valsant élégamment dans les bras musclés d’un charmant et talentueux danseur… »

Son époux la regarda avec une certaine désapprobation.

« Mais cesse donc d’essayer de pervertir l’âme pure de bébé Mimi ! Toi qui tenais tout à l’heure à la préserver, je trouve que tu t’y prends d’une drôle de manière ! »

La jeune fille les fixa avec désespoir. Ses parents étaient fous, et elle ne pouvait même pas demander à rejoindre l’internat parce qu’elle habitait trop proche de l’école et qu’elle n’avait donc aucune excuse pour être logée sur place.

Elle regarda mélancoliquement par la fenêtre en pensant à tout ces adolescents nés dans des familles normales, avec des parents sains d’esprit sans manières étranges et dérangeantes. Certes leur présence était réconfortante, mais elle aurait aimé connaître le bonheur simple de voir sa mère cuisiner sans avoir la crainte de voir l’appartement - voire l’immeuble ! - partir en fumée. Un de ses rêves : que son père parte travailler sans devoir passer derrière lui - parce que monsieur ne sait pas qu'après sa douche, on nettoie !

Le seul avantage à avoir des parents fous était qu’ils n’étaient vraiment pas regardants. Elle pouvait faire à peu de choses près ce qu’elle voulait sans que cela ne les heurtent. Par conséquent, pas de disputes, pas de cris - à part pour des questions d’incendie ou de rasoir perdu… A vrai dire, même ce constat posait souci. Certes, ses parents ne lui hurlaient pas dessus, et certes ils la considéraient depuis ses cinq ans comme une adulte responsable, mais par extension, ils oubliaient parfois qu’elle restait leur fille et que certaines scènes pouvait la choquer… Raison pour laquelle elle sonnait toujours avant de rentrer chez elle, histoire de leur laisser le temps de changer de pièce ou de se rhabiller. Elle repensait notamment à ce jour maudit où, alors qu’elle n’était sur Terre que depuis sept petites années, elle était entrée dans le salon et qu’elle avait vu ses parents en pleine action. Bilan :

- elle aurait dû se méfier en voyant des vêtements éparpillés dans le couloir ;

- ceux qui s’inquiétaient de la santé sexuelle de sa mère pouvait être rassurés : son père n’avait pas de souci de ce côté-là.

Si la première leçon qu’elle en avait tiré était utile à sa santé mentale, la seconde était malheureusement source de nombre de traumatismes. Si certains estimaient que la découverte du sexe opposé par l’intermédiaire des parents était normale et naturelle, cette image de ses parents en train d’essayer joyeusement de lui faire un petit frère ou une petite soeur la hantait encore presque dix ans après. La petite Emilie n’avait plus osé s’assoir sur l’objet souillé, à tel point que ses parents, las de la voir regarder la télé assise sur le sol, avait fini par changer l’objet de tous ses cauchemars.

Et, bien qu’elle se doutait que l’intégralité de l’appartement, à part peut-être sa chambre, avait été témoin de l’amour démesuré que se portaient ses parents, ils avaient eu l'obligeance d'essayer de se contenter de leur chambre pour mettre en pratique les leçons tirées de leur livre de chevet, vous l'aurez deviné... le Kamasutra. Alors certes, il est vrai que l'Occident limite généralement cet ouvrage à sa dimension sexuelle, en réalité il y a tout un aspect spirituel et social trop souvent ignoré. Cependant, les parents d'Emilie ne se privaient pour autant pas de faire des remarques totalement déplacées, soit disant pour préparer leur fille à l’âpre réalité de la vie de couple… Et ça avait commencé alors qu’elle n’avait que douze ans !

Son attention se reporta sur la conversation lorsque sa mère s’exclama :

« Voyons mon amour, tu sais bien que faire l'amour avec un danseur est bien mieux qu’avec un chanteur ! Bien que charmante, je trouve ta manie de chanter “La mort de Roméo” pendant l'acte assez dérangeante. Surtout que nous avions envisagé ce prénom pour Emilie si elle avait été un garçon !

- Donc tu es en train de me dire que tu ne me trouve pas performant ? s'enquit son père.

- Je t’explique que ce n’est pas pour tes qualités d’amant que je t’ai épousé. Enfin, chérie, tu as connu d’autres femmes avant moi, tu te rends bien compte que la souplesse apportée par la danse rend les choses bien plus amusantes !

- Ce n’est pas faux. J’adore quand tu fais ces trucs, là, tu sais, avec ton pied…

- Papa ! Maman ! hurla Emi, affreusement gênée par la tournure que prenait la conversation. Je n’ai ni le besoin, ni l’envie de connaître les détails de votre vie sexuelle ! Je vais me coucher, conclut-elle sombrement, menaçant implicitement ses parents de fuguer à nouveau s’ils continuaient sur ce sujet. »

La jeune fille regagna prestement sa chambre et se roula en boule sous sa couette, essayant d’empêcher les souvenirs de certaines conversations auxquelles ses parents l’avaient forcée de resurgir. A cause d'eux, elle s’était toujours promis de ne jamais sortir avec qui que ce soit. JAMAIS !

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