Deux Ombres en une

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Une pluie torrentielle déferlait sur la ville depuis deux jours. Temps de merde, j’vous jure. La nuit était tombée depuis bien longtemps, libérant sur la ville des dangers dont le commun des mortels n’avait aucune idée.

Ouais, ça fait gamin dit comme ça.

— Pitoyable.

Ça ne te plaît pas comme entrée en matière, Blake?

— Pas vraiment. Typique de bouquin pour midinette mouillant pour des Edward et autres saloperies du genre.

Je me foutais de ta gueule, comme toujours mon petit. Depuis combien de temps marches-tu donc seul dans ces ruelles ? Tu déprimes mon ami ? Pauvre petite bête à croc, je te plains. Sincèrement.

— Ferme-la, rétorqua Blake en grinçant des dents. Et ne commence pas à commenter chacune de mes paroles !

Tu refuses d’assumer ta vraie nature. Depuis bien trop longtemps. La bonne vieille époque où tu existais pleinement ne te manque donc pas?

— Repars donc dans tes délires de narration si ça te chante, je commence à avoir l’habitude de t'ignorer.

Bien… Un silence de mort s’était abattu sur la ville. Pas une lumière n’éclairait l’intérieur des habitations. L’urbanisation de cette cité n’était pas vraiment des plus brillantes. Détérioration des lieux publics, graffitis et autres saccages. Les seules clartés provenaient de quelques lampadaires. Certains ne fonctionnaient tout simplement plus, brisés par quelques délinquants en balade.

— T’es vraiment agaçant.

Regarde devant toi.

— Merde.

Ce que tu cherchais à tout prix à éviter. Une femme. Seule. Délicieuse proie, qu’attends-tu donc mon ami ? Va ! Tu en meurs d’envie !

— Tagueule ! Je ne suis pas un monstre comme eux !

Ne recule pas ! C’est dans ta nature. Dans ton sang depuis le jour où tu as muté ! Tu ne peux aller contre ce que tu es, pauvre fou ! Tu la sens, n'est-ce pas ? Oh oui, tu la ressens comme au premier jour. La faim ! C'est elle qui nous fait vivre ! Elle grogne en toi, elle ne demande qu’à sortir ! Laisse la s’exprimer ! Faire de toi ce que tu es vraiment !

— Je t'emmerde, répliqua Blake en un murmure rauque. Je peux la réprimer.

Cesse de te mentir ! Tu n’es plus humain depuis bien longtemps !

Blake s’approcha furtivement de sa victime sans un bruit, tel une ombre furtive et invisible. La jeune femme ne se doutait de rien, ne le voyait pas venir. Au moment de passer à l’attaque, Blake hésita. Une partie de sa conscience lui hurlait de ne pas agir, tandis que l’autre ne demandait qu’à se nourrir. Tant de femmes sur cette planète, une en moins ne fera pas de différence. Elle venait de trouver ses clefs, certainement pour ouvrir la porte de son immeuble. Malheureusement pour elle, elle les fit tomber. La laisser vivre ou céder à ses bas instincts, le choix était fait. Alors qu’elle venait de se redresser, la malheureuse victime sentit une mâchoire se refermait sur son cou. Blake déchira le morceau de vêtement qui le gênait, afin de prendre prise plus facilement. La femme paniqua, frappant comme elle le pouvait son agresseur. Ce dernier ne bougea pas, restant fixement sur ses positions. Il aspira avec jouissance la source de vie de sa victime.

Où était le mal ? Cette femme allait connaître le plus intense plaisir de sa vie avant de mourir. Elle avait cessé de se débattre et n’avait pas poussé le moindre hurlement. Tant mieux, il aurait été contraignant de devoir abattre des voisins trop curieux.

La jeune femme ressentait une intense chaleur là où la créature la mordait. Quoi que ce soit, il lui volait son sang, s’en nourrissait en la tuant à petit feu. Et elle aimait cela. Elle se laissa glisser sur le sol, fesses contre terre, tenant fermement de sa main droite la nuque de son meurtrier. Elle se surprit à pousser de petits cris, tant la jouissance était forte. Plus rien n’avait d’importance : son travail, ses amis, son mari, ses enfants.

Sa mort.

La femme se sentait vivre à travers cette morsure qui lui apportait un paroxysme de plaisir. Ce moment dura jusqu’à ce que toute vie ait quitté son corps.

Blake déposa délicatement son corps inerte au sol et continua à se nourrir, jusqu’à ce que sa faim se soit apaisée. Il eût la sensation de revenir doucement à la surface.

— Qu’ai-je fait ? chuchota-t-il.

Seul le silence des ténèbres environnantes lui répondit.

— Fous-moi la paix avec tes métaphores putain !

Tu as accompli ce pourquoi tu existes, mon ami. Tu es un tueur, un envoyé du Diable. Pourquoi te voiles-tu ainsi la vérité ?

— Le sérum… Il devait me débarrasser de cette faim, ils me l’avaient juré !

Ce truc ne pouvait fonctionner que durant une brève période. Ils le savaient, bien sûr. Ils se sont servis de toi, afin de combattre tes propres frères et autres créatures «démoniaques», comme ils le disent si bien. Que vas-tu faire à présent?

— Pardon ?

Tu as perdu tout foyer. Les tiens te voient comme un traître, les humains te vouent à présent la même haine que pour les autres bêtes à croc. Qu’importe le camp, tous veulent te voir brûlé. Alors je te repose la question : que vas-tu faire ?

— Je n’en sais rien… rien du tout.

Je t’ai connu bien plus hargneux que cela.

— As-tu peur de mourir ?

Moi ? Absolument pas. Je suis simplement curieux de connaître la conclusion de ton histoire. Dis-moi, pourquoi fixes-tu le cadavre de cette femme ? Tu lui as apporté plus de plaisir qu’elle n’aurait jamais pu en connaître avec n’importe quel humain. C’est une bien belle compensation en échange de sa vie.

— J’ai rompu mon serment. Mon Dieu, qu’ai-je fait?

Ne parle pas de lui, tu vas nous attirer encore plus d’ennuis...

Emplis de remord, Blake s’éloigna du corps de sa victime. Il fit à peine un mètre avant de ressentir des présences froide et affamée.

— Merde.

De la pénombre se détachèrent six formes décharnées qui se dirigèrent lentement vers le cadavre de la jeune femme. L’homme à la cape de cuir repéra de suite leur appartenance. Des Goules à la démarche lente et hésitante. Blake n'avait que trop entendu au fil des années leur râlement rauque et sentis leur odeur pestilentielle tant de fois qu'il la reconnaissait à des mètres de distance. Certaines s’arrêtèrent entre deux pas, fixant Blake comme hésitant à l’attaquer. Ce dernier savait que les créatures étaient contrôlées par une bête à croc bien plus puissante. Les mains sur les gâchettes de ses armes, il se tenait prêt à passer à l’action.

Attends ? Quoi ?

Blake ! On s’en fout ! Tu n'as pas lu le passage sur la bête à croc puissante ? Barrons-nous !

— La ferme ! Je ne les laisserai pas profaner cette femme.

Elle est déjà morte. Je ne te comprendrai jamais...

L’une des créatures était extrêmement proche du corps, tendant vers son visage une main griffue qui se retrouva pulvérisé par une balle en argent, suivi d’une seconde entre les deux yeux. Les autres se retournèrent prestement. L’une des goules fonça vers Blake, qui l’abattit d’une simple balle dans le crâne. Les quatre restantes bondirent sur les toits et furent poursuivis par leur opposant. A peine eût-il sauté vers l’un des toits que l’un d’entre eux bondit à sa rencontre. Blake le troua de balle en plein vol, dégagea le cadavre de son chemin d’un solide coup de pied, puis couru le long du mur pour finalement rejoindre le toit. Il eût tout juste le temps d’esquiver une paire de griffes en se baissant. Ne laissant pas le temps à la créature de se ressaisir, Blake lui colla un coup de pied de bas en haut, lui décrochant la mâchoire. Prudent, le Vampire lui décocha une balle dans le crâne.

Ces saloperies étaient du genre tenace. Il était à présent encerclé par les deux goules restantes, qui lui tournèrent autour, guettant le bon moment pour passer à l’attaque. Blake savait d’instinct comment agir, et attendit donc patiemment que les deux «choses» prennent l’initiative. Les goules foncèrent vers lui, simultanément pour des yeux humains. Au-delà de leurs normes physiques, Blake avait repéré lequel était le plus lent. Le canon de l’une de ses armes s’engouffra dans la bouche de la goule la plus rapide, avant de lui faire exploser le haut de sa tête. Tournant sur lui-même à une vitesse surnaturelle afin d’esquiver la dernière créature, il braqua ses deux armes sur elle.

— Crève, charogne.

Sans lui laisser le temps de se retourner, Blake l’abattit de quelques balles. Le travail terminé, il se laissa descendre dans la ruelle. Ce n’était pas terminé, loin de là.

T'es vraiment sûr de vouloir faire ça ? Bon...

Blake ferma les yeux, se concentrant pour repérer la présence responsable de ses apparitions. Il la sentit au dernier moment, se retrouvant alors projeté quelques mètres en arrière.

Tu ne peux pas dire que je ne t'avais pas prévenu.

— Traître, susurra une sinistre voix dans son dos.

Blake se releva et fit se retrouva nez à nez avec un visage tristement familier. Crâne rasé, longue cape noir, sourire sadique et un regard qui en lisait long sur ses pensées.

Franchement... Manquait plus que lui.

— Maître.

— Silence ! Ta faiblesse me dégoûte.

Notre héros pointa l’un des canons vers le visage de son ennemi. Il n’eût pas le temps de presser la détente qu’il ressentit une violente griffure à la main, qui lui fit éjecter son arme sur quelques mètres. Blake hurla de douleur, sa main gauche ensanglantée. Se déplaçant à une vitesse imperceptible, le maître des goules le saisit à la gorge et le souleva à bout de bras.

— Tu fais honte à ta race, Blake !

Ce que je n’arrête pas de lui dire.

— Après tout ce que je t’ai apporté, tu as osé me cracher au visage.

Tout à fait. Quel ingrat.

— Vos gueules ! Je n’ai aucun compte à vous rendre !

Euh… Tu nous parle à tous les deux en même temps ou j'ai rêvé ?

— Je t’ai dit de la fermer ! hurla un Blake furieux.

Dans un hurlement de rage, son ancien maître l’expédia au loin. Blake s’écrasa violemment au sol et roula quelque peu, emporté par la force de la projection.

— J’ai reçu l’ordre de te tuer.

Blake se releva et tira autant de balles qu’il le pût. Ce qu’il vit le laissa bouche bée. Son ancien mentor stoppa toutes les balles en argent d’une main, puis les laissa lentement glisser.

— C’est quoi ce bordel ?

Faut croire que Syth est bien plus puissant qu’autrefois. Le Maître Vampire se dirigea lentement vers lui. Blake tira, cédant à la panique qui l'envahissait. Esquiver et parer les projectiles lui sembla si naturel..

— C’est pas vrai ! Putain de merde !

T’as voulu jouer au plus malin, va falloir payer p’tit gars.

— Je ne t’ai pas sonné toi !

— Je vois que tu ne parviens toujours pas à dompter ta Bête, susurra Syth. Tu n'es que déception.

Le Maître Vampire fit un petit geste en direction de l’arme, provoquant un choc qui la fit éjecter de la main de Blake.

Te voilà totalement désarmé, idiot...

Usant à nouveau de sa vitesse, Syth plaqua Blake au sol et le martela de coup de poings. Le goût du sang envahi sa bouche. A chaque choc porté à son visage, Blake la sentit s’enfler.

Je préfère ne pas imaginer la gueule que tu dois avoir.

— Même à ma mort, tu ne me foutras pas la paix ?

Devine.

Au bout d’une dizaine de minutes d’un rossage dans les règles, Syth stoppa tout geste. Blake lui adressa un petit sourire provocateur.

— Déjà fatigué ?

Choc en pleine mâchoire. Crachat de sang (et peut-être de quelques dents).

On ne t’a jamais appris qu’il vaut mieux fermer sa gueule des fois?

— Retiens ce conseil pour ta pomme. Connard.

— Assez !

Syth attrapa Blake par le col et le tira vers lui, jusqu’à n’être qu’à quelques centimètres de son visage.

— Tu étais promis à un grand avenir. Tu avais les capacités pour devenir un Vampire d’exception. L’un de ces êtres qui serait resté à la mémoire de notre communauté !

— Ce n’est pas le cas ? J'en ai buté beaucoup de la communauté pourtant.

Syth hurla de rage. Son rugissement surnaturel fit s'allumer plusieurs lumières des habitations.

Il attendit quelques secondes avant de reprendre.

— Tu es un traître à ta race. Tu nous as abandonné pour t’allier à ces pitoyables Humains. Combien de tes frères as-tu assassiné en leur nom ?

— Bonne question. J’ai arrêté de compter au bout d’une bonne centaine.

Syth lâcha le col, optant pour la gorge qu’il serra délicatement.

— Malgré tout, il s’est produit quelque chose dont tu as honte ce soir. Je lit ce sentiment dans ton regard. Tu n’as pas pu lutter contre ce que tu es.

L’air commençait à manquer.

— Je n’ai pas à te répondre.

— Bien sûr que non. J’ai tout vu, Blake. J’étais là bien avant que je ne t’envoie mes goules. Dis-moi, as-tu savouré chaque goutte du sang de cette femme ?

Des images défilèrent sous ses yeux. La morsure, le sang, le sentiment qui l’avait envahi.

— Tu as aimé ce dîner. Je le lis également dans tes yeux. Ce que tu as fait ce soir t’a permis de redevenir toi-même. Reviens parmi les tiens Blake !

Succession de souvenirs. Tant de carnages. Hommes, femmes, enfants. Ensanglanté, éventré, dévoré. Il avait tué et massacré pour ne plus jamais dormir sereinement pour le restant de son immortalité.

— Je ne suis pas des vôtres !

La voix de Blake avait brusquement changé, devenant rauque et bestiale.

— En ce cas, crève !

Syth voulut l’achever en lui fracassant le crâne, mais son poing fut stoppé par la poigne de Blake. D'un geste brusque, il lui brisa la main. Le Maître Vampire hurla de douleur, tandis que Blake lui saisit le visage tout en se relevant. Usant du maximum de sa force, le Vampire l’expédia au plus loin qu’il le pouvait. Syth vola sur plusieurs mètres avant de se redresser et atterrit avec délicatesse au sol.

— Tu te dis différent de nous, mais tes actes prouvent le contraire.

— Contente-toi de crever !

Les deux Vampires s’apprêtèrent à se livrer un duel à mort, lorsque l’éclairage d’un hélicoptère les éblouit tous deux. Bien qu’étant éloigné, Blake reconnut facilement les nouveaux venus. Ses anciens partenaires. Syth leur adressa un regard haineux, qu’il dirigea ensuite vers Blake.

— Tu joue de chance pour cette fois. Nous réglerons cela à notre prochaine rencontre.

Pour toute réponse, Blake lui montra à nouveau ses canines prêtes à l’emploi, ce qui constituait un acte de défi chez les Vampires. Ils prirent la fuite, chacun dans un sens opposé à l’autre.

On peut dire que tu as eu un sacré coup de bol. Si Syth s’y était mis sérieusement, tu serais mort. Comprend tu que sans boire de sang humain, tu n’as aucune chance de le vaincre ?

— Ce n’est pas le moment de parler de cela !

Donc... Que comptes-tu faire ?

— Fuir les Humains. J’aviserai ensuite.

Dans la pénombre de la cité, un Vampire fuyait deux mondes. L’un qui l’avait condamné à l’errance, et le second qui le craignait pour sa nature. Tandis qu’il fuyait, le Vampire ne savait quel chemin emprunter. Pour survivre, était-il obligé d’assouvir ses pulsions meurtrières? Ou devrait-il se laisser mourir et mettre fin à cette damnation éternelle ?

— Conclusion de merde. Heureusement que je ne t’ai jamais laissé tenter ta chance comme écrivain.

Rabat-joie.

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