" Au surnom, connaît-on l'homme ?"

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NB : Les mots en straniens (russes) sont en gras italiques. J'ai mis la traduction en bas, si ça vous intéresse, mais c'est essentiellement (pour ne pas dire exclusivement) des insultes, des jurons ou des gros mots.

"Au surnom, connaît-on l'homme ?"

Proverbe français

 Dans le grand empire de Strania, un homme se tenait devant la baie vitrée de son bureau. La vue nocturne de Gorod qui d'habitude le calmait, n'avait aucun effet sur le feu de la fureur qui brûlait dans tout son être. Poings serrés, mâchoire crispée, il sondait l'horizon sans le voir, perdu dans ses propres cauchemars, hanté par les fantômes de son passé.

 Il était grand et de large carrure, ses cheveux bruns étaient noués en un petit chignon derrière son crâne et ses muscles seyaient sous son T-shirt moulant. Ses yeux bleus, froids comme la glace, formaient un saisissant contraste avec son visage, autrefois blanc, à demi déformé par la cicatrice d'une brûlure, témoin de l'enfer qu'il avait traversé.

 « Es-tu sûr de tes informations Sevastian ?

 — Oui, Adam, tu te doutes bien, que je ne t'en parle pas sans avoir vérifié auparavant.

 — Comment l'as-tu retrouvée ?

 — À sa disparition, j'ai fait jouer mes contacts aux douanes un peu partout dans le monde, juste au cas où. C'est Katherina, qui travaille à l'aéroport de Franc, une province du royaume de Lapanzie, qui est tombée sur le bijou lors d'un contrôle. Elle a posé des questions au propriétaire et il lui a répondu que c'était un cadeau que son nouvel associé stranien lui avait vendu pour fêter la signature de leur contrat. Il était fier comme un paon et lui a expliqué qu'il comptait l'offrir à sa benjamine, qui lui avait justement demandé une rose pour son retour de voyage.

 — Une rose ? Quelle gamine demande une rose comme souvenir de voyage à son père ?

 — La sienne visiblement ...

 — L'identité de l'homme ?

 — Il s'appelle Maurice Lemarchand, PDG d'une entreprise d'import-export, il comptait ouvrir son marché avec l'Empire, d'où son voyage par chez nous.

 — Il est de mèche avec nos opposants ?

 — Je ne pense pas. Pour être honnête, je pense qu'il sert simplement de mule.

 — De mule ?

 — Oui, j'ai l'impression qu'on lui a offert la rose pour qu'il la sorte du pays. J'ai vu la photo du bonhomme... Regarde par toi-même, tu comprendras. »

 Sevastian sortit le document du dossier qu'il tenait sous son bras et le tendit à son supérieur. Adam le prit et observa le visage souriant de l'homme qui était dessus. Petit et rondouillard, chacun de ses traits transpirait la bonhomie. C'était écrit pigeon sur son front. Il rendit la photo à son bras droit et fronça légèrement les sourcils.

 « Renseigne-toi sur son fameux associé, ce type à l'air terriblement naïf, je l'imagine sans peine se faire entuber sur toute la ligne.

 — C'est aussi ce que je pensais. Et j'ai localisé l'ublyudok en question.

 — Qui ?

 — Oleg Ivanov.

 — Ça ne me dit rien...

 — C'est normal, ce n'est qu'une petite frappe. Ivanov est un sombre PDG à la tête de plusieurs entreprises toutes aussi obscures. Le contrat en question est effectivement complètement véreux et vise à engendrer la faillite de son nouveau partenaire. Oleg fonctionne ainsi, il sélectionne ses cibles parmi les petits conglomérats en plein essor, les courtise, leur promet la lune et s'assure de les traîner dans la boue pour ensuite racheter leur société pour une bouchée de pain et ainsi faire fructifier sa fortune. »

 Aucun des trois hommes ne connaissait cette raclure. Mais quelques heures enfermé dans la salle de la Vérité et tout le monde vous révélait ses petits secrets. Sevastian aimait bien cette salle.

 Elle était composée de murs de béton aspergés de sang, le plafond bas, les néons qui grésillaient, la table en bois avec les divers outils de tortures dispersés sur toute sa surface, sans oublier la chaise en fer au milieu pour le prisonnier. Il y avait même le petit trou dans la tuyauterie pour mimer la fuite d'eau. Toutes les conditions réunies pour faire obtenir des aveux complets à la plupart des gens. Parfois, il fallait montrer les muscles, mais cela restait plutôt rare.

 « Il a des liens avec la mafia ?

 — Et comment ! Il travaille pour les ordres de Smirnov... »

 Ce nom suffit à raviver le brasier de fureur dans les veines d'Adam. L'héritier du sukin syn qui avait tué Ivan et Elena... Dans un cri, il renversa le contenu de son bureau sur le sol.

 « Trouve-moi ce Maurice Lemarchand et récupère la rose !

 — Adam, il y a un problème dans toute cette histoire...

 — Quoi !? »

 Le rugissement de l'homme exprimait toute la rage et la frustration qu'il retenait depuis l'instant où il avait appris que la rose, l'emblème de la Krasnaya Roza, la plus puissante mafia du grand empire de Strania, venait d'être localisé en Lapanzie. Symbole de la puissance de la mafia certes, mais aussi de son cauchemar personnel.

 « La benjamine des Lemarchand est aussi la duchesse de Galloway. »

 Le sang quitta momentanément le visage d'Adam. Ces mudaks avaient impliqué la noblesse lapanzienne dans cette histoire. Un rire sans joie éclata dans le bureau et le désespoir le gagna bientôt. « Shlyukha » jura Adam. Il fracassa son poing contre le mur.

 Accuser un membre de la noblesse étrangère pouvait déclencher une guerre. C'était un plan brillamment pensé et il était sûr que Smirnov avait parfaitement calculé son coup.

 « Ils n'iront pas la récupérer. Ils l'ont donné pour la mettre hors de notre portée, son existence suffit à nous narguer et montrer notre incompétence. Blyad', j'ai vraiment sous-estimé ce mudak. »

 Retrouvant peu à peu son sang-froid, le chef de la KR réfléchit à un plan. Il était hors de question qu'il laisse gagner son ennemi. Jetant un coup d'œil à Sevastian, un petit sourire commença à se dessiner sur son visage.

 Son fidèle bras droit se tenait derrière lui. Il était grand de large carrure, le visage marqué par une cicatrice au niveau de l'arcade sourcilière qui tranchait avec le noir de sa peau. Le crâne rasé, un bouc bien taillé et des lèvres pulpeuses soulignaient la lueur meurtrière qui brillait dans ses yeux noirs. Malgré tout, il était vraiment séduisant, surtout comparé à lui et son visage défiguré.

 « Sevastian, mon ami, as-tu confiance en tes talents de séducteur ? »

 La mâchoire de l'homme se décrocha de surprise et les bras lui en tombèrent. Il ne suggérait tout de même pas que... « Oh non ! Hors de question » pensa-t-il.

 « Oh si ! Tu es le seul que je peux envoyer, compte tenu de la situation de crise par laquelle nous passons. Enfin le seul à part moi et je doute que cette petite duchesse se laisse facilement amadouer par ma gueule d'ange, si tu vois ce que je veux dire... »

 Il comprenait très bien. Suite à l'incendie de son domicile qui coûta la vie de sa femme et de son fils, Adam s'était retrouvé complètement défiguré à cause de multiples brûlures.

 Chaque jour, ses cicatrices lui rappelaient ce tragique accident et l'échec qu'il représentait. On le surnommait la Bête tant par son aspect monstrueux que par son impitoyable réputation de tueur qui ne tolérait aucune erreur.

 Les épaules de Sevastian s'affaissèrent. Pour le bien de son ami, il allait devoir courtiser une duchesse. Une duchesse ! Il espérait qu'elle serait au moins jolie, cela rendrait sa tâche plus agréable.

 « Tu n'auras pas besoin de la mettre dans ton lit, mon vieux, essaies simplement de gagner sa confiance pour voir s'il est possible de récupérer notre bien en douceur. Sinon nous devrons la voler ! »

 Une fois le choc passé, le second de la KR hocha légèrement la tête pour approuver la pertinence de ce plan.

 « En plus de faire ami-ami avec elle, je vais tester les mesures de sécurité de sa résidence et déterminer où elle l'entrepose, ce sera plus simple si nous devons procéder au plan B.

 — En effet ! Prends tous les hommes dont tu auras besoin. Tu as carte blanche sur la manière de procéder. »

******

 Sevastian sourit, son chef était de retour. La fureur avait laissé place à une profonde détermination. Bien, il le préférait ainsi. À presque 35 ans, Adam était à la tête de la KR. Il avait succédé à son père, Sergeï, alors qu'il n'était qu'un adolescent.

 Dix-sept ans plus tôt, un puissant ennemi avait réussi à infiltrer leur organisation massacrant bon nombre de leurs membres y compris leur chef et sa femme Erika. Cette dernière avait réussi à emmener sa plus jeune fille, âgée de sept ans, pour la mettre en sécurité, mais s'était fait tirer dessus.

 Elle avait tout de même réussi à la mettre dans la voiture et à quitter le lieu de l'affrontement, mais la perte de sang avait eu raison d'elle et elle était morte au volant, une cinquantaine de kilomètres plus loin, en plein cœur du désert de glace.

 Croyant avoir perdu la totalité de sa famille l'adolescent qu'il était à l'époque avait pris les rênes de la mafia d'une main de maître avec l'aide de Sevastian, son meilleur ami, réorganisant leur rang et renforçant leur puissance.

 Il s'était fait la promesse que plus jamais une tragédie pareille ne soit à nouveau possible. Après avoir soumis un à un chacun de ses opposants, il avait enfin accompli sa revanche quand la femme de Smirnov et son fils s'était pointé sur le pas de sa porte.

 Mais l'histoire ne s'arrêta pas là. Smirnov s'était vengé en retour. Il avait volé la rose d'Or de Rubis et d'Émeraudes et dans un ultime acte de folie avait mis le feu à la maison d'Adam avant de fuir dans la nuit.

 Malheureusement, Ivan et Elena se trouvaient à l'intérieur et ne purent s'échapper à temps. Il avait tenté de les sauver, ce qui lui avait valu de nombreuses cicatrices sur le visage et sur tout le corps, mais avait échoué dans sa tâche.

 À son réveil, il s'était pensé maudit, ses parents étaient morts, sa sœur restait introuvable, sa famille avait péri et le symbole de son pouvoir avait disparu. Il avait sombré dans une profonde dépression qui aurait mené à l'annihilation de la mafia s'il n'avait pas repris goût à la vie au retour miraculeux de Nina, sa petite sœur.

 Sevastian, Nina et Suzaku - son garde du corps - savaient que ses sombres démons venaient encore le hanter et qu'il était bien loin d'être guéri. Ils savaient que ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne sombre à nouveau dans le désespoir et la folie.

 Quand la plus jeune avait été en âge de travailler pour lui, elle s'était chargée du nettoyage - exécuter les déserteurs et les opposants d'une balle en pleine tête - délestant ainsi son frère de cette tâche.

 Suzaku, qui était tous les jours à ses côtés, se chargeait de surveiller son état émotionnel et contactait Sevastian pour qu'il puisse le relayer quand il s'approchait de trop prêt du point de rupture.

 Tous trois souhaitaient secrètement depuis longtemps qu'il tombe à nouveau amoureux espérant ainsi qu'il retrouve goût à la vie. Mais l'homme ne leur facilitait pas la tâche, persuadé que personne ne pouvait aimer un homme comme lui.

******

 « Ceci, étant fait, concentrons-nous maintenant sur le deuxième point de cette réunion. »

 Adam se tourna vers Suzaku qui attendait devant la porte. Issu de la branche orientale de la mafia Stranienne, il était svelte, de petite taille, souple et plutôt mince. Il avait la peau blanche légèrement halée par le soleil, des yeux bridés et de longs cheveux noirs noués en une tresse qui retombait sur son torse.

 Les bras croisés, nonchalamment adossé, il prenait son rôle très au sérieux et suivait son chef comme son ombre. Il lui tendit un très fin dossier qui contraria fortement son supérieur.

 « C'est tout ce que nous avons ?

 — Malheureusement oui.

 — Comment cela se fait-il ?

 — Ils sont très, très prudents... »

 Adam soupira de frustration.

 « Bien, je t'écoute, dis-moi ce que tu as trouvé.

 — Et bien... En réalité, je n'ai pu que confirmer que la sculpture que tu as remarqué était effectivement une contrefaçon... »

 Sebastian jura tout bas. Non seulement, Smirnov se moquait d'eux avec cette histoire de rose, mais ils venaient d'apprendre que des mudaks bien organisés se servaient allègrement dans la marchandise de la KR pour la revendre dans leur dos.

 Les trois hommes se murèrent dans un profond silence, réfléchissant aux implications que cela provoqueraient. Le soupir de Suzaku brisa l'ambiance pesante.

 « J'ai peut-être une idée pour obtenir plus d'informations...

 — Je t'écoute !

 — Ma petite sœur est une hackeuse de haut niveau. Donne-lui un ordinateur et presque rien ne lui résiste ! C'est aussi une redoutable combattante. Elle me fait souvent penser à Nina dans sa façon d'être... Enfin bref, Je pense qu'Hikage pourrait remonter la piste des voleurs par voie informatique.

 — Bien. Appelle-la ! Si elle est aussi douée que tu le dis, elle pourra nous être utile pendant l'absence de Sevastian. J'irais voir Nina à la première heure demain matin, pour qu'elle enquête avec nous. »

 Si la surprise marquait le visage des deux hommes, ils ne dirent rien. Adam était très protecteur envers Nina, lui demander d'enquêter c'était l'exposer. La situation était vraiment désespérée pour qu'il en arrive à cette extrémité. Fidèles et obéissants à leur chef, ils partirent chacun de leur côté accomplir les ordres qu'ils avaient reçus.

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ublyudok : bâtard

sukin syn : fils de pute

mudak : connard

shlyukha : putain

Blyad': merde

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