2 - Un soir de pluie

15 minutes de lecture

( 1ère parution - sur une autre plateforme : Chapite 1 au 20/01/2019)

Il pleuvait ce soir-là, un crachin désagréable. La chaussée, glissante, réclamait une grande vigilance pour qui circulait en deux roues. La moindre faute d'inattention sur une bouche d'égout ou autres pièges vicieux, un geste trop brusque... et ce serait la chute.

Maelig frissonna, car de très fines gouttelettes, glacées, s'infiltraient dans le minuscule espace laissé libre entre son casque et son col. Une sensation désagréable. Pressé d'arriver, le jeune homme avait omis d'enrouler une écharpe autour de son cou et le regrettait. Il rentra la tête dans les épaules, pour faire barrage à cette incursion réfrigérante. Le désir irrépressible de se glisser sous une douche brûlante le taraudait, surtout après deux heures passées sur le mur d'escalade. Une activité qui le passionnait depuis longtemps.

Progresser en souplesse, repérer les meilleures prises, il lui semblait s'affranchir de l'apesanteur pour grimper comme un chamois, toujours plus haut, plus vite... S'entraîner avec persévérance pour affronter, à la belle saison, des falaises abruptes et profiter de vues incroyables. Vaincre les pièges et les difficultés, comme dans la vie...

Cette passion l'habitait depuis une initiation, tout jeune, lors d'un forum des associations, où son père l'avait amené. Et plutôt que de s'intéresser à des sports plus classiques, il avait délaissé les stands où s'exposaient maillots colorés et ballon rond, raquettes et petites balles jaunes, pour marquer un arrêt devant la démonstration des archers. Puis, attiré par le cliquetis des baudriers, des mousquetons accrochés aux filins de sécurité, le gamin, fasciné, avait observé les grimpeurs qui s'affrontaient pour atteindre, dans un temps record, le sommet du mur d'escalade.

Rien de très sophistiqué à l'époque. Une installation de béton, des prises sans grosses difficultés pour lui, aujourd'hui, mais la passion, née de cette vision, n'avait fait que croître et embellir. Le gosse frêle et bien trop silencieux, piqué devant le spectacle, avait attiré l'attention et fini équipé pour une première tentative, sous les encouragements de son père et des membres de l'association, ravis de séduire une nouvelle recrue. Une mascotte vite, surnommée « trois pommes ».

Bien des années plus tard, la silhouette de Maelig ne présentait que peu de similitude avec celle du gamin maigrichon : un corps fin, élancé, aux muscles harmonieux. La chevelure abondante et bouclée demeurait, comme le regard aux grands yeux bruns, ombré de longs cils. Pourtant l'habitude perdurait dès qu'il mettait les pieds au club, avec une déviance anglo-saxonne désormais, « TP » prononcé Tipi... mais il ne présentait aucune similitude avec un basketteur de renom, porteur du même surnom. L'appellation suscitait toujours son amusement comme celle de ces partenaires de grimpe.

Après l'entraînement, l'eau, une fois de plus, tiédasse, l'avait dissuadé de prendre sa douche sur place surtout que le chauffage capricieux n'offrait pas la température requise. Le gymnase vieillissant réclamait des réparations, programmées pour le printemps. La bâtisse inutilisable pour plusieurs mois, par bonheur, à cette époque de l'année, les sorties en extérieur permettraient aux membres du club d'assouvir leur passion et de respirer à pleins poumons une atmosphère non confinée. Cette perspective l'enthousiasmait. Il adorait la pratique en plein air, dans des endroits magnifiques, souvent accessibles après plusieurs heures de marche. Mais pour le moment, l'appel d'une eau bien chaude primait sur les images incroyables accumulées tout l'été précédent. Des heures de grimpe, dont il rêvait encore.

Une fois passé le prochain carrefour, la deuxième rue à droite où s'élevait son immeuble et...

Du coin de l'œil, Maelig devina la silhouette d'une fourgonnette sombre qui fonçait droit sur lui. Feu rouge grillé, lui indiqua son esprit avec une froideur analytique. L'instinct lui dicta d'accélérer à fond, pas assez cependant pour éviter que l'arrière du scooter ne soit percuté dans un vacarme monstrueux.

Éjecté, le jeune homme heurta le macadam avec violence. Son casque frappa le sol et malgré la protection, sa tête lui parut exploser. Suffoqué. Sonné. La pensée de ne plus être qu'une poupée de chiffon l'envahit tandis qu'il glissait sur la chaussée mouillée, en apnée, l'air expulsé de ses poumons par le choc. L'horrible sensation suscitée par le contact abrasif de l'asphalte qui réduisait son jean en charpie et brûlait sa peau lui arracha un hurlement qui se bloqua dans sa gorge.

L'instant parut durer une éternité sans qu'il n'ait plus aucune prise sur les évènements. La chance lui évita de se retrouver sur la trajectoire d'une autre voiture... La malchance voulut qu'en bout de course, il heurte un élément du mobilier urbain qui stoppa son élan. Un de ses élégants poteaux destinés à empêcher les stationnements indélicats, mais pour lui, à cet instant, placé au mauvais endroit... Une douleur insupportable irradia de sa jambe gauche, avec une intensité telle que Maelig, le cœur au bord des lèvres, perdit connaissance.

Bienheureuse inconscience... qui lui épargna l'attente des secours, le transfert sur la civière après stabilisation par le médecin du Samu, l'arrivée aux urgences, le passage express au service de radiographie pour le diagnostic final, puis la descente rapide au bloc opératoire. Placé sous morphine, Maelig ouvrit les yeux deux jours plus tard, à peine quelques minutes, suffisantes pour deviner à son chevet, la silhouette délicate de Rachel, l'unique femme très présente dans sa vie... et surtout sa marraine. Le genre que Cendrillon n'aurait pas renié. Un Saint-Bernard en jupons qui veillait sur lui sans jamais chercher à l'étouffer malgré un instinct maternel surdéveloppé qui concurrençait celui de sa propre mère. Mais Rachel, elle, le comprenait et l'acceptait, tel qu'il était. Leur complicité s'affirmait depuis des années.

* * *

Maelig bâilla avec application. Presque minuit. Pour sa dernière nuit à l'hôpital, trois semaines après l'accident, le blessé s'offrait le luxe d'une superbe insomnie. La nervosité de vider les lieux pour un endroit inconnu ? Peut-être. Après tout, il ignorait tout de cette destination proposée par Rachel. Sonner l'infirmière pour réclamer de quoi dormir ? Autant éviter de se réfugier dans un sommeil artificiel. L'effet des molécules l'assommerait encore le lendemain. Le convalescent préférait demeurer réactif.

Quitter enfin cet endroit, il s'en réjouissait parce que le jeune homme ne supportait plus cette chambre, d'être réveillé par les soignants quand il parvenait à s'assoupir... Maelig ne niait pas le dévouement du personnel, dont il avait apprécié le remarquable professionnalisme et la gentillesse, mais il aspirait à oublier le milieu hospitalier et à retrouver un peu d'intimité, de tranquillité. Bien sûr, il gagnerait une infirmière à domicile pour les soins, une aide-soignante chaque matin pour l'aider à sa toilette les premiers temps, mais les journées lui paraîtraient moins longues. Travailler aussi, quelques heures par jour, chasserait l'ennui persistant, suscité par cette inactivité forcée.

Avec le recul, le jeune homme estimait s'en sortir plutôt bien, en dehors de la frousse rétrospective, qu'il éprouvait parfois. Du côté droit, une fracture simple du poignet. À gauche, une double fracture tibia-péroné et une atteinte ligamentaire sévère du genou. Sans oublier, un traumatisme cervical, deux côtes cassées, l'abrasion de l'épiderme au niveau de la hanche et du flanc, et une flopée de contusions, sans réelle gravité... Aucun dégât au niveau des organes internes. D'après le chirurgien qui l'avait pris en charge à son arrivée, un vrai miracle, vu la violence du choc... En gros, sa chute en elle-même ne contribuait qu'à des blessures mineures. Sans ce foutu poteau, il n'aurait pas eu à se coltiner une intervention, ni les trois mois d'immobilisation à suivre et la convalescence imposée. La varappe pour cette année, Maelig, philosophe, mettrait une croix dessus, mais ce n'était pas le plus important. Il tenait à conserver son boulot et là, il lui faudrait faire preuve de ténacité... Tout ça parce qu'un conducteur trop pressé et distrait par un appel n'avait pas remarqué le feu au rouge.

Très vite, la question de sa sortie l'avait taraudé. Lucide, Maelig avait réalisé que son appartement, au troisième étage d'un immeuble, sans ascenseur, lui devenait inaccessible. Impossible, avec le fauteuil roulant assigné pour plusieurs semaines, de monter ou descendre les escaliers, de suivre sa rééducation. En plus, l'interdiction de poser le pied par terre ou d'utiliser des béquilles clôturait les débats à ce sujet. Une occasion rêvée pour ses parents, retraités, partis s'installer en bord de mer, de le rapatrier chez eux... sauf que le jeune homme, du haut de ses vingt-deux ans, refusait, tout net, cette idée. Il tenait à son indépendance, mais ne souhaitait pas les blesser par une objection trop catégorique. L'argument de son boulot avait arrondi les angles. Le soutien de Rachel l'avait sorti de l'impasse et soulagé de cette pression constante.

La petite startup qui l'employait lui permettait de travailler à domicile, mais si Maelig se retrouvait à des centaines de kilomètres, il ne pourrait plus compter sur cet arrangement. Et travailler en free-lance, il n'y tenait pas vraiment. Pour attirer des clients, il fallait justifier d'une solide expérience et son jeune âge ne plaidait pas en sa faveur. Jusqu'à présent, sa présence au bureau, une fois par semaine, suffisait à son patron. Florent Browski, un designer génial, lui avait offert une vraie chance d'exprimer ses compétences et ses talents malgré sa « différence ». Depuis la création de sa propre société, son boss comptait sur lui pour des projets très spécifiques. Impossible de le décevoir et, surtout, de mettre un job qui le passionnait entre parenthèses.

Maelig grimaça et frotta avec bonheur le dos de sa main. La résine qui immobilisait son poignet avait été retirée, une bonne chose. Les séances de rééducation douces avaient combattu la raideur qui menaçait de s'installer, et avec des doigts toujours agiles, il pourrait travailler et se servir de son clavier et de sa tablette graphique. Et surtout, en cas de démangeaison, il pourrait se gratter tout son comptant ! Cet inconfort persistait pour sa jambe, même si la résine se réduisait désormais à une simple botte. Son genou avait bien récupéré, grâce au plâtre précédent, et profitait dorénavant de l'attention du kinésithérapeute. Si son avant-bras, encore fragile, ne l'autorisait pas à s'aider de béquilles, l'interdiction de poser le pied par terre réglait la question.

Pour la période à venir, il se satisferait d'un fauteuil roulant, avec une plateforme pour maintenir sa jambe à l'horizontale. Mais, sans Rachel pour lui trouver, très vite, une « terre d'accueil », l'angoisse aurait dévoré le jeune homme. Parmi ses fréquentations, aucune ne possédait la place ou les facilités d'accès indispensable, et, organiser un déménagement, pour un endroit approprié, dans son état... Les quelques agences immobilières, contactées par mail, ne disposaient pas de location adaptée à ses moyens financiers. Sans arrière-pensée, Rachel avait conté les déboires de son filleul à une vieille connaissance et éveillé son intérêt. Avec générosité, cette personne proposait de l'accueillir les semaines nécessaires à sa convalescence.

Son bienfaiteur... Il sourit au souvenir de leur rencontre, la veille, lors d'une visite impromptue. L'agenda de ce trentenaire, bien sous tout rapport, et très proche de Rachel, lui laissait peu de temps. Pourtant ce bon samaritain avait tenu à venir se présenter, d'autant qu'il ne pourrait pas être présent le lendemain pour recevoir le blessé. Épuisé par la séance de rééducation quotidienne, nécessaire à son genou, Maelig s'endormait quand sa marraine, accompagnée de son vieil ami, avait débarqué. Naïf, il s'attendait à un homme mûr, car il entendait parler d'Alban Claisse depuis qu'il était en âge de s'en souvenir. Stupéfaction totale, il en avait été pour ses frais : le qualificatif « mûr » ne convenait pas à cet homme.

À moitié réveillé à leur arrivée, Maelig conservait la vision d'un visage modelé et très agréable, de la compassion affichée et de la retenue associée à quelques mots de sympathie. La voix basse et le ton tranquille... L'accueillir pour sa convalescence ne posait aucun problème, bien au contraire, lui avait assuré le visiteur avec un sourire très chaleureux et pas sans attrait, il devait bien l'admettre. Et le regard très intéressé de Rachel montrait qu'elle n'avait pas été sans remarquer que son filleul se révélait sensible aux charmes de son vieil ami et à sa personnalité paisible. Il devinait que sous peu, il aurait à répondre à un interrogatoire serré et s'étonnait même que Rachel n'ait pas déjà tenté la chose...

Le vaste appartement, d'après sa marraine, offrait un environnement agréable, à partager aussi avec deux chats. Petit détail qui le ravissait, en bon fan de ces félins. Le récit cocasse des séances nocturnes pour séparer les matous bagarreurs... Leur propriétaire, pas à court d'idées, avait acquis des fusils à eau dernier cri et longue portée. Une utilisation obligatoire en cas d'affrontements bruyants... Maelig en riait encore, pas certain que les délicieux minets apprécient la douche.

Voilà qui dévoilait beaucoup de la personnalité d'Alban Claisse, incapable de chasser un chat qui ne lui appartenait pas et maitre, malgré lui, d'un second, offert par... Sa mémoire lui fit défaut tout à coup. Sans doute un détail de peu d'importance, occulté. Un animal très spécial, précision de Rachel, qui répondait au doux nom de Nefer. L'obligation de partager son territoire avec une congénère de race européenne, au tempérament agressif, n'arrangeait pas le caractère du spécimen, familier des concerts de miaulement en nocturne... Une petite voix dans la tête de Maelig lui souffla que sa cohabitation avec Alban se déroulerait, elle, de manière très pacifique. De cela, il ne doutait pas une seconde et son instinct le confortait dans cette idée.

L'homme, attirant, lui avait inspiré une confiance immédiate et Maelig, intuitif, ne se trompait jamais quant à la nature des êtres qu'il rencontrait. Et puis, le cadeau reçu lors de cette courte visite, un joli cactus globulaire, dans un pot cérusé blanc, un choix très approprié pour lui qui adorait ces plantes. Un geste touchant aussi, que le convalescent avait apprécié. Dans son appartement, il en possédait de toutes sortes et cet environnement familier lui manquait.

Rachel s'était occupée de déménager ses cactus, non sans pester contre les épines, et les affaires indispensables à sa survie chez Alban Claisse. D'après elle, une superbe chambre n'attendait plus que lui et il éprouvait une certaine gêne à s'imposer ainsi, mais les circonstances ne lui laissaient pas d'option. Et puis le sourire de son hôte apaisait ses scrupules. Cet homme irradiait de gentillesse.

Accueilli dès le lendemain par Madeleine Melicier, Maelig constata la générosité évidente de son sauveur. La pièce, immense, rénovée de frais, lui offrait tout le confort indispensable à son état. La salle de bain avec une douche spacieuse et un siège adapté, le vaste lit, pile à hauteur de son fauteuil roulant lui permettrait de passer de l'un à l'autre sans gros effort. Toute sa collection de cactus l'avait rejoint et s'étalait sur les bords de larges fenêtres, la commode, sur le bureau partagé avec sa bécane, un ordinateur puissant nécessaire à son travail et tout le matériel associé.

Ses livres rangés au petit bonheur sur les rayonnages de la bibliothèque attestaient de la bonne volonté de Rachel, mais aussi de son absence de logique dans le classement des ouvrages et des dossiers. Tandis qu'il prenait possession de son nouveau domaine, un chat à l'allure de statue antique se glissa dans la chambre, le fameux Nefer, annoncé par Madeleine. Le minet se fixa sur son arrière-train et observa l'arrivant immobile. Mis en confiance par cette apparente tranquillité, le Sphynx décida de se frotter contre les roues du fauteuil et le mollet à sa portée, avec l'évidente satisfaction déposer sa marque avant sa plus grande ennemie ! La main de l'inconnu se présenta à lui et le matou renifla avec attention puis se laissa caresser. Il poussa l'obligeance jusqu'à grimper sur les genoux de nouveau venu et se roula en boule pour une sieste impromptue. Depuis ce poste d'observation, Nefer ne serait pas à la merci d'une attaque éclair de la plèbe !

Alban rentrerait en fin de soirée à cause d'un nouvel imprévu et Maelig ne manquerait pas de le remercier pour ces largesses. Mais il n'était pas le seul à en profiter. Outre le second chat de la maison, un invité « surprise » ferait sous peu son apparition, lui avait annoncé Madeleine. Le jeune frère d'Alban, Alistair Claisse. Un appel de Rachel le coupa dans son installation et il rit de bon cœur aux questions de sa marraine qui l'interrogea, en priorité, sur... les toilettes à la japonaise dont il disposerait dans la salle de bains privative.

— Alors, tu les as essayés ? Trop bien. J'ai adoré l'idée... Ses petits jets et la soufflerie, c'est le luxe à la japonaise, veinard !

Pipelette, elle poursuivit et comme Maëlig le soupçonnait, tenta de lui arracher quelques confidences sur Alban Claisse. Lèvres frémissantes, il l'écouta disserter sur les qualités de son hôte, un sujet des plus intéressants, le jeune homme ne le niait pas, mais quant à servir son ressenti à cette curieuse endémique... Jamais !

Épuisé par sa sortie d'hôpital et son installation dans son nouveau lieu de vie, le blessé s'endormit après le souper proposé sur un plateau par Madeleine. Discrète, elle le laissa se restaurer, sans s'imposer, puis débarrassa son couvert, très satisfaite de ne plus compter que des miettes.

À presque Minuit, Alban poussa la porte de l'appartement, un brin irrité de n'avoir pu accueillir son invité dans les règles. Derrière lui, Alistair, pas ravi de se retrouver là, lâchait soupir sur soupir et posa son sac dans le hall d'entrée.

L'arrivée attira un des locataires félins, Nefer, pressé de se blottir contre les jambes de son maître. Sans doute s'était-il planqué dans un coin et, Madeleine lassée, de le chercher, avait fermé la buanderie pour éviter que la bataille entre guérilleros ne dérange Maelig. L'apparition surprit Alistair qui s'exclama :

— La vache ! Qu'est-ce que...

— Non, c'est un chat, le coupa Alban fataliste, je n'accueille pas de ruminant chez moi, enfin... en temps normal.

Allusion subtile au mâchouillage compulsif d'un chewing-gum dont Alistair se rendait coupable, depuis qu'il était descendu du train...

— Je pose mes affaires dans la chambre d'Aloys ? s'enquit-il maussade, Maman m'a dit que tu l'avais fait redécorer...

Aucun sans-gêne, s'amusa son frère... La réponse fusa, sans équivoque :

— Non.

Pas très heureux du ton employé, Ali protesta :

— Tu es gonflé de te la garder, tu disais tout le temps qu'elle était trop grande.

Alban haussa un sourcil très ironique et toisa son cadet. Vingt à peine, adorable d'égoïsme, un visage juvénile qui annonçait la couleur : immaturité ! Les boucles rousses indisciplinées renforçaient l'impression première autant que le regard noisette au reflet d'ambre.

— Elle est déjà occupée... et pas par moi.

La répartie un brin acerbe, Alban réalisa que son accueil à la gare manquait lui aussi de chaleur. Après une journée maussade, l'arrivée impromptue de son frère achevait de bousculer un programme qu'il aurait souhaité millimétré... Et puis, ne pas avoir été là pour Maelig et veiller lui-même à son installation, nourrissait sa frustration, même s'il témoignait une confiance totale à Madi. Les traits un peu crispés d'Ali le poussèrent à ajouter :

— Maelig, la personne qui l'occupe, sort de l'hôpital. C'était la pièce la plus adaptée. Je te le présenterai demain. Prends l'ancienne chambre d'amis...

La grimace de gamin traduisait tout le bien que son petit frère pensait de l'endroit, vieux et moche... Pour le moment, il devrait s'y faire ! Alistair se gratta l'arête du nez, comme souvent, dès qu'il se sentait mal à l'aise.

— Je suis désolé de débarquer comme ça...

Alban réalisa la fatigue manifestée à travers la pâleur et la commissure plongeante des lèvres pincées. Avec un sourire affectueux, il se contenta d'un commentaire très neutre :

— Allez ! File dormir, on discutera demain.

— Merci, Alban.

Après une hésitation, Alistair, comme lorsqu'il était enfant, effleura la joue de son frère du bout des lèvres, puis disparut sans demander son reste.

Quand il regagna sa chambre, Alban remarqua la porte de Maelig, entrebâillée, et Nefer qui se faufilait à l'intérieur. Satané matou... Avec Florette qui risquait de débarquer dès que la buanderie s'ouvrirait, impossible de le laisser faire. Pas question qu'un pugilat nocturne fête l'emménagement de Maelig et celui d'Ali. Une belle excuse pour vérifier que son invité dormait à poings fermés et... rien d'autre.

À la clarté de la lampe de chevet, le visage inconscient le rassura, de toute évidence, le jeune homme se trouvait fort bien installé... ou bien épuisé par sa sortie. Il nota les joues creuses, les cernes... L'hospitalisation et l'alitement avaient amenuisé une silhouette à la musculature déjà sèche d'après Rachel. S'il ne se plaignait pas, Maelig reconnaissait que les repas servis ne lui ouvraient guère l'appétit. Pour éveiller sa gourmandise, Alban avait supplié Madeleine de l'aider à ce niveau. Lui prendrait le relais le week-end, au moins le dimanche, quand sa charge de travail l'obligerait à bosser le samedi. Difficile de disposer du temps nécessaire pour nourrir ces nouveaux colocataires. Tous ne fonceraient pas sur une gamelle de croquettes... Il remarqua la tablette abandonnée sur le lit et la plaça en sûreté sur le chevet. Sans doute que Rachel s'était empressée de contacter son filleul pour s'assurer de ses premières impressions.

Soudain, Alban décela un mouvement suspect sous la couette. La tête de Nefer apparut. Malicieux, le matou chercha à s'enfouir à nouveau, mais son maître bloqua la tentative pour le prendre dans ses bras. Aussitôt l'animal se pressa contre sa poitrine avec un ronronnement guilleret. Étrange... D'ordinaire, un miaulement de protestation aurait salué la capture. Alban s'occupa de moduler la lumière de la lampe. S'il se réveillait, l'éclairage, discret, éviterait à Maelig de se sentir désorienté.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire LemHavesson ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0