13 - Le bal

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    Au moment où il passe les portes de la salle de bal, le renard entend quelqu’un l’annoncer sur sa droite.

« Le représentant de la famille Yao est arrivé. »

     Beaucoup de têtes se tournent vers le jeune homme, et une pression incroyable tombe alors sur les épaules de ce dernier, comme pour lui faire comprendre davantage que le lieu où il se trouve est un piège à loup. Quelques hommes mais surtout des femmes gardent leur regard sur lui, et rapidement des murmures s'élèvent. La caste féminine tient un discours assez obscène, mais à voix basse, et principalement derrière des éventails et autres mains tenues proche de leur bouches afin que l'on ne puisse distinguer leurs mots. Quant à eux, les hommes semblent plutôt se moquer ouvertement de lui, le racisme naturel lié à la race semblant ressortir rapidement en sa présence. L’espace d’un instant, cette scène le ramène à une époque pas si lointaine, dans un passé qu'il oublierait volontiers.

     Dans une salle de banquet décorée richement, où l'opulence sautait aux yeux des rideaux en velours aux couverts en argent lustrés comme des miroirs, des jeunes femmes en tenues légères dressaient les tables avec de nombreux mets préparés dans les cuisines peu de temps auparavant. La renarde, seule non humaine dans ce petit groupe, se sentit immédiatement jugée lorsque le roi pénétra dans la pièce, suivi de toute une ribambelle de nobles plus gras les uns que les autres. L'un d'eux, en passant près de Sharess, lui donna une claque sur les fesses, qui la fit presque renverser le plat qu'elle tenait dans ses mains, alors que la troupe commençait à rigoler de la situation. La renarde baissa les oreilles et les yeux, sachant pertinemment que si elle osait ne serait-ce que gronder, elle serait envoyée dans la chambre de pénitence pour au moins dix jours. Elle qui n'avait déjà pas beaucoup mangé ces derniers temps, elle ne pouvait pas s'infliger un jeûne forcé par dessus cela. Mais lorsqu'elle remarqua un trou dans la file de noble qui se reflétait dans le miroir, elle se retourna vivement et croisa le regard d'un homme charmant aux longs cheveux d'ébène, qui la fixait de ses prunelles grises, qui, elle en aurait mis sa main à couper, sont devenues carmin l'espace d'une seconde. Il lui fit un sourire à couper le souffle, et d'un geste maîtrisé, il déposa un petit bout de papier dans une plante verte qui trônait au milieu de la pièce. Mais le contact visuel fût interrompu par le passage d'un autre noble devant lui, trouvant certainement son homologue trop lent, et qui lui barrait l'accès aux petits fours.

     Nobanion revient alors à lui lorsqu’une jeune femme vient se présenter en s'inclinant dans une légère révérence, montrant un peu de respect mais pas tant que cela. L’homme en déduit qu’elle est probablement d'une famille influente, et il la salue en conséquence.

« Bonsoir monsieur.

— Bonsoir mademoiselle, il ne me semble pas avoir le plaisir de vous connaître.

— Je suis la cinquième fille du comte Jasmin, Nora Jasmin. Cela m'étonne que vous n’alliez pas aux côtés de vos congénères.

— Aux côtés de mes congénères ?

— Oui, les autres sous-humains, bien que simplement décoratifs, certains sont aussi des Nobles. »

     Cependant à l'évocation du mot noble, son visage semble se déformer de dégoût, tandis qu'elle pose son regard vers un coin de la salle où un homme oiseau sirote tranquillement un verre de vin. Les yeux de Nobanion, suivant ceux de la jeune femme, finissent par tomber sur l’homme animal, dont les grandes ailes s’agitaient de temps à autre dans son dos. Malgré ses souliers, on peut aisément distinguer que ses pieds sont tels les serres d'un rapace, et que sa tenue avec une veste tombant jusqu'aux genoux n'est pas là par hasard, elle sert à dissimuler plus ou moins efficacement sa queue de plumes brunes. Malgré son bec, il parvient à déguster le contenu de son verre grâce à ce qu'il semble être une paille faite d'une tige de roseau.

« Dans ce cas, pourquoi venir me parler, si vous me mettez dans le même panier qu’eux ?

— Parce qu'avec un peu d’artifice, vous pourrez facilement passer pour un humain, et aussi parce que vous représentez la famille Yao. »

     Nobanion s'apprête à répondre, cependant c'est à ce moment précis que les portes s'ouvrent à nouveau et que le valet chargé de surveiller ces dernières annonce d'une voix cérémonieuse:

« La famille royale et son invitée. »

     Les gens s'inclinent alors sur le champ, reculant afin de laisser le chemin libre entre l'entrée de la salle et les trônes dominant toute la salle sur leur estrade fleurie, rappelant le thème des festivités. Inari apparaît en première avec le prince à ses côtés, et sa tenue surprend la plupart des personnes présentes. Le prince aîné est vêtu d’une veste à queue de pie carmin aux fioritures dorées, sur un pantalon d'un noir profond lui-même engoncé dans de longues bottes de cuir d'une couleur très proche. La chemise de jais du jeune homme était agrémentée d'un foulard de soie blanc, maintenu en place grâce à une broche dorée surmontée d'un magnifique rubis. À leur suite, la petite princesse de six ans s'avance avec grâce, habillée d'une robe bustier bleu roi assez simple, avec de longues manches, le tout orné d'étoiles dorées. Par-dessus cette dernière, une sorte de toge en voilage bleu ciel agrémenté de broderies aux motifs de constellations tombe en cascade, tandis qu'une broche en forme de croix la maintient en place. Le tout donne à la petite princesse l'apparence d'un magnifique plafond céleste.

     Le trio avance en direction de l'estrade, et Inari se détache du groupe pour rejoindre la foule des nobles une fois sa destination atteinte. La fratrie royale, quant à elle, s'agenouille de chaque côté des escaliers menant aux trônes, alors qu’une figure musclée et carrée rentre au bras d’une femme sulfureuse. L’homme aux traits durs et assez brutes commence à avoir une chevelure poivre et sel, indiquant que le roi n'est pas loin de sa cinquantième année. Ses bras, bien que camouflés sous ses habits bordeaux, donnent une impression de puissance, l’homme semble presque sur entraîné, mais certains signes montrent que cela fait un moment qu’il n’a plus pratiqué. Notamment son ventre qui, malgré la tenue ajustée, est légèrement rebondi, ce qui contraste avec sa carrure athlétique.

     À ses côtés se tient une magnifique femme d'âge mûr qui ne fait pas ses années, tant le maquillage et les vêtements soigneusement choisis qu'elle porte la mettent en valeur. Sa robe d’un blanc ivoire renvoyant au symbolisme de la pureté, taillée en sirène, souligne les courbes naturelles de la reine. Le bustier dévoile avec élégance le cou et les épaules, et le fard appliqué au niveau de la poitrine lui donne un effet de volume les faisant ressortir. Elle porte également de longs gants rouges en velours, assortis à l'imposante cape bordeaux bordée de fourrure blanche qui traîne derrière elle. La chevelure d'ébène de la monarque tombe en vagues aériennes sur son épaule, avant de glisser jusqu'au buste. Ils finissent par rejoindre leurs enfants, puis s'installe sur leurs sièges, suivis rapidement de ces derniers.

     Nobanion, lui aussi agenouillé pour éviter les ennuis, regarde les personnes qui passent. Son regard s'arrête principalement sur la famille royale. Le silence règne jusqu'à ce que le roi prenne la parole.

« Je vous souhaite la bienvenue à ce bal du renouveau, chers amis, amusez-vous, sustentez vous, et dansez jusqu’au bout de la nuit ! Maestro ? Musique ! »

     Un musicien commence à faire vibrer son violon et le reste de l'orchestre enchaîne rapidement, rejoint par les chœurs et leurs voix angéliques. Le renard regarde partout autour de lui, lorsqu'il aperçoit alors l’homme oiseau s’approcher de lui et se présenter :

« Bonsoir, je m'appelle Monsieur De Fargus.

— Humf, encore un sous-humain, ça commence à sentir mauvais par ici, Monsieur le représentant Yao, ne restez pas trop longtemps avec eux, vous allez finir par puer comme eux ! »

     Alors que les deux font une petite courbette pendant que la noble repart, Nobanion continue de regarder le nouveau venu.

« Enchanté. Appelez moi Nobanion, je suis le représentant de la famille Yao.

— C’est étrange de voir cette illustre lignée revenir après trente ans sans aucunes nouvelles, y a-t-il une raison à cela ?

— Il y en a une, mais ce n’est pas pour danser en compagnie des nobles ni pour m'immiscer dans la politique.

— Je comprends. Je ne souhaite pas spécialement vous importuner, mais si jamais vous avez besoin un jour, n'hésitez pas à venir à ma rencontre, je serais heureux de pouvoir aider l'un de mes semblables.

— Merci, je n’y manquerais pas. »

     Nobanion prend rapidement congé et vogue à la recherche de son obsession. La prêtresse navigue entre les nobles, les esquivant pour se diriger rapidement loin de la fête. La femme passe de grandes doubles portes vitrées donnant sur un balcon avec une vue imprenable sur les jardins du château. Elle descend les escaliers de marbre et se retrouve à fouler l’herbe en abordant un petit air de satisfaction.

{ J’ai bien fait de fermer mon esprit, les conversations que j’ai pu entendre sont d’un barbant… }

     Dans sa tête, elle se met à imiter les voix de la noblesse:

{ Ho ho ho! Bonjour monsieur le baron, je suis ici pour vous présenter ma fille, que diriez-vous de la prendre en tant que concubine…

— Elle m'a l’air assez belle, pourquoi pas, si elle se débrouille bien, elle pourrait devenir encore plus, et vous aussi hahaha ! }

{ Sérieusement, entre ce genre de truc et les coups bas des femmes pour avoir plus de pouvoir… À croire que seule leur descendance les intéresse… Ils feraient mieux de cacher leurs arrières pensées… J’ai l’impression de voir un rat recouvert de bijoux pour paraître moins sale… }

     Alors qu’elle semble perdue dans ses pensées, le renard fanfaron, lui, continue de danser entre les personnes à la recherche de cette créature étrange. C’est alors que du coin de l'œil, il la voit partir vers l'extérieur. Le détail qui attire son attention est qu'elle apparaît presque invisible, comme un fantôme, on ne la distingue que très faiblement alors que pourtant, elle a de quoi se faire remarquer, que ce soit par sa tenue ou sa prestance. Mais ce qui semble l’avoir trahie auprès du renard, c’est l’odeur subtile qu’elle dégage et le sang du démon qui se met à bouillir. Il décide alors de la suivre, et une fois ses vêtements réajustés, il la rattrape pour engager une conversation.

« Excusez-moi, mademoiselle ! »

     Cependant, la prêtresse ne semble même pas prêter attention à la parole du renard. Pour se faire remarquer, il avance donc jusqu'à saisir le poignet de la jeune femme. Mais au moment de refermer sa main, il ne rencontre que du vide. Mais ce geste est payant, car l’attention d’Inari se porte enfin sur l’homme.

« Bonsoir, je m'appelle Nobanion, et je n’ai pu m'empêcher de vous remarquer dans la foule. Vous êtes d’une beauté saisissante, et je me demandais si vous souhaiteriez passer un peu de temps avec moi dans ce jardin. »

     La prêtresse ne réponds pas, ce qui laisse un blanc très gênant entre eux, et l’homme prend cela pour un oui. Il se détend un peu et enchaîne rapidement.

« Bien, bien. Dites-moi, la belle personne que vous êtes a-t-elle un nom ? Bien que cela ne me dérange pas de ne pas le connaître, mais en général, c’est tout de même plus agréable. Et au risque de vous paraître un peu vieux jeu, j’aimerai aussi vous dire que de toutes les étoiles du firmament, vous êtes de loin la plus resplendissante. »

     Nobanion commence à prendre la direction d'une zone plus à l'écart dans le jardin, mais Inari ne semble pas le suivre, et au contraire, part de l’autre côté laissant l’homme animal sur place. Loin dans le ciel, un corbeau commence à coasser.

{ Bordel de ! Normalement, ma simple présence suffit à les entraîner par le bout du nez ! Mes pouvoirs sont-ils totalement inefficaces ou quoi ? Bon, tentons de rentrer dans le vif du sujet. }

     Nobanion se concentre quelques instants avant de diffuser son pouvoir et de le concentrer sur la prêtresse.

« Vous savez, on pourrait se trouver un petit coin un peu à part, pour être juste tous les deux, histoire de s’amuser un peu, qu’en pensez vous ? »

     Persuadé que cette fois, cela marcherait, le renard se rapproche de son obsession, mais contre toute attente, la femme l’ignore totalement et le laisse en plan au milieu de la verdure. Un sentiment d’humiliation naît dans le cœur de l’homme, et il commence à s'énerver plus que de raison, perdant légèrement le contrôle et laissant sa magie s'étendre bien au-delà de ce qu'il avait prévu initialement…

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