Orage noir

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Le cerveau de Lucien s'arrêta.

Comment ça, pas survécu ? Qu'est-ce que ça voulait dire ? Il resta là, à les regarder, tentant de saisir ce qu'on lui racontait.

Les policiers le laissèrent là et sortirent de la pièce. Puis ils revinrent et l'emmenèrent dans une autre salle. On lui demanda le nom de ses grands-parents. Une voix - la sienne ? - l'énonça. On lui donna un verre d'eau. Des gens passaient autour de lui, comme une agitation ambiante, un brouhaha sans signification. Les mots se mêlaient, se séparaient, s'envolaient tout autour de lui. Mais aucun ne venait le réconforter, tous s'en écartaient, comme s'ils avaient peur. Quelqu'un vint, et il fut mené dans une autre pièce. Deux personnes y étaient, elles pleuraient. Il fut embrassé, prit dans les bras de l'une d'elle. La plus petite le prit par la main, une voix résonna.

« Il est en état de choc » fit une autre. Puis il se fit tirer par le bras à l'extérieur et dans une voiture ; on le fit sortir du véhicule et il fut dirigé jusqu'à une pièce blanche avec un lit, où on l'assit de nouveau. Les silhouettes restèrent auprès de lui un moment, puis s'en allèrent.

Il était parme, le lit. Et le montant en chêne, avec des fleurs sculptées dans le bois. Plus loin, il y avait un simple bureau, recouvert de papiers multicolores. Il était chaud, le lit.

Quelqu'un revint et parla, mais sa voix ne l'atteignit pas. On lui mit une couverture sur les épaules.

« Tu ... froid » furent les seuls mots qui lui parvinrent. On ouvrit les volets. La lumière de la nuit emplit la pièce. La poussière dansa, comme un balet de particules qui volaient dans la pièce. Puis un air froid entra, glaçant ses membres, rampant tel un serpent à travers tout son être. La seconde personne revint. « Couche-le » fit la voix grave.

On l'allongea. On referma ses yeux. « Dors » résonna la voix.

Puis le noir le prit.

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Lucien s'éveilla avec une impression de douceur et de chaleur telle qu'il ne les avait jamais ressenties de toute sa vie. C'était comme s'il était entouré tout entier d'un cocon chaleureux, où seules les pensées les plus lumineuses avaient encore accès à son esprit. Puis, lentement, la consciense lui revint, et il ouvrit les yeux. Il reconnut la chambre dans laquelle il se trouvait comme était celle où il dormait lorsqu'il restait chez ses grand-parents maternels. Encore tout engourdi, le monde lui paraissait flou, et il prit bien soin de regarder où il mettait les pieds en descendant du lit, puis en rejoignant la cuisine où il se doutait que ses aînés déjeûnaient déjà étant donné l'heure tardive. Il arriva lentement près de la porte en bois, hésita une seconde, avant de pousser doucement le battant. Pour une raison dont il n'arrivait pas encore à se souvenir, il avait presque peur de leur faire face, ce matin-là. Peut-être était-ce à cause de ce cauchemar qui l'avait hanté tout au long de la nuit ?

  • Bonjour, papy, mamie, fit-il en étouffant un baillement.

Il vit deux visages pâle, en manque certain de sommeil, entourés de leur hâlo de cheveux blancs, se tourner vers lui avec une expression de surprise mêlée de chagrin.

  • Bonjour, mon garçon, répondit le premier son grand-père d'une voix brisée.
  • Vous n'avez pas l'air en forme, aujourd'hui, dites-moi. J'espère que vous n'avez pas fait de cauchemar vous aussi !
  • De... cauchemar ? Interrogea la femme.
  • Oui, j'ai rêvé que papa, maman et Karlene avait été percutés par une voiture, fit-il d'une voix empreinte de tristesse, mais ce n'était qu'un cauchemar, heureusement.

Les deux adultes échangèrent un regard qu'une autre personne aurait sans doute remarqué, mais Lucien se contenta de se retourner pour remplir un bol de lait qu'il fit chauffer.

  • Lucien, mon chéri, viens donc t'asseoir, murmura Rosemonde

Il s'exécuta, posa son bol sur l'ancienne table en bois et commença à étaler de la confiture sur un bout de pain un peu dur qui datait certainement de la veille. C'est alors seulement qu'il remarqua le regard avec lequel les deux aînés le fixait.

  • Qu'y a-t-il ? Pourquoi vous faites ces têtes d'enterrement tous les deux ?

Aucun ne répondit. Son aïeule fondit soudain en larmes, sous le regard attéré de Lucien, complètement perdu, tandis que son mari la serrait dans ses bras, retenant les siennes aux creux de ses yeux.

  • Mamie... ?

Ce n'était qu'un rêve, n'est-ce pas. Ça ne pouvait pas être vrai, c'était impossible, absolument impossible. C'était pourtant la seule hypothèse vraisemblable. Non, il devait y en avoir une autre !

Les larmes commencèrent à couler le long de ses joues, sans qu'il ne puisse les en empêcher, et fixa longuement sa grand-mère. Tout à coup, quelque chose en lui se brisa ; il explosa en sanglots, enfouissant sa tête en ses bras sur la table où ses tartines reposaient encore, intactes. Il pleura de tout son saoul, laissant court à la tristesse qui s'emparait si brutalement de lui.

Il ne savait pas depuis combien de temps il pleurait, combien de fois la main douce et chaleureuse était passée dans ses cheveux encore ébroussaillés, combien de fois il avait vu ces visages, leur visage, apparaître devant ses yeux, souriants à pleines dents.

Comment pouvaient-ils être partis ? Ils riaient encore la veille, il se souvenait de sa partie de carte avec Karlene quelques jours auparavant, du repas préparé avec sa mère l'avant-veille, du trajet de bus pris avec Tatianna, du message de son paternel qui attendait toujours d'être écouté dans sa messagerie vocale...

Ils étaient encore vivants, ça ne pouvait pas être autrement, quelqu'un lui faisait une très mauvaise blague, ils allaient rentrer par la porte d'ici peu de temps, le serrer dans leurs bras, l'embrasser, lui dire que ce n'était qu'un mensonge. C'était la seule chose à laquelle il pouvait penser, à laquelle il voulait penser, laisser ce mince espoir devenir réalité. Il aurait tellement voulu qu'ils soient là, qu'il puisse le leur dire en face, à quel point il voulait les revoir.

Un autre regard de son aïeul lui fit comprendre ce que les mots n'auraient pu exprimer. Ils étaient partis, ce n'était pas une hallucination. Ils ne les reverraient plus, il ne les serrerait plus contre lui. Il n'aurait jamais la chance de leur dire ce qu'il aurait voulu leur confier.

Il n'aurait jamais la chance de leur dire au revoir.

Ses pleurs redoublèrent d'intensité et il resta là des heures encore, jusqu'à ce que son corps ait épuisé toutes les larmes qu'il contenait, jusqu'à ce que son souffle soit court, jusqu'à ce que toute énergie le quitte et qu'il s'effondre, exténué, sur la table de bois sombre.

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