"Mieux vaut le célibat qu'un mariage malheureux "

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"Mieux vaut le célibat qu'un mariage malheureux "

Proverbe juif

 Quand Isobel se réveilla, un SMS de Sevastian l'attendait sur son téléphone. Il disait qu'il avait du nouveau concernant sa demande et qu'il devait la voir au plus vite. Elle lui répondit aussitôt et lui donna rendez-vous au même endroit que la veille, une heure plus tard.

 Elle s'habilla à la hâte et descendit avaler son petit-déjeuner en quatrième vitesse. Après s'être brossée les dents, elle se dépêcha de rejoindre sa voiture. Sur le chemin, elle fut stoppée par Finn, son majordome.

 « Où allez-vous de si bon matin Votre Grâce ?

 — Finn ! Bien le bonjour, je me rends à un rendez-vous avec mon ami Sevastian.

 — L'homme que vous avez rencontré récemment ?

 — Lui-même.

 — Soyez prudente ma chère, nous serons tous affligés s'il vous arrivait malheur. »

 La dernière phrase murmurée par le vieil homme lui procura un léger pincement au cœur. Ainsi donc, Ferdinand avait parlé avec son père. Elle se dit qu'à son retour, elle devrait passer le voir pour mettre les choses au point avec lui.

 Elle n'aimait vraiment pas rester brouiller avec lui et son silence commençait à lui devenir pesant. Quand elle atteignit enfin sa voiture, elle croisa Gaston qui remontait le chemin. À sa vue, il se dirigea vers elle.

 « Isobel, tu sors ?

 — Quelle brillante déduction Gaston !

 — Tu comptes partir rejoindre ton ami ? »

 La manière dont il prononça le dernier mot sonnait comme une insulte et déplut fortement à la jeune fille.

 « Attention, Gaston, je ne suis pas sûre d'apprécier le sous-entendu...

 — C'est toi qui devrais te méfier ! Tu es ma fiancée, que penserait ton père de ton comportement ?

 — Je ne sais pas, sans doute que je suis une femme avisée de préférer un autre que toi.

 — Nous avons signé un contrat de fiançailles !

 — Rectification mon père et toi avez signé un contrat de fiançailles. Je n'ai jamais rien signé !

 — Même si ta signature n'apparaît pas, aux yeux de la loi, nous sommes promis l'un à l'autre et je ne te laisserais à personne !

 — Serais-tu devenu jaloux ? Venant de la part d'un homme qui bénéficie des attentions de ma sœur de manière quasi-quotidienne, c'est assez surprenant !

 — Oh, mais j'ai compris ! En fait, c'est toi qui essaies de me rendre jaloux ! C'est pour ça que tu vas voir ailleurs, n'est-ce pas ? »

 Elle en resta muette de stupeur. Il ne pensait pas sérieusement ce qu'il venait de dire ? Elle le savait narcissique, mais à ce point, ce n'était pas possible. Visiblement, si, puisqu'il interpréta son silence comme une affirmation.

 « Oh ma chère amie, il est inutile de vouloir me rendre jaloux ! S'il est vrai que je vois régulièrement Jade, c'est parce qu'un homme tel que moi à quelques besoins à satisfaire. Il faudra t'y faire, d'ailleurs. Mais je ne compte épouser personne d'autre que toi, ne t'en fais pas. »

 Il lui avait pris la main pendant son discours enflammé, comme s'il souhaitait lui transmettre ses sentiments par ce biais. La jeune femme ferma les yeux, compta jusqu'à cinq pour se calmer et les rouvrit pour fixer son interlocuteur. À la guerre, comme à la guerre ! Si la manière détournée ne fonctionnait pas, elle allait lui parler franchement.

 « Gaston, quand bien même tu étais le seul être vivant à rester encore sur cette terre, je ne t'épouserais pas.

 — Mais pourquoi ! Je fais le meilleur des partis dans tout le royaume. Je suis beau, fort et les femmes ne cessent de tarir d'éloges à mon sujet. Alors que toutes espèrent me passer la bague au doigt, pourquoi t'obstines-tu à refuser ?

 — Parce que tu ne m'aimes pas ! Et moi non plus !

 — Qui parle d'amour dans un mariage ! Tu es tellement naïve, pauvre idiote, personne ne pourra aimer un gros laideron tel que toi, je suis ta meilleure option. Je te ferais l'honneur de me sacrifier pour te donner un enfant afin de donner un héritier à ton duché.

 — Te sacrifier ! Non mais tu t'entends parler Gaston ! Tu penses que parce que je suis une femme, que je suis "un gros laideron", pour reprendre tes mots, je dois te remercier de la faveur que tu me fais, sourire et dire oui à tout ce que tu dis ?

 — Et bien oui, c'est exactement ça.

 — Tu sais quoi ? Je préfère encore mourir seule et sans héritier plutôt que de m'unir à toi !

 — Tu as des devoirs, Isobel !

 — Mais dans quelle époque vis-tu ? Je n'ai aucun devoir ni compte à rendre à personne ! Si je meurs sans héritier, mon titre et ma fortune reviendront à la couronne qui en fera don au peuple !

 — Il en est hors de question ! Une telle chose serait une honte pour l'ensemble de la noblesse. Tu m'épouseras que tu le veuilles ou non !

 — Tu ne peux pas m'y obliger !

 — Vraiment ? »

 Il s'approcha doucement d'elle, les yeux brillants de folie. Se penchant à son oreille, il lui chuchota un avertissement qui la pétrifia d'horreur.

 « Il serait dommage qu'un malheur arrive à ton pauvre père par la faute de ton entêtement ridicule. Tu ne crois pas ? »

 Elle releva bravement sa tête pour le regarder dans les yeux.

 « Tu me menaces ?

 — Si pour arriver à mes fins, il faut en passer par là, alors je le ferai. »

 Il était sérieux. Elle le savait. Il n'hésitera pas un seul instant à blesser ceux qu'elle aime pour atteindre son but. Quand elle prit pleine conscience de cela, sa peau pâlit doucement et la peur s'immisça dans ses veines, la glaçant jusqu'au sang. Et alors qu'elle restait coite de stupeur, il souriait, satisfait de son effet. Tapotant sur le toit de sa voiture, il poursuivit d'une voix guillerette.

 « Commence à réfléchir au choix de ta robe. Et par pitié, une vraie robe, pas une de ses horreurs que tu t'acharnes à porter... »

 Puis il s'en alla, en chantonnant. Il fallut plusieurs minutes à Isobel pour calmer le feu de la rage qui brûlait désormais en elle. La voix de Meryl se fit entendre dans son esprit : « Une duchesse ne cède pas, même devant la menace. Elle plie, elle tord, mais jamais ne romps. »

 Alors, se drapant de toute sa fierté, elle lui cria sa réponse d'une voix forte.

 « Gaston, je te prie d'avoir la décence de placer tes menaces là où le soleil ne brille jamais, car je te le répète, en aucun cas, je ne t'épouserai. »

 Elle monta ensuite dans sa voiture et démarra en trombe pour rejoindre son rendez-vous. Elle jeta un dernier coup d'œil dans son rétroviseur et vit que l'homme l'observait, une haine farouche se consumant dans ses yeux. Elle préférait ne pas penser à ce qu'il se passerait s'il décidait d'exécuter ses paroles.

 Une chose à la fois. D'abord gérer le problème de la mafia, ensuite celui de son prétendu fiancé. Se tapant la tête contre le volant, elle se demanda ce qu'elle avait donc bien pu faire au karma pour qu'il s'acharne autant sur elle.

******

 Elle se gara enfin dans le centre-ville et se dirigea vers la fontaine où l'attendait déjà Sevastian. À sa vue, il se redressa avec grâce et se dirigea à sa rencontre. Elle avait beau savoir qu'il avait du sang sur les mains, elle ne pouvait s'empêcher de le trouver infiniment meilleur que l'homme qu'elle venait tout juste de quitter.

 Elle avait la certitude qu'il ne s'en était jamais pris à un innocent et qu'il ne lui ferait aucun mal, à moins d'y être obligé. Elle admirait sa démarche féline et sa large carrure. Comme elle aurait aimé avoir un homme comme lui pour la protéger et l'aimer sans condition. Un voile de tristesse s'abattit sur ses épaules. Gaston avait raison sur un point, sans sa fortune, elle n'avait aucune chance de ferrer un poisson pareil.

 « Pourquoi cette mélancolie dans tes yeux, mon amie ?

— Suis-je vraiment ton amie, Sevastian ?

— Après tout ce que nous avons partagé, durant ces trois jours, je pense que nous sommes plus que de simples connaissances, tu ne crois pas ?

— Était-ce seulement réel ?

— Que donc ?

— Ce que nous avons partagé. Était-ce vraiment réel ? Ou bien l'illusion d'une vérité ?

— Tu en sais plus sur moi que la plupart de mes hommes, Isobel. Je ne sais pas quoi te dire de plus pour te convaincre.

— Si on t'en donnait l'ordre, me tuerais-tu ?

 — Je ne reçois mes ordres que d'Adam, et il ne m'a encore jamais demandé de tuer des innocents, seulement nos ennemis. Et tu ne seras jamais mon ennemi.

— D'où te vient cette certitude ?

—Serais-tu capable de pointer une arme sur moi et de tirer ?

— Non.

— Alors tu as ta réponse.

— Je ne suis pas obligée d'user de la force pour te détruire.

— Isobel, tu as refusé que je tue ceux qui te persécutent. Tu m'as offert à manger, guidé dans les rues de la ville, tu m'as tenue compagnie pendant cette exposition artistique, alors même que tu savais qui j'étais. »

 Voyant qu'elle n'était toujours pas convaincue, il soupira avant de continuer.

 « Ce que j'essaie de te dire, c'est que tu vois la bonté des autres avant de voir leurs défauts. Et si toi, tu veux m'éliminer, c'est que je l'aurais sans doute grandement mérité.

— Je ne suis pas une sainte.

— Je ne dis pas le contraire. Tu es toi, et c'est ce qui te rend unique. J'ai apprécié chaque instant passé en ta compagnie.

— Sevastian ? Est-ce que tu veux m'épouser ? »

 Sa question jeta un froid dans leur conversation, elle en avait conscience. Mais elle soutint le regard de l'homme. Elle avait beau avoir agi avec spontanéité, elle prit conscience qu'elle ne regrettait pas un seul de ces mots. S'il disait oui, elle était sûr qu'il prendrait bien soin d'elle et qu'elle trouverait du bonheur dans cette union.

 Quand il comprit qu'elle était sérieuse, il se passa la main sur le visage ayant du mal à y croire.

 « Es-tu devenue folle ?

— Non. Je suis très sérieuse. Tu es le seul homme à m'avoir montré un tant soit peu d'estime. Tu es charmant, beau, attentionné. Tu ne m'as ni insulté, ni courtisé pour mon titre ou ma fortune. Plus j'y réfléchis et plus je pense que tu es l'homme parfait pour moi. Tu es loyal, intelligent, autoritaire, mais aussi patient et ... »

 Il la fit taire en l'embrassant. Elle se raidit de surprise avant de se laisser aller en fermant les yeux pour savourer la sensation. Il approfondit le baiser avant de la relâcher quelques instants plus tard.

 « C'est bien ce que je pensais ... Isobel, au risque de heurter ta sensibilité, je suis un homme avec une certaine expérience en matière de séduction. Et s'il y a une chose que je sais, c'est différencier une chaste embrassade, d'une déferlante passionnée. Et ceci, ma chère, était empreint d'innocence et de pudeur et à l'exact opposé de la fièvre du désir. Donc je vais poser la question plus franchement. Pourquoi veux-tu m'épouser ?

— Et bien, je viens de te dire que c'est par...

— Non. Je suis doué pour cerner les gens, ça fait partie de mon travail. Tu es une grande romantique, en plus d'être spontanée et enjouée. Si tu me demandes de t'épouser, c'est pour une raison pratique, non par amour. Hors, sauf si tu y es contrainte, comme je le soupçonne en ce moment, tu ne souhaites pas réellement te marier avec moi. Je me trompe ? »

 Elle secoua sa tête en négation.

 « Alors pourquoi ? Qu'est-ce qu'il se passe pour que tu sois prête à sacrifier ton cœur et tes désirs pour la raison froide et pragmatique ? »

 L'inquiétude qu'elle lut dans son regard la toucha plus qu'elle ne voulut et l'émotion la submergea. Elle sentit ses barrières s'effondrer et ses nerfs lâchèrent d'un seul coup. Elle enfouit son visage dans son torse et laissa couler les larmes qu'elle retenait.

 Pris de tendresse pour ce petit bout de femme qui se tenait contre lui, Sevastian referma ses bras autour d'elle et attendit qu'elle se calme. Elle se redressa finalement et tenta de s'essuyer avec ses mains. Sortant de sa veste un paquet de mouchoirs, il vint à son secours et le lui tendit.

 « Merci... Je suis désolée pour ton T-shirt et pour m'être ainsi laissée aller.

— Ce n'est rien ... Ça va mieux ?

— Oui. »

 Elle renifla encore une fois et s'assit sur le rebord de la fontaine. Il en fit de même en prenant place à ses côtés. Elle contempla longuement le sol devant elle avant de prendre la parole.

 Elle lui raconta son altercation de la matinée. Elle n'omit aucun détail et lui parla de la peur et de la frustration qu'elle ressentait face à son impuissance. Quand elle eut fini, une grande lassitude la saisit.

 « Tu penses qu'en m'épousant, il ne pourra plus t'atteindre ?

— C'est ma fortune qui l'intéresse. Et mon titre aussi. En me mariant, il ne pourra plus y avoir accès, il devra donc y renoncer. Même me tuer ne résoudra pas son problème.

— Je comprends mieux maintenant. Mais je ne peux pas accepter.

— Pourquoi ? Je suis trop laide, c'est ça ?

— Isobel. À cet instant précis, j'ai envie d'étrangler cet ... Insolent personnage, pour ne pas dire autre chose, car je veux rester poli. Je réserve le même sort à toutes les personnes qui n'ont cessé de t'insulter. Oui, tu ne rentres pas dans les standards établis par les critères de la société. Mais qui a dit que cela t'empêchait d'être belle ? Qu'est-ce que la beauté si ce n'est un concept propre à chacun ? Tu es gentille, drôle, attentionnée, pleine de charme. Ta présence est pour moi une véritable bouffée d'air frais !

— Alors pourquoi ?

— Premièrement, je ne viens pas de ton monde. J'ai des responsabilités. Adam... Adam ne va pas bien. Et après la nouvelle qu'on vient d'apprendre, je crains que son état ne s'aggrave. Il a besoin de moi, et je ne peux pas l'abandonner. Deuxièmement, la vie à mes côtés est dangereuse. Je côtoie la mort chaque jour. Ton éclat finira par se ternir devant la violence qui règne au cœur de mon quotidien. Et ce n'est pas ce que je souhaite. Et enfin, troisièmement, et la raison qui me semble la plus évidente, tu ne m'aimes pas. Tu m'apprécies certes, mais tu ne m'aimes pas.

— Comment peux-tu en être sûre ?

— Isobel ... C'était ton premier baiser, n'est-ce pas ? »

 Elle affirma d'un petit hochement de tête.

 « Ça se voit. Tu ignores tout de la passion et du désir. Tu connaîtras cela un jour, mais pas dans mes bras. Et je ne veux pas te priver de ça...

— Donc c'est non.

— En effet.

— Je vois ... Je vais devoir trouver autre chose pour me débarrasser de ce pot de colle, alors.

— Une balle dans la tête a déjà prouvé son efficacité.

— Sevastian ! Je préfère ne pas résoudre mon problème par un meurtre.

— Tu vois ! Ça ne marchera jamais entre nous ! »

 Elle lui donna un petit coup de coude dans les côtes, un petit sourire au coin des lèvres, qui le fit pouffer tandis qu'il se frottait le flan pour diffuser la douleur.

 « Bon, de quoi voulais-tu me parler au juste ?

— Comme je te l'ai dit plus tôt, Adam ne va pas bien.

— C'est grave ?

— Je ne sais pas encore. Mais il faut que je rentre. Je voulais te demander de garder en sécurité la rose. Assure-toi qu'elle ne tombe pas entre de mauvaises mains. Quand j'aurais réglé les problèmes auxquels je dois faire face, je reviendrais avec Adam et tu pourras la lui rendre en main propre. C'est bon pour toi ?

— Oh ... j'espère que ça ira pour ton ami, alors ... Ne t'en fais pas, j'en prendrai soin et je la protégerais au péril de ma vie.

— J'aimerais mieux pas.... Trop de gens sont déjà morts à cause d'elle.

— D'accord, je retiens ! Quand partez-vous ?

— Le jet décolle demain matin à la première heure.

— C'est bien, vous éviterez ainsi les embouteillages de la capitale.

— Non, l'avion n'est pas à Franc, on décolle de Jetsenvol. C'est simplement qu'il ne peut pas être prêt avant.

— Ha. Eh bien, je suppose que je dois te souhaiter un bon voyage alors... »

 Il la serra dans ses bras et déposa un simple baiser sur son front. Elle lui rendit son étreinte.

 « Ce n'est pas un adieu, juste un au revoir Isy jolie. On se revoit bientôt ! N'oublie pas que tu dois me rendre un joyau d'une grande valeur ! »

 Il la lâcha ensuite et s'en alla rejoindre ses hommes qui l'attendaient au motel. Elle rejoignit sa voiture et prit le chemin de sa maison le cœur lourd de chagrin et l'estomac noué d'appréhension.

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