Solidaire malgré tout.
Le lendemain
Avant de se rendre à l’hôpital, Chris fit un détour par un fleuriste artisanal très en vogue sur les réseaux sociaux. Il espérait y trouver un magnifique bouquet de tulipes blanches — les fleurs préférées de Marie-Jo, comme il l’avait découvert sur son compte Instagram.
Il y ajouta un immense ourson blanc, qu’il fit livrer directement dans la chambre d’hôpital de sa maîtresse, espérant lui arracher un sourire.
En chemin, il appela timidement son beau-frère pour prendre des nouvelles de Lydia, tout en le suppliant de ne pas lui dire qu’il s’inquiétait. Tim, bien que réticent, accepta à contrecœur, préférant ne pas être pris entre deux feux.
À l’hôpital, l’étage où séjournait Marie-Jo était sous surveillance stricte. Seuls quelques proches triés sur le volet et les forces de l’ordre y étaient autorisés. Christopher Damien Laurent faisait partie de ce cercle restreint.
Une fois son identité confirmée, il monta jusqu’à la chambre, surveillée par deux agents en faction. Il s’arrêta un instant devant la vitre, observant Marie-Jo, allongée, l’air paisible malgré les fils et les machines branch à son corps. À ses côtés, une femme d’une cinquantaine d’années veillait, le visage marqué par l’inquiétude mais empreint de douceur. Les traits familiers trahissaient un lien de sang évident.
Sa mère, sans doute, pensa-t-il.
La voir vivante, consciente, éveilla en lui un profond soulagement. Pour la première fois depuis des jours, un véritable sourire naquit sur son visage. Il ignorait dans quel état il allait la retrouver.
Rassemblant tout son courage, il frappa doucement à la vitre. La femme leva les yeux et lui fit signe d’entrer.
— Bonjour, dit-elle d’une voix douce.
Marie-Jo, branchée à plusieurs machines, tenta de se redresser en le voyant. Elle lui adressa un sourire fatigué, mais sincère.
— Bonjour Chris… Merci d’être venu, murmura-t-elle.
Chris s’approcha doucement, lui rendant un sourire tendre. La voir consciente, en vie, dans un état relativement stable, apaisait une partie de ses angoisses.
— Je suis tellement désolé pour ce qui t’est arrivé. Comment tu te sens ? demanda-t-il, en s’asseyant à son chevet et en jetant un regard vers la femme assise de l’autre côté du lit.
— Ça va un peu mieux… maintenant que tu es là. Et toi ? Je sais que tu traverses pas mal de choses en ce moment… comment tu vas ? répondit-elle doucement.
— Ne t’inquiète pas pour moi. Ce qui compte, c’est toi, aujourd’hui, répondit-il avec sincérité.
La femme, de l’autre côté du lit, les observait avec bienveillance.
— Où sont mes manières ? Christopher, je te présente ma mère, Victoria, dit Marie-Jo en se tournant vers elle. Maman, voici Christopher. Un ami.
— Le Christopher ? lança Victoria, malicieuse, jetant un regard complice à sa fille. Enchantée. Marie-Jo m’a beaucoup parlé de toi.
— Maman, s’il te plaît… intervint Marie-Jo, gênée.
— D’accord, princesse, répondit Victoria en levant les mains en signe de paix. Je vais vous laisser un moment. Je vais chercher quelque chose de sucré à la pâtisserie d’à côté.
— Merci maman, mais promets-moi une chose : ne sors pas sans ton garde du corps. Tant que la police n’a pas arrêté le tireur, je veux que tu sois accompagnée, insista Marie-Jo, la voix tremblante.
— Oui, maman… répondit Victoria avec un sourire attendri, avant de quitter la pièce.
Chris se rapprocha doucement.
— Tu es sûre que tu vas bien ? demanda-t-il.
— La balle est ressortie d’elle-même. Heureusement, aucun organe vital n’a été touché. J’ai eu de la chance… murmura-t-elle, les larmes au bord des yeux.
— Tu as une idée de qui aurait pu vouloir te faire ça ?
— Aucune. Peut-être la femme jalouse d’un mari infidèle ? dit-t-elle d'un ton amusé.
— C’est sérieux, Marie-Jo. Quelqu’un a essayé de te tuer. Mais dis-moi… pourquoi étais-tu avec Lydia ce jour-là ? demanda-t-il, inquiet.
— Je ne l’étais pas vraiment. La dernière chose dont je me souviens, c’est de l’avoir vue dans mon rétroviseur. Je me suis penchée pour prendre mon sac, et… j’ai entendu les coups de feu. Ensuite, plus rien.
— Mais pourquoi avoir accepté de la voir, vu le contexte ? insista Chris.
— Elle allait mal. Elle a laissé entendre qu’elle voulait mettre fin à ses jours, dit-elle, grave. Et malgré tout… même si je me tape son mari dans toute les recoins de la ville, malgré tout, elle reste mon amie et je tiens à elle.
Chris, choqué, se redressa, jetant un regard vers la porte.
— Chut ! Attention à ce que tu dis.
Marie-Jo attrapa sa main.
— Merci d’être venu. Vraiment. Ça me touche. Pour une fois qu’on se voit sans que ta langue soit entre mes cuisses… chuchota-t-elle en souriant.
La remarque éveilla en Chris un frisson instinctif. Il ravala sa réaction, tentant de reprendre contenance.
— Tu sais quand tu pourras sortir d’ici ?
— Je le saurai aujourd’hui. Bientôt, j’espère.
Elle rejeta sensuellement ses cheveux noirs sur ses épaules. Chris sentit l’envie lui monter malgré lui. Il se redressa aussitôt.
— Je dois y aller… Tiens-moi au courant. Et embrasse ta mère pour moi.
Il lui déposa un baiser sur le front… puis, cédant à l’élan, effleura ses lèvres. Juste un instant. Juste assez pour raviver tous les interdits.
Il se leva, leurs mains encore entrelacées. Ce ne fut que lorsque la distance les força à se détacher qu’il se détourna, le cœur lourd de ne pas pouvoir la caresser ni la prendre dans ses bras.
Chris se dirigeait vers son bureau, déjà accablé par la charge de travail qui l’attendait et les nombreux appels en retard qu’il devait passer. Lorsqu’il arriva vers 9 heures, il trouva Lydia assise à son poste, les yeux voilés d’émotion, fixés sur la photo de famille posée sur son bureau.
— Lydia, ce matin, je n’ai vraiment pas l’énergie pour une prise de tête, lança-t-il d’un ton las.
— Je ne suis pas là pour ça, répondit-elle doucement. Je suis venue te demander pardon pour hier. J’ai perdu pied, submergée par tout ce que je ressens… et je n’ai pas su gérer. Je n’aurais jamais dû m’en prendre à Marie-Jo, ni saccager son penthouse. Ce matin, en me réveillant, j’ai réalisé à quel point mon comportement avait été inacceptable. J’aurais dû venir à la thérapie, comme prévu. Peut-être que ça n’aurait rien changé… ni à ce que tu as fait, ni à ce que j’ai fait, mais au moins, on aurait pu en parler. J’ai tout gâché, Chris. J’ai tout détruit, ajouta-t-elle en éclatant en sanglots.
Se rappelant les propos de Marie-Jo sur les idées noires de Lydia, Chris sentit ses défenses tomber. Il s’approcha d’elle et l’enlaça fermement, comme pour lui offrir un ancrage, une bouée dans la tempête. Ils restèrent ainsi un long moment, serrés l’un contre l’autre, dans un silence empreint de fatigue, de chagrin et d’une tendresse écorchée. Pour la première fois depuis longtemps, Lydia se permit de pleurer sans colère, sans fierté, sans façade — juste un abandon, un vrai.
Lorsqu’elle se calma, elle s’essuya les joues d’un revers de manche, puis s’assit et invita Chris à faire de même.
— Il faut que je te parle de ce qui s’est passé au Bayon Rouge, dit-elle d’une voix posée, sans savoir qu’il était déjà au courant. Je ne veux plus rien te cacher.
— Je t’écoute, Lydia, répondit-il en s’asseyant en face d’elle.
— Hier, j’ai donné rendez-vous à Marie-Jo là-bas. Je voulais lui parler… Et quelqu’un lui a tiré dessus. Maintenant, j’ai l’impression que la police me soupçonne, avoua-t-elle d’un seul souffle.
— Dis-moi franchement : est-ce que tu es impliquée là-dedans ? demanda Chris, mortifié à l’idée d’entendre la réponse.
— Tu es sérieux, là ? Tu crois vraiment que je serais capable d’un truc pareil ? répondit-elle, outrée.
— Après ta lettre, Lydia… je ne sais plus quoi penser, admit-il, visiblement troublé.
— Je pourrais dire la même chose de toi, répliqua-t-elle, la voix plus dure.
— Peu importe. Vu les circonstances, et ce qui s’est passé juste avant l’agression de Marie-Jo, tu devrais prendre un avocat. Et avant que tout ça ne fuite dans la presse, il faut prévenir la famille. Notre équipe de relations publiques devra préparer une déclaration officielle.
— J’ai déjà un avocat, répliqua Lydia. Et pour la famille… on n’a plus le choix. Mais qu’est-ce que tu comptes leur dire ?
— La vérité. Qu’on ne vit plus ensemble. On ne parlera pas du divorce, ni de la paternité des enfants… et encore moins du fait que tu sois enceinte d’un autre homme.
Lydia baissa les yeux, honteuse. Puis elle releva la tête, le regard durci :
— Divorcés ? Tu sais que les conditions posées dans ma lettre tiennent toujours. Et j’imagine qu’on va aussi passer sous silence ton infidélité, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle. Puis, corrigeant d’un ton glacial :
— Tu veux dire nos enfants… jusqu’à preuve du contraire.
Chris ferma les yeux, exaspéré, et soupira longuement. Mais pour éviter d’envenimer la conversation, il reprit d’un ton plus calme :
— Oui, Lydia. Nos enfants. Alors, qui est ton avocat ?
— Maître Conrad Kaiser.
— D’accord. C’est un excellent choix, reconnut Chris. L’un des meilleurs.
— Justement, je dois aller le voir ce matin. Un inspecteur va m’interroger à son cabinet. J’aimerais que tu viennes avec moi.
— Très bien. Après tout, je suis encore ton mari… en tout cas, sur papier... La rencontre est à quelle heure. Demanda til sèchement.
— À 11 heures, précisa Lydia, avec une blessure sourde dans la voix.
— Parfait. Laisse-moi une heure pour régler mes dossiers, je te rejoindrai là-bas.
— Merci, répondit-elle en se levant, un sourire mélancolique flottant sur ses lèvres.
Au moment de franchir la porte, elle se retourna.
— Au fait… comment va Marie-Jo ?
Chris marqua un bref silence méfiant, puis répliqua froidement, sans laisser transparaître la moindre émotion :
— C’est toi qui devrais me donner des nouvelles, non ? C’est ton amie, après tout.
Lydia le fixa un instant, silencieuse, puis quitta la pièce sans un mot.
Annotations