12 - L'antre du tigre

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      La prêtresse, accompagnée du prince, sort de sa chambre et laisse le jeune héritier la conduire dans un dédale de couloirs, avant de descendre un escalier de pierre s'enfonçant dans les profondeurs, menant à une chambre isolée du reste du château. Le prince récupère une clé dans sa manche et l'enfonce dans la serrure, il la tourne d’une façon assez étrange, puis la porte s’ouvre. Une odeur nauséabonde saute au nez de la jeune femme qui met rapidement sa manche devant son visage. Alors qu’elle s'avance dans la pièce oppressante, Inari remarque que des mages sont regroupés autour du lit, psalmodiant un mantra de stase, qui dessine d'étranges runes sur la peau de l'enfant souffrant, pour tenter de maintenir le corps du garçon en vie. Ils ne portent pas l'uniforme qu'Inari a remarqué sur Boris Thérik ou son disciple, elle devine donc aisément que ces mages sont payés par le roi pour soigner son fils.

« C’est…

— Vous savez de quoi il s’agit?

— Une malédiction portée par un poison rare, qui ne vient pas de Wyedale. »

     Le prince se tait soudainement, ils avaient pensé à une malédiction, bien sûr c’est trop évident, mais jamais au poison, ni même à l’idée que ce dernier puisse être la cause de l'enchantement. Dans son fort intérieur, Inari soupire un peu: c'est uniquement grâce à sa soif de connaissances qu’elle est au courant qu'une telle chose est possible. Habituellement, le cursus de formation des prêtresses ne comprend pas un apprentissage poussé des rituels occultes et des poisons, seule la curiosité maladive et les filouteries de la renarde lui on permit d'accéder aux ressources cachées de son île. La femme secoue sa tête pour se reprendre et avance jusqu’au petit prince, elle récupère une aiguille posée sur une table non loin du lit, et l'utilise pour lui reluire le bout du doigt. Après avoir vu le sang et surtout, l’odeur qui s'en dégage, elle enferme la goutte carmin dans un kekkai afin de l'observer. En appliquant une purification à l'intérieur de la barrière, elle remarque que le sang redevient normal l'espace de quelques instants, avant d'être à nouveau sujet à la malédiction.

« Votre frère est empoisonné depuis plus de quatre ans. La personne qui a fait cela a probablement agi durant la saison précédent le printemps de cette année-là.

— Cela correspond à une réception avec des hauts dignitaires de Kurshid, pour la signature d'un cessez-le-feu entre nos royaumes. »

     Le bal qui doit avoir lieu dans la soirée revient tout à coup dans l'esprit d'Inari, lui occasionnant un frisson d'effroi lorsqu'elle imagine les plans de complot et les attaques en traître qui pourraient se tramer dans l'ombre, visant à empoisonner toutes les personnes du palais. Mais elle finit par se reprendre.

{Si je me souviens bien… }

     La prêtresse récupère alors un parchemin, une plume et commence à écrire avec sa magie comme encre. Les personnes présentes sont tellement concentrées sur le prince malade qu'ils ne font pas attention à l’étrangeté de la femme, et au bout d’environ trente minutes, elle tend le parchemin à Amine.

« Des écailles de dragon, un cœur de griffon ?! C’est quoi cette liste !

— De quoi purger le poison, mes seuls sorts ne suffiront pas, le mal s'est infiltré dans ses os, et le nouveau sang que son corps crée est infecté par la malédiction à cause de cela.

— Vous vous rendez compte du prix ?! »

     La prêtresse ne répond pas. Elle va près du lit du petit prince et commence à canaliser sa magie. Cette dernière en accumule une grande quantité, puis le relâche au niveau de ses mains, créant des vagues de soin traversant le corps malade et couvert de bandelettes ensanglantées. Tandis qu'Amine commence à sourire en voyant l'état de son frère s'améliorer rapidement, la prêtresse, à bout de forces, tombe à genoux, la magie qu'elle avait accumulée semble complètement vidée, et le contrecoup la frappe de plein fouet. Elle devient pâle et nauséeuse, sa vitalité ainsi que sa spiritualité semblent pâtir de l’excès de zèle de la femme. Amine vient rapidement la supporter et l'emmène vers sa chambre alors que l'état de son petit frère semble se détériorer de nouveau.

     La nuit semble déjà arrivée quand la prêtresse revient à elle. Allongée sur son lit, elle a une sensation de vertige qui la laisse quelques instants étourdie, mais dès que la terre autour d'elle semble s'arrêter de tourner, elle se lève avec difficulté. En face de sa couche se trouve un mannequin de couture sur lequel une robe très proche de sa tenue traditionnelle avait été disposée. Le long manteau extérieur est d’un rose léger avec des motifs de fleur de cerisier imprimées, tout comme les longs voiles couvrant les manches et les cheveux, descendant tel une traîne dans le dos. La capuche large est bordée de coutures rouges se terminant par les mêmes nœuds qui ornent le buste et les manches du kimono. Quelques fleurs fraîches éparses viennent ajouter une touche de nature sur la tenue, tandis que les dentelles apportent quant à elles, de la sophistication. Inari se lève pour se rapprocher du mannequin, afin d'y jeter un regard plus poussé. Elle glisse sa main à l'intérieur et voit deux autres couches de vêtements: un kimono et un sous-kimono. Elle caresse des doigts le kimono blanc et rouge traditionnel des prêtresses, mais le tissu utilisé dans sa confection est tellement luxueux que la renarde ose à peine le toucher, ayant peur de le salir. Pour accompagner cette robe, une élégante paire de gettas est disposée au pied du mannequin.

{ C'est donc ça que je vais revêtir pour le bal ? Je risque d’avoir plutôt chaud là dedans… }

     Elle soupire en pensant à la soirée qui se profile.

{ J’ai vraiment l’impression d'être une poupée, que l'on expose aux yeux de tous, contrôlée comme une marionnette pour divertir la galerie, mais bon, il faut respecter la loi divine… }

     Inari se dirige vers sa fenêtre et regarde les étoiles dans le ciel. Ses pensées passent rapidement, et la nostalgie la frappe à nouveau.

     Sur une île modeste de l'Océan, une petite fille aux cheveux de paille et aux yeux rouge passe sa tête à travers une ouverture d'une petite maison qui semble en construction. Elle sourit et laisse ses attributs animaux ressortir, sa queue dorée se balançant en rythme derrière elle, montrant clairement sa joie et son excitation. À l’intérieur du bâtiment se trouve une femme, qui a première vue, semble lire un parchemin. La lumière du soleil vient réchauffer sa peau de miel, se reflétant dans ses cheveux blonds platine descendant jusqu’aux hanches. Cette personne est vêtue de la tenue de prêtresse, mais la chose qui la démarque des autres femme de l’île, c’est un cristal topaze incrusté dans son front, et ses trois paires d’ailes blanches. Telle une colombe, cela lui donne une sorte d’aura bienveillante. Elle tourne son regard vers la fenêtre.

« Inari, ma fille. Tu ne devrais pas être en cours ? Tu sais bien que l’ordre n’aime pas quand on sort des règles. »

     Les oreilles de la petite renarde se baissent rapidement, et son sourire se transforme en une moue triste.

« Tu connais les préceptes de l'ordre non ? »

     La petite fille se met à imiter les mouvements de bouche de sa mère en les exagérant, mais sans parler, alors que l'ange récite:

« La loi divine dit: chaque être vivant a le droit de vivre dans ce monde. Mais il est encore plus important de respecter les règles. La loi divine n’aime pas le chaos. Et surtout, tu ne dois pas faire empiéter notre loi divine sur les religions existantes dans les différents pays où tu iras… Tu as compris Inari ?

— …esse ? Prêtresse ? »

     Elle est soudainement tirée de sa rêverie. Une servante est venue pour lui annoncer que le bal va bientôt commencer et qu’il est temps pour elle de se changer. Inari congédie la jeune femme alors qu’elle commence à se préparer.

     En dehors du château, des véhicules se garent dans la grande cour, et des personnes en sortent une par une. Habillés de belles robes, le plus souvent bouffantes, et de beaux costumes, les nobles et leur famille présentent leur respect à la garde royale, qui pour l'occasion, porte le costume militaire officiel et leurs armes d'apparat: une épée à double tranchant faite en argent, et ornée d’une gemme aux couleurs différentes, probablement liée à leur rang. Jurant totalement avec l'arrivée des puissants de ce pays, Nobanion arrive à pied, et tandis qu'il regarde autour de lui, la lettre de Yu Yao en main, il s'approche des nombreuses calèches qui commencent à s'éloigner en direction d'une cour plus reculée, où les chevaux seront soignés par les écuyers. Le château, vu d'aussi près, lui donne le sentiment de n'être qu'une fourmi face au monde vu des yeux d'un humain. Légèrement déstabilisé, il réajuste sa tenue pour se donner de la contenance et se rassurer, mais d'un autre côté, il est piqué dans sa curiosité. Son regard se pose alors sur les armoiries d'Athalya présentes en grand nombre, que ce soit sur les uniformes des gardes, ou sur les innombrables drapeaux et bannières. Ces dernières semblent représenter un bouclier scindé en trois parties: un côté uni bleu profond symbolisant la royauté, tandis que l'autre bord reprend la teinte précédente mais presque recouverte d'un noir de jais, surmonté de la croix du Culte du seigneur Blanc. Nobanion en déduit que le noir est sûrement là pour monter l’obéissance envers la famille royale, le tout sous la bienveillance de l'église et de la religion. Le milieu du bouclier est une bande blanche, agrémentée de sortes de lances avec trois points au sommet. Le démon se demande à quoi cela correspond, mais il n'a pas assez d'expérience dans l'étude des armoiries pour parvenir à le déchiffrer.(1)

     Alors qu’il arrive devant les gardes, ses derniers semblent surpris de sa démarche, mais surtout par le fait qu'il ne soit pas venu dans un carrosse comme les autres nobles. Ils en profitent pour l'observer de haut en bas, jugeant de sa tenue. Noba est vêtu d'un manteau noir posé négligemment sur ses épaules, le col agrémenté d'une épaisse fourrure assortie, perdant ainsi son rôle initial pour n'être plus qu'une cape, dissimulant légèrement le costume noir de style militaire avec un pantalon blanc qui met superbement en valeur les formes du renard. Les gardes sont même surpris de voir qu'il porte à la ceinture une épée d'apparat, qu'il aura sûrement empruntée à Yu Yao. Épinglées sur le veston, deux médailles d'honneur trônent fièrement, et bien que les soldats n'arrivent pas à reconnaître leur origine, mais cela ne semble pas important à leurs yeux. Nobanion desserre un peu son foulard, laissant apparaître l’onyx qui sert de broche à cette dernière, afin d'être un peu plus à l'aise pour respirer. Les gardes laissent alors passer le jeune homme, après avoir vérifié le document apporté par ce dernier. Il avance alors dans le long couloir recouvert d’un tapis rouge, étouffant le bruit de ses bottes noires à chaque pas. Il se rapproche d’une double porte, perdu dans ses pensées.

{ Tout ça pour calmer l’animal sauvage hein. Allez, c’est l’heure de chasser cet étrange ange… Attends… Je ne m'apprête pas à violer un tabou en faisant cela ? Bah, c’est pas grave, c’est pas comme si c’était important, je dois absolument me débarrasser de cette obsession. }

     Le renard s'arrête devant les gardes surveillant l'entrée de la salle de réception, leurs hallebardes dissuadant qui que ce soit de faire le malin. Ses derniers s'écartent et Nobanion rentre dans la pièce, où mille dangers attendent les nobles, où danser et esquiver les problèmes est une nécessité, le tout en gagnant le plus de points possibles à chaque interaction avec les familles présentes, pour nouer des liens et asseoir sa position à la cour royale.

{ Pour chasser un Tigre, le mieux reste encore d'aller le chercher dans son antre… }

(1) La lance avec les trois points sont des hermines.

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