Chapitre 13

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L’oreille gauche d’Edouard recevait des potins croustillants de la bouche de Marc. Son oreille droite tentait distraitement de suivre ce que racontaient Mr Silberdorn et Mlle Morvan. Ses yeux, eux, observaient à la dérobée un spectacle particulièrement intrigant ! Adrien, à deux places de lui, tournait le dos à leur flamboyante voisine commune et semblait subjugué par… Non, impossible. Mais pourtant, si ! Edouard fronça les sourcils, songeur.

« Tu ne m’écoutes clairement pas. »

Marc semblait agacé. Son ami lui lança avec un air de reproche :

« Chut. »

Son interlocuteur se tut, outré. Edouard reprit son observation. Soudain, un doigt apparut dans son champ de vision. Un index fin, parfaitement manucuré, et décoré d’un élégant tatouage, qui lui barrait la vue. Le danseur se retourna vers sa propriétaire avec un regard noir, mais M.A. lui retourna une expression grave.

« On est d’accord qu’il y a un truc qui se passe là. »

Edouard fut agréablement surpris. Une complice ! Il n’était donc pas le seul à l’avoir remarqué et son instinct ne semblait pas se tromper. Le jeune homme lança un sourire en coin à la gothique. Marc, à côté d’eux, ne suivait rien de leur échange et restait coi, le regard désormais braqué sur l’estrade.

M.A., elle, avait effectivement remarqué que quelque chose ne tournait pas rond. L’innocence de sa petite Emi était en danger. Ce garçon, Adrien, n’amènerait rien de bon, elle le sentait. La punk-gothique au visage impassible avait constaté le regard du danseur sur le charmant petit visage de son amie. Un regard brûlant. M.A. bouillonnait intérieurement. Alerte rouge.

Emi, elle, n’avait pas du tout conscience de ce qui se tramait dans l’esprit de ses voisins de rangée. Elle se contentait de rêver de sa future vie de danseuse étoile. Tout ce que cette femme expliquait avait un écho en elle, elles étaient sur la même longueur d’onde. Mlle Morvan représentait tout ce à quoi la jeune fille aspirait. Soudain, Emi se redressa, alerte.

« Bien, mes jeunes élèves, j’achève ici mon discours, je vous attends dans le studio B5 pour les auditions ! Puisse le sort vous être favorable ! »

Adrien leva les yeux au ciel. Quelle drama queen ! Voilà que la chorégraphe se prenait pour Effie Trinket.

Pour ce qui était de dramatiser tout, Emi n’était pas en reste et pouvait en ce point concurrencer son idole. Cette dernière sentit subitement son adrénaline monter et son cœur s’emballer. Les auditions ! Maintenant ! Tout de suite ! Elle se pâma, puis se tourna vers son voisin, et ouvrit la bouche pour parler. Cependant, en constatant qu’il s’agissait d’Adrien, elle s’arrêta. Elle resta immobile quelques secondes puis se tourna d’un grand mouvement de tête de l’autre côté, lui envoyant ses cheveux dans les yeux.

Adrien était resté un bon moment fasciné par l’expression de blobfish que lui avait adressé sa voisine. Jamais il n’aurait imaginé qu’un être humain serait en mesure d’esquisser une grimace aussi repoussante ; décidément cette fille était très talentueuse. Le danseur ricana, moqueur, quand son regard fut soudain aveuglé par un éclair blond. Elle avait osé. Adrien serra les poings. C’était une déclaration de guerre.

****

Emilie avait rejoint les vestiaires du studio si rapidement que Charlotte était persuadée qu’elle avait couru. Ce qui était profondément stupide étant donné qu’à présent, elle tournait en rond dans la salle d’attente, prête pour les auditions mais pas prête de passer… En effet, la pauvre était parmi les derniers. Elle, qui avait toujours aimé passer dans les premiers, était servie. De plus, elle avait vraiment été persuadée de passer rapidement, étant donné que son nom était assez haut dans l’ordre alphabétique. Mais pour innover, son idole avait décidé de faire passer les élèves dans le sens inverse de l’alphabet. Elle ne protestait pas, la décision venant de son idole, mais elle ne pouvait s’empêcher de stresser et de marcher.

Pour ne rien arranger, les passages des autres candidates la mettaient mal à l’aise. Les filles qui sortaient tremblaient de stress, et plus d’une s’était effondrée dans les bras de ses amies, en pleurs. Pourtant, une grande partie des filles avec qui elle attendait était sereine et confiante, notamment Channelle, la meilleure danseuse de dernière année, qui avait brillamment interprété Mary Poppins lors du spectacle de Noël de l’année précédente. Pourtant Émilie ne voulait pas se laisser faire, elle voulait décrocher un rôle important, elle voulait être la première année la plus talentueuse et la plus admirée, elle voulait devenir la danseuse la plus célèbre de l’école ! Et même du monde !

Adrien, lui, attendait dans le couloir, debout contre le mur. Il lui restait encore un peu de temps avant son audition. Plutôt que de rester avec ses amis stressés, qu’il faudrait peu sincèrement encourager et rassurer sur leur talent, le jeune danseur préférait détailler sa concurrence au moment où elle poussait la porte du studio. Une véritable étude sociologique. Les plus sereins arrivaient avec une expression de suffisance qui amusait beaucoup le jeune homme ; leur défaite n’en serait que plus drôle.

D’autres semblaient totalement paniqués, prenaient plusieurs grandes respirations avant de baisser la poignée dans un geste courageux, refermaient rapidement la porte et se retournaient, affolés, vers leurs amis en leur expliquant qu’ils ne pouvaient pas y aller, qu’ils avaient peur qu’on se moque d’eux, qu’ils ne savaient pas danser, qu’ils avaient oublié de prendre leurs pointes, leur pièce d’identité, leur goûter de réconfort…

Adrien se délectait du spectacle d’une cheville malencontreusement foulée quelques secondes avant le début des auditions et des larmes qui coulaient déjà sur le visage de certains qui pourtant, n’avaient pas encore été recalés et auraient mieux fait - selon lui - d’économiser leurs pleurs pour plus tard.

Peut-être qu’il aurait dû prendre des bouchons d’oreille. Les voix affolées de certains de ses camarades lui lacéraient les tympans. Sans parler de l’odeur ! Adrien songeait sincèrement à créer une collecte de fonds pour organiser une distribution de déodorant dans l’école. Il faudrait en parler à la direction.

« Adrien. »

En parlant du loup… Le jeune homme adressa un sourire froid à son père.

« Tâche de faire honneur à ton nom. »

Sur ces mots, sans attendre de réponse de son fils, Franz Silberdorn entra dans le studio. Il aimait assister à quelques auditions chaque année. Même s’il ne s’occupait jamais de la sélection, le directeur avait l'œil. Mlle Morvan saurait écouter ses commentaires avant d’émettre son jugement.

Adrien suivit son père à l’intérieur du studio. C’était l’heure. La chorégraphe n’avait qu’à bien se tenir, le jeune prodige s’apprêtait à l’éblouir !

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