6. Déstabilisant

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« Je présume que même reclus ici, tu n’as pas perdu une miette des évènements.

-Non, en effet. Attention à l’éprouvette, tu risques de la renverser en restant là.

-Qui est ton agent ? » demanda-t-il en s’éloignant de la haute table immaculée.

Son interlocuteur ne répondit pas et continua à secouer un bécher rempli de liquide fluorescent, tout en griffonnant des notes de sa main gauche. Il régnait dans le laboratoire une atmosphère étrange, probablement due aux immenses tubes translucides dont émanait un rayonnement vert, et qui chassaient la pénombre en lieu et place de lampes. Si l’espace central était impeccablement vide, on ne pouvait pas en dire autant des murs : ces derniers disparaissaient derrière des étagères ou autres supports chargés d’inventions douteuses et de substances peu éthiques.

« Pardon, Trajan, tu m’as parlé ?

-Qui te renseigne, Néron ? Aux dernières nouvelles, tu n’as pas d’espion.

-Crois-tu que j’en ai besoin ? répliqua-t-il de son ton gai. Je me suffis à moi-même.

-Bien, et plus concrètement ?

-Tu vois cette orbe posée sur mon bureau ?

-Juste sur ta droite ?

-Il n’y en a pas dix mille. Elle est reliée aux ampoules et miroirs fonctionnant au mana par un flux continu, ce qui me permet d’observer ce qui se trouve autour. Sa portée est limitée à l’enceinte de la capitale, mais en la perfectionnant je devrais voir plus loin.

-Tu veux dire que tu peux la connecter par magie à n’importe quel luminaire de cette cité, et percevoir ce qu’il y a dans son environnement immédiat ?

-Jusqu’à quinze mètres. Auguste m’a interdit d’un user pour l’aile du palais où nous logeons, malheureusement. Mais c’est le seul endroit auquel je ne peux accéder, alors tu penses bien que suivre les négociations à l’hôtel de ville n’était pas plus compliqué que de surveiller la foule.

-Tu peux enregistrer les visions ?

-Hélas, non, répondit-il en exagérant sa déception. Il faudrait un tout autre niveau de sorcellerie, et je n’ai pas le temps pour ça. Je suis occupé par autre chose en ce moment, vois-tu.

-C’est-à-dire ?

-Sérum de résurrection.

-Tu ne fais pas les choses à moitié.

-Jamais, tu devrais commencer à me connaître. Mais pourquoi être descendu me voir ? D’habitude tu évites mon labo comme la peste.

-J’ai besoin de ton paradigme.

-Continue, tu m’intéresse, lui lança le chercheur en allant prendre un bocal rouge qui brillait faiblement sur un présentoir.

-Tu as deviné que la révolte des marchands n’était qu’une imposture, cela va sans dire.

-Effectivement. Quand on leur a fait comprendre que nous n’étions pas dupes, la crise s’est étonnamment vite réglée.

-Mais que dissimulait cette diversion selon toi ?

-Ha, ça c’est un point intéressant.

-Tibère semble l’avoir compris, mais ne révèle rien depuis qu’il en a informé Vespasien. Et Auguste, bien entendu.

-Il a laissé Constantin dans le flou ? »

Trajan hocha la tête, sans que Néron ne puisse deviner son expression à cause de son casque.

« Eh bien, soit j’ai surestimé notre numéro deux, soit j’ai sous-estimé notre numéro dix.

-Je n’ai pas la moindre idée de pourquoi il est classé si bas.

-Il te fait peur ?

-Non, mais il est dangereux. En combat, je le détruirais en un claquement de doigt, mais question manipulation, c’est un vrai maître marionnettiste.

-Il est très intéressant sur ce point-là, approuva le scientifique. Je dissèquerais bien son cerveau après sa mort. Mais franchement, aucune raison de la hâter.

-Je suis d’accord. Maintenant réponds à ma question.

-Tu es bien impatient, s’amusa Néron en lui jetant un regard doré moqueur. J’ai en effet des pistes.

-J’ai ma claque des marchandages d’information, je te préviens.

-Même les Confidens peuvent avoir des traîtres en leur sein, tu ne crois pas ?

-Si c’est le cas, il faudra enquêter. Ça me fatigue rien que d’y penser.

-Pourtant, personne ne veut un nouveau coup comme celui de Germanicus.

-Ce n’était pas exactement une trahison, tu le sais comme moi.

-Tu as raison. Enfin, la vérité est toujours multiple.

-Tu aimes rester évasif à ce que je vois.

-Oui, et nous nous arrêterons là.

-Ah oui ?

-J’ai une expérimentation sacrilège qui ne m’a que trop attendu. Et je ne crois pas que tu veuilles y assister, si ?

-Agis donc à ta guise, ça ne changera pas de d’habitude. Je vais me rafraîchir les idées dehors.

-Bonne balade ! »

Le paladin ne répondit pas et commença à gravir les marches de l’escalier de pierre. Resté seul, le savant esquissa un sourire fou.

« Eh bien, notre cher conquérant est bien épuisé depuis hier. Peut-être que Titus n’aurait pas dû lui envoyer mademoiselle Lampone. Oui, il faudra que je pense à féliciter ce garçon. »

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