17 - La cible parfaite

8 minutes de lecture

Assise dans sa chambre aux couleurs chaudes, Sharess est allongée sur son lit à regarder le plafond. Elle se mord la lèvre inférieure comme pour calmer sa propre rage, mais au contraire, cela ne fait que la renforcer et elle explose. Elle se masse le visage ou la marque d’un coup est visible. Les événements se déroulent encore et encore, mais l’imagination de la femme les modifie petit à petit, jusqu'à ressembler à un rêve éveillé. Plus cet état second s'installe, plus les doigts de Sharess se mettent à glisser sur sa peau, quittant sa tête pour s'aventurer sur son corps, soulevant les étoffes la couvrant sur leur passage. Le feu qui s'était installé en elle devient alors hors de contrôle, alimenté des images qu'elle peut presque discerner malgré ses yeux clos. Son dos se cambre un peu et dans un dernier mouvement, ses longues oreilles se plaquent sur l'oreiller comme pour lui éviter de perdre pied. Le souffle court, la peau brillante et l'esprit apaisé, la renarde parvient enfin à revenir à la raison.

{ Tu ne me contrôleras pas ! Je ne te laisserai plus d’espace ! }

Mais malgré sa volonté, elle doit s'y reprendre à plusieurs reprises pour apaiser ses démons, jusqu'à l'épuisement total de son corps déjà bien malmené par la soirée qu'elle vient de vivre. Le soleil commence à pointer ses premiers rayons de soleil et Sharess soupire.

{ Et bien il semblerait que je ne vais pas faire grand chose aujourd'hui… }

Les yeux clos, elle se laisse emporter par la douce étreinte de Neith, baignée dans les premières lueurs de l'aube.

Ce sont des bruits dans la ruelle sous sa fenêtre qui la tirent de ses songes, toujours centrés sur la prêtresse inaccessible. Allongée sur le ventre, elle gronde un peu, la tête légèrement endolorie et le nez dans l’oreiller, avant de murmurer:

« J’ai faim… Il faut qu’elle disparaisse de ma tête, et que je me nourrisse… Mais à quoi ça sert de sortir, tu vas encore n’en faire qu'à ta tête de toute façon, hein… »

Cette complainte vaine, dirigée à son fort intérieur, résonne dans sa chambre sans trouver de réponse. Après un court soupire, la renarde reprend:

« Allez Sha… La nourriture ne va pas s'offrir à toi sur un plateau… »

La jeune femme se lève lentement de son lit, afin de ne pas aggraver ses maux de tête, mais surtout pour éviter un vertige dû à son manque de nourriture. Une odeur hormonale qu’elle ne connaît que trop bien vient chatouiller ses narines, finissant de la motiver à s'extirper de sa couche et se précipiter vers le baquet et la cruche remplis d’eau. Elle commence à s'asseoir dans ce dernier, en claquant des dents tant la différence de température entre son corps brûlant et l'eau glacée est saisissante, mais le choc passé, elle peut finir de s'installer. Elle récupère un savon sur la commode non loin et commence à frotter sa peau hâlée. Une fois propre, elle se rince avec le contenu de la cruche et se sèche. Elle sort ensuite de sa baignoire improvisée et se sert de ladite cruche pour en jeter le contenu par la fenêtre, vérifiant tout de même qu'aucun passant malheureux ne se trouve sous la cascade. Elle se dirige ensuite vers sa coiffeuse pour s’attaquer à ses cheveux emmêlés et en bataille. La démone grimace et retient ses gémissements de douleur lorsqu'elle tombe sur un nœud dans sa crinière. Remettant ses cheveux en place, elle décide de les coiffer en formant une queue de cheval haute, et de laisser un peu sa nuque à découvert. Elle a remarqué que dans ce lieu sordide, beaucoup de bourgeois s'amusent à regarder le cou des jeunes femmes.

{ Les mœurs Athalyennes sont étranges, on dirait que les gens font cela dans le but de se donner en pâture aux vampires… Enfin, si ça me permet de manger correctement ce soir, je ne dis pas non. }

Puis, elle enfile de beaux vêtements, de quoi attirer un peu l’attention sur elle sans trop en faire. Elle prend une grande inspiration, et passe la porte de sa chambre, tombant sur Yu qui la regarde dans les yeux. La renarde comprend bien vite que la présence de la vieille femme à cet étage n'est pas un hasard.

« Sharess, vous avez un instant à m'accorder ? J'aimerais vous donner une nouvelle mission.

— Dites toujours, je ne suis pas contre un peu d’argent en plus.

— L’épouse de Monsieur Stein est persuadée qu’il a des relations avec d’autres femmes. Elle a demandé à plusieurs personnes de mener l'enquête, mais il arrive toujours à esquiver les problèmes, de ce fait, tu sais déjà ce que je vais te demander n'est-ce pas ?

— De le trouver et de coucher avec lui contre un petit extra d’argent ?

— Je vois que tu as tout compris !

— J’imagine que tu sais où le trouver ?

— Il a tendance à traîner dans un bar proche de la ville de Balwinder, le café de l’art ou un nom qui ressemble à ça. Essaie de l’aborder avant qu’il ne rentre à l'intérieur. »

C'est avec une voix lasse que Yu lui décrit sa cible, un humain approchant de la quarantaine, athlétique et dont un tatouage de serpent pouvait être aperçu malgré les cols hauts des chemises qu'il affectionne. Une fois la discussion finie, elle prend donc la direction de la ville de Balwinder, réfléchissant à une stratégie pour tenter de ferrer ce gros poisson.

{ Encore ce genre de requête c’est la combientième.. Sixième? Septième ? Yu a clairement plus de relations qu'elle ne veut bien l'admettre. }

La renarde secoue sa tête et fait onduler sa queue au rythme de ses pas, profitant du trajet pour se mettre dans la peau de la proie idéale. C'est alors que des effluves nauséabondes lui agressent le nez, mettant à mal sa concentration et sa tentative de se mettre dans une humeur plus joueuse et charmeuse. Malheureusement, ce genre de pestilence est monnaie courante dans les petites ruelles sombres de ce bidonville, et à force d'y vivre, on finit par s'y accoutumer. La présence de la prêtresse dans ses pensées force la jeune femme à se mordre la lèvre inférieure pour se contrôler, mais son corps réagit à nouveau, elle sent sa température monter légèrement, son souffle devenir plus chaud, elle parvient même à sentir ses propres phéromones. Mais elle continue d’avancer, jusqu'à arriver proche de la porte séparant Balwinder et le district. Ce quartier, moins délabré, est l'un des seuls coins où une vie presque normale est possible: en effet, les gardes se permettent parfois de faire des rondes, dissuadant les truands de trop faire les malins. Elle regarde la course du soleil pour s'apercevoir que ce dernier commence seulement à laisser place à la nuit.

{ Il faut croire que je suis en avance, devrais-je essayer d’attendre, ou bien passer de l’autre côté et aller en ville ? }

La renarde croise alors ses bras et se met à tapoter la peau proche de son coude. Tout en réfléchissant, ses oreilles se tournent soudainement dans la direction d'une ruelle sombre lorsqu'elle perçoit quelques mots étranges couverts par une sorte de sifflement, comme pour empêcher les curieux d'entendre le contenu de la conversation. La femme ne comprend alors que les mots “représentation” et “nettoyer derrière”. Bien qu’elle souhaite en apprendre plus, l'arrivée d’un véhicule attire son attention et la détourne des voix. Une calèche tirée par deux chevaux s'arrête juste avant la porte menant au district, et après quelques instants, la cible de cette nuit en sort tranquillement. Un sourire en coin se dessine sur les lèvres de la kitsune, c'est l'heure. Elle se déplace dans une petite ruelle, proche de la porte, patientant que sa cible s'approche, concentrant son esprit sur les sons environnant pour déduire à quelle distance se trouve sa proie. Quelques instants plus tard, elle déboule en courant et se cogne contre l’homme, le cœur de ce dernier manque un battement en la rattrapant par réflexe en lui saisissant le poignet, évitant à Sharess d'être repoussée dans la boue.

« Vous allez bien mademoiselle ?

— J..Je suis désolée monsieur ! Veuillez m'excuser, je ne regardais pas où j'allais…

— Que fuyez-vous pour être dans un tel état ? Vos cheveux sont en désordre, et vous semblez être hors d'haleine. »

L’homme en profite alors pour passer sa main dans les cheveux de la démone en lui souriant.

« J’étais poursuivie par… des truands.

— Ha, ne vous en faites pas, vous êtes en sécurité maintenant. Et s'ils essayent quoi que ce soit, ils goûteront à la morsure de ma lame. Mademoiselle ?

— Baast.

— Vous avez un bien joli nom de famille pour une jeune femme qui vie dans le district.

— M..merci, c’est vrai que mes parents sont fiers de ce nom eux aussi.

— Je m'appelle Stein, Morgan. »

Sharess retient un sourire, elle trouve que ce nom lui va à merveille avec ses cheveux en épis qui partent dans tous les sens. Les cheveux noir de l’homme font ressortir ses yeux argenté qui semblent presque briller sous la lumière de la lune, son eau de toilette assez forte monte immédiatement au nez de la renarde qui sature, la gênant fortement.

« Ravie de faire votre connaissance monsieur, mais je crains de devoir vous laisser.

— Quel dommage, j'aurais bien voulu partager un verre et un peu de ma soirée avec vous mademoiselle. »

Il prend le temps de regarder la tenue de la démone ainsi que les possibles ornements qu’elle porte.

{ Pas d’oreilles ni de queue, elle semble humaine. Elle est probablement adolescente, et sûrement en pleine phase de rébellion avec l’autorité parentale. Grâce à ses vêtements, j’arrive à en déduire qu’elle est bourgeoise, pas dans les plus grandes richesses mais sûrement parmi les nouveaux bourges. Ce soir, je vais encore pouvoir goûter à une jeune femme. Je vais devoir l'impressionner un peu, mais cette nuit, j’aurai un jolie chauffe lit. }

Morgan sourit en regardant la renarde et il attend sa réponse. Sharess elle regarde un peu ailleurs, elle hésite longuement avant d’annoncer :

« C’est d’accord, de toute façon je n’ai pas envie de rentrer.

— Pourquoi ? Vous êtes-vous disputée avec vos parents ? »

Sharess marque un temps d’arrêt aux mots de l’homme.

{ Parents !? Cet homme me prend pour une adolescente ? Il faut que je tire cela au clair rapidement. }

« J’ai eu une divergence d'opinion avec mon petit frère. Le ton est monté, et j’ai décidé de partir de la maison de mes parents, de toute façon, ils vont être encore du côté de mon frère.

— Est-ce indiscret de vous demander le sujet qui vous oppose ? Peut-être que ma sagesse pourrait vous aider.

— Je suis désolée, mais c’est un sujet un peu intime et je ne me sens pas assez sûre de moi. »

Morgan se met à rire légèrement et il se met à penser.

{ Ha, elle a surement un soucis avec le sexe, à cet âge c’est souvent source de conflit. }

« Allons ce n’est rien, venez avec moi. Je vais vous appre… accompagner et je suis persuadé que nous passerons un bon moment ce soir.

— Dans ce cas, vous voulez bien être mon guide ? Je ne connais que les abords de la ville. Je n’ose pas m’enfoncer dans ce... taudis…

— Juste avant que nous partions, vous avez bien plus de seize ans non? »

Une expression de surprise se dessine sur son visage, elle plisse un peu des yeux mais elle se reprend assez vite.

{ Miss Yao prend vraiment des missions sur des personnes étranges… Aurait-elle compris ce que je suis ? }

« En effet, je viens d’avoir mes seize printemps la semaine dernière monsieur.

— Parfait, nous allons pouvoir consommer de quoi briser la glace dans ce cas, mademoiselle Baast. »

Détournant chacun leur regard de leur côté, Morgan commence à penser, suivi rapidement par Sharess.

{ Décidément elle est vraiment… }

{ Ce genre de personne est vraiment… }

Et au même moment, ils concluent:

{ La cible parfaite pour moi. }

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Nahara Tabari ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0