" Pour chasser le lion, penser en termes de lion, pas de souris "

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" Pour chasser le lion, penser en termes de lion, pas de souris "

Thomas Drier

 Bien installé dans la petite chambre qu'il avait transformé en poste d'observation, Sevastian regardait l'écran devant lui. Son équipe n'avait eu aucun mal à localiser le nouveau propriétaire de la rose même si sa présence n'avait pas encore pu être confirmée. Ils étaient présents sur les lieux depuis près de trois jours, dormant dans un motel miteux en périphérie de la ville. 

 Le premier jour, ils s'étaient contentés de visiter la ville et d'en prendre la température. Le second, ils avaient réussi à pirater le système de vidéo-surveillance de la villa, mais même ainsi, on ne parvenait toujours pas à trouver le bijou. Et depuis, une partie de l'équipe surveillait les écrans à l'affût du moindre détail pendant que d'autres ouvraient une enquête sur la vie d'Isobel Lemarchand et de ses proches.

 Sevastian restait tout de même perplexe. S'il avait été une jeune femme, duchesse de surcroît, il aurait fièrement exposé le bijou aux yeux de tous. Au lieu de cela, il n'y en avait aucune trace. Comme si, elle ne l'avait jamais reçu. Il médita sur cette information et se tourna vers son second.

 « Sacha ? Et si le bijou n'était pas pour la duchesse ? Je vois mal Lemarchand acheter la rose pour lui-même et comme sa femme est décédée, elle a soit été offerte à l'une ou l'autre de ses filles, soit à une maîtresse. Des nouvelles de ce côté-là ? »

 Le dénommé Sacha releva la tête à la question de son supérieur. Il attrapa un dossier sur son bureau et le tendit à l'autre homme.

 « Non. Le père ne s'est pas remarié et ne semble fréquenter aucune maîtresse. Tu as vu sa photo, tu sais donc à quoi il ressemble. Cela fait un an qu'il a fondé son commerce et il semble y consacrer tout son temps. Il entretient une bonne réputation dans le milieu.

 — Seulement un an ? Que faisait-il avant ?

 — Rien, il était au chômage. D'après les informations que nous avons récupérées, il était magasinier dans une petite entreprise locale qui a fait faillite.

 — Licenciement économique, donc ?

 — Ouais...

 — C'est moche. Et comment a-t-il obtenu les fonds pour fonder son propre business ?

 — Sa fille, la duchesse, elle lui a fait un prêt et il lui rembourse au fur et à mesure.

 — Je vois ... »

 Il allait donc devoir suivre le plan d'Adam et gagner la confiance de la demoiselle. À condition qu'elle soit bien la destinataire du présent...

 « Qu'avons-nous d'autres sur ses filles ?

 — Les aînées ont 27 ans, de vraies jumelles, impossible de les différencier. Blondes aux yeux bleus et d'après leur dossier médical, mesurent 1m70 pour 55 Kg. Elles sont dépensières et égoïstes et semblent vouer une haine sans borne envers leur plus jeune sœur.

— Et la benjamine ?

— Isobel, 25 ans, petite et corpulente -1m50 pour 80 Kg - les cheveux rouge cerise originellement châtain clair et les yeux bleus. Elle aime lire et passe plus de temps avec la plèbe qu'avec ses pairs, ce qui lui permet d'ailleurs d'être très active dans la communauté. D'après les avis des membres du parlement, aux côtés de qui elle siège, elle est respectée et fait du bon travail. »

 Sacha lui montra la coupure du journal qui faisait mention du premier bal auquel elle avait assisté. Un petit sourire naquit à la commissure de ses lèvres. Soit cette fille possédait des goûts horribles, soit c'était délibérément calculé. Et au vu de la notoriété qu'elle en avait tiré, il penchait plutôt pour la deuxième option. Une question restait en suspens.

 « Comment se fait-il que ce soit elle qui porte le titre et non ses sœurs aînées ?

 — On l'ignore. Toutefois, peu de temps après le décès de sa mère, elle s'est rendu en province de Galicie pour rejoindre sa grande tante Meryl Fairthchild, la duchesse de Galloway. Elle est restée à ses côtés jusqu'à sa mort, survenue cinq ans plus tard. Dans son testament, la vieille Lady la désignait comme sa seule et unique héritière. On pense que c'est parce qu'elle était la seule présente à ses côtés, qu'elle en a décidé ainsi, mais rien n'est complètement certain.

 — Et il est conséquent comment cet héritage ?

 — Elle est devenue du jour au lendemain la plus riche propriétaire terrienne du pays et sa fortune la place dans le top cinq des plus grosses fortunes lapanziennes et le top 20 mondial.

 — C'est probablement la raison de l'animosité des jumelles.

 — Ce ne serait pas vraiment étonnant, on en a déjà vu commettre des meurtres pour moins que ça. »

 Sevastian réfléchit quelques instants aux derniers mots et les implications qui en découleraient. Les membres de sa famille, seraient-ils capables d'en arriver à cette extrémité ? Il espérait bien que non.

 « Si le patriarche n'a pas de maîtresse, qu'en est-il des filles ? Des amants connus ?

 — Oui. Mademoiselle Laura semble fréquenter un certain Gustave Lefou, vicomte d'Argentan. Grand gaillard tout en muscle, d'environ 1m80, le teint mate, les cheveux blonds qui s'arrêtent au-dessus des épaules, attaché la plupart du temps en cadogan. Le sourire ultrabright, il aime user de ses charmes sur les demoiselles qui ne se font pas prier pour partager son lit.

 — Je vois... Et pour Mademoiselle Jade.

 — Ah... Celle-ci semble n'avoir aucun scrupule.

 — Pourquoi donc ?

 — Son amant, le comte de Rauzan, dénommé Gaston Legrand, est également le fiancé d'Isobel. Il est grand, le corps musclé, des cheveux noirs coupés ras, une barbe bien taillée et une peau noire sans défaut apparent. Il semble aussi propriétaire d'un ego surdimensionné et du fameux sourire qui fait des ravages auprès de la gent féminine. Le truc, c'est qu'il courtise sa promise assidûment et avec beaucoup d'extravagance, mais ne se prive pas de rejoindre le lit de l'aînée dès que possible.

 — Et Mademoiselle Isobel est-elle sensible à l'étalage de charme de ce Monsieur ?

 — Pas le moins du monde ! J'ai même l'impression qu'elle en a peur. »

 Sevastian prit le temps d'étudier cette information. Qu'est-ce qui pourrait pousser un Don Juan à courtiser une femme comme Isobel ? Prenant la photo de la jeune femme dans le dossier que lui avait tendu Sacha, il la dévisagea avec attention. Elle possédait certes un petit je-ne-sais-quoi qui la rendait attirante, mais ses traits restaient plus que quelconque. Elle n'avait vraiment pas le genre de physique pour qui les hommes faisaient la queue, transit d'amour. Ça, c'était le privilège de ses aînées.

 Le terme « fiancé » résonnait à ses oreilles. Gaston avait-il décidé d'épouser la seule femme se refusant à lui ? Ou bien, cela cachait une machination plus obscure ? Pourquoi cet homme souhaitait à ce point épouser la demoiselle, quand une femme comme Jade réchauffait déjà son lit ? Si ce n'était qu'une question d'héritage, marier l'ainée suffirait à mettre la main dessus. À moins que...

 « Tu as bien dit que la plus jeune était la seule dépositaire du testament ?

 — C'est exact.

 — Et si elle était la victime d'un coureur de dot qui souhaite mettre la main sur son argent ? Creuse un peu plus de ce côté s'il te plaît, commence par le contenu du testament et vérifie l'état des finances de ce comte de Rauzan.

 — Bien Patron ! »

******

 Le regard de Sevastian se posa à nouveau sur les écrans devant lui. Il observa avec plus d'attention la routine de chacun des habitants de la villa, spécialement celle de sa cible. En la voyant s'animer, son cœur se serra de pitié. Tant d'innocence transparaissait de ses traits et de ses manières, alors qu'une aussi lourde charge pesait sur ses épaules.

 Il remarqua qu'elle faisait partie de ces gens qui dégageaient un charme subtil qui se traduisait dans chacun de leur geste. Le plus surprenant était qu'elle semblait sincèrement se soucier du bien-être des habitants de cette maison, même celui de ses horribles sœurs. Face à son dévouement, il espérait que quelqu'un veillait sur elle, même dans l'ombre. L'étudiant encore un instant, il en tira tout de même une certitude : qu'elle ait besoin d'un chevalier servant ou non, elle régnait en maître dans cette demeure.

 Une heure plus tard, Sacha l'interpella à nouveau.

 « Patron, je crois bien que j'ai quelque chose !

 — Je t'écoute !

 — J'ai réussi à pirater la base de données du notaire de la précédente duchesse. Il est stipulé que si Isobel se marie, l'homme deviendra Duc et aura un accès à la fortune qui va avec. De plus, il pourra siéger à la chambre des Lords et influencer les décisions que le ministère prendra.

 — C'est donc ce que Gaston convoite.

 — Gaston et les autres. Je pense qu'ils ont monté un plan tous ensemble. L'homme courtise la petite, la séduit puis l'épouse. Une fois, le mariage scellé, à eux la richesse et le pouvoir. Surtout que les deux hommes sont sur la paille et les lois en passe d'être votées n'arrangent pas leurs affaires.

 — Je vois... »

 Sevastian se passa la main dans les cheveux, soudain très las. Quand il avait accepté cette mission, il pensait que ce serait relativement simple. Mais à la lumière de toutes ses informations, il ne serait pas étonné que sa cible soit sur ses gardes. Elle semblait trop intelligente pour laisser un étranger entrer dans sa vie par simple amitié.

 S'il maintenait le plan initial, il allait devoir attendre des mois, voire des années avant qu'elle ne baisse sa garde. Ce qui était totalement impossible. Adam avait été très clair, il voulait la rose, maintenant, peu importe la manière de procéder. Il se félicitait de l'absence de son ami plus sauvage. Il n'aimait pas traumatiser les gens, et il était évident que si quelques-uns des habitants méritaient une bonne leçon, aucun ne faisait le poids face à un bataillon de la KR.

 Sacha attira de nouveau son attention sur l'affaire en cours.

 « Il y a autre chose...

 — Dis-moi tout.

 — L'identité de tous les domestiques a pu être vérifiée sauf celle de Ferdinand Murphy, le fils du majordome et secrétaire personnel d'Isobel.

 — Mais encore ?

 — Il n'y a rien sur lui. Je mettrais ma main à couper que ce type n'est pas ce qu'il prétend être. Ou en tout cas, pas seulement ce qu'il prétend être.

 — Il pourrait poser problème ?

 — Je l'ignore, mais d'après nos gars, il a commencé à mener l'enquête sur Ivanov et sur ses liens éventuels avec Smirnov...

 — Je vois, surveillez-le. Tu penses qu'il se doute de quelque chose ?

 — Ça me parait bien gros comme simple coïncidence. Notre rose débarque ici et tout d'un coup une enquête sur les voleurs est lancée ....

 — Tu as raison. Il est peut-être temps que je commence ma mission d'infiltration alors.

 — Je pense aussi, patron. De quoi avez-vous besoin ?

 — De savoir où ma cible est le plus clair de son temps.

 — Dans une librairie du village. »

 Il lui tendit l'adresse sur un bout de papier que Sevastian prit, avant de se tapoter le menton avec. Il avait besoin d'un plan pour l'approcher. Il maîtrisait suffisamment la langue du pays pour communiquer, mais pas assez pour masquer son accent de l'Est. Il allait donc prétendre être un étranger en vacances à la recherche d'information sur la région. Oui, ça marcherait.

 Il sourit. La chasse continuait. Et il était un chasseur, un chasseur très patient, contrairement à Adam. Maintenant qu'il avait observé sa proie, il allait pouvoir l'approcher. De plus, la petite Isobel l'intriguait. Si elle cachait son jeu, il le saurait. Et dans le cas contraire... Eh bien, elle se sera fait un allié le temps d'une chasse.

*******

 Le lendemain, il se rendit sur place. Il trouva facilement une place devant la petite librairie du père Grandjean, où il gara sa voiture de location. Après avoir verrouillé les portes, il entra dans la boutique et trouva Isobel assise dans un grand fauteuil derrière le comptoir.

 À son arrivée, elle baissa le livre qu'elle lisait et se leva d'un bond en lui offrant un grand sourire.

 « Bonjour Monsieur, que puis-je faire pour vous ? »

 Il lui sourit en retour et lui répondit d'une voix mal assurée, butant sur certains mots, avec son accent très prononcé.

 « Bonjour mademoiselle, je viens d'arriver sur le région, et je veudrais acheter oune guide en livre.

 — Bienvenue, alors ! D'où venez-vous, si ce n'est pas indiscret ? »

 Persuadé qu'il ne risquait rien, il lui dit la vérité. Mais quand son visage s'illumina et qu'elle lui répondit en stranien, il comprit qu'il avait peut-être fait une erreur. Pourquoi n'avait-il pas lu le détail de ses études ? Il espérait qu'elle n'était pas au courant de l'enquête menée par son secrétaire ou que, dans le cas contraire, elle ne fasse pas le lien avec lui.

 Isobel était fière d'elle. Elle possédait une parfaite maîtrise de ses émotions. Quand elle avait compris d'où venait son client, elle avait su avec certitude qu'elle avait affaire à un membre de la mafia stranienne. Ou bien, c'était un militaire. Mais qui de nos jours achète un guide de voyage quand internet se trouvait à porté de doigts ? Elle devait désormais découvrir à quel camp il appartenait. Et surtout agir avec beaucoup de prudence.

 Elle l'observa avec attention et rougit quand il le remarqua. Elle ne se maîtrisait peut-être pas complètement finalement.... Elle ne put s'empêcher d'être frappée par sa beauté. Il avait la peau plus foncée que Gaston et sa cicatrice au niveau de son arcade sourcilière lui donnait un petit côté sexy qui ne la laissait pas indifférente. S'il prenait le temps d'acheter un guide touristique, c'est qu'il n'avait pas l'intention de la tuer sur-le-champ.

 Peut-être pouvait-elle se rapprocher de lui et lui soutirer quelques informations. L'idée lui plut et dans son empressement, elle lui proposa de lui faire visiter la ville et de lui servir d'interprète le temps de son séjour. Au froncement de sourcil de l'homme, elle se rendit compte qu'elle venait de proposer à un parfait inconnu, un tueur de surcroît, de l'accompagner faire du tourisme. Elle s'admonesta une claque mentale.

 « Si cela ne vous dérange pas, mademoiselle, je vous avoue que j'en serais soulagé. Je ne maîtrise pas suffisamment votre langue pour en apprécier la région. »

Elle en fut ravie. Elle était tellement heureuse, qu'elle lui proposa de partir immédiatement avant qu'il ne change d'avis.

 Sevastian quant à lui était perplexe. Il pensait avoir bien cerné le personnage pourtant, mais ce comportement n'était tout simplement pas logique. À moins bien sûr qu'elle ne soit déjà tombée sous son charme. Il l'avait vu l'observer puis rougir quand il l'avait remarqué. Ou alors, elle avait compris qui il était et souhaitait en apprendre plus de son côté.

 Il espérait que ce soit la première option, car la deuxième était plutôt inconsciente de sa part. Enfin, il verrait. Pour le moment, il allait la suivre et tenter de lui soutirer quelques informations de façon subtile. Ce petit jeu du chat et de la souris lui plut soudain beaucoup !

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