18 - Une nuit dans le même lit

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    Morgan, suivi de près par Sharess, passe le poste de garde entre Balwinder et le district, et s'enfonce dans la ville. Le vent souffle légèrement et l’homme ne peut s'empêcher de poser ses yeux sur la créature à côté de lui. Une tension commence à se créer entre eux, et la démone ne semble pas y être pour rien.

« J’ai quelque chose dans les cheveux? demande-t-elle

— Hum ? Oh, non non, c’est juste qu'il est rare de trouver une jeune fille avec des cheveux de feu comme les vôtres. Vous ressemblez un peu à la femme parfaite. »

    Un rire légèrement gras s'échappe de la gorge du noble. De son côté, les traits de Sharess se durcissent l'espace d'un instant avant de retrouver leur douceur habituelle.

« Je… Je ne sais pas quoi répondre à ce genre de compliment, mais je l’accepte volontiers. »

    Les rues de la ville, éclairées tant par la lumière de la lune que par les cristaux luminescents trônant sur de longs piliers de pierre, donnent un grand sentiment de sécurité à la renarde, surtout lorsqu'elle compare cette ambiance à celle du district. C’est alors qu’elle se heurte de façon légère à Morgan, qui vient de s'arrêter devant un établissement dont la prestance laisse penser que ses affaires sont florissantes. Une auberge au nom aussi chic que la devanture faite de bois sculpté et de pierres taillées, dont les épais rideaux de velours brodés occultent les fenêtres, et qui, malgré l'agitation de la rue, ne semble pas attirer l'attention.

« Le rêve d’une vie, nous y voilà. C’est l'une des meilleures tavernes de la ville. Ils y servent des mets et boissons exotiques qu'on ne trouve nulle part ailleurs. »

    L'homme pousse alors la porte, qu'il maintient ouverte et invite Sharess à la traverser dans une légère révérence, avant de reprendre.

« Après-vous, mademoiselle Baast. »

    Comme le souhaite la tradition et les mœurs, elle passe donc la porte avec un pas légèrement timide. Lorsque ses yeux se sont habitués à l'ambiance, la femme découvre un lieu noble, dont le parquet entièrement fait de bois noble verni reflète la lumière chaude des chandeliers. Il est même interdit de garder ses souliers pour rentrer, et la renarde, connaissant quelque peu les lieux de débauche, comprend sans difficulté le but de tout cela. Dans l'entrée, situé un peu sur le côté se trouve un vestiaire, où un jeune homme habillé dans un costume trois pièce, semble regarder les nouveaux arrivants.

« Bienvenue au Rêve d’une vie, je m'appelle Esteban, je m'occuperais de vos effets personnels ainsi que des souliers. Pour vous mademoiselle, il y a une pièce juste ici afin d'être plus à l'aise. Je vous laisse vous installer, je m'occupe de vous dès que j'ai terminé avec Monsieur. »

    Sharess regarde le jeune homme, déconcertée, quelque chose la dérange. Ses cheveux châtains et ses yeux ambres s’accordent à la perfection, mais son sourire lui paraît faux. Un sourire de façade. Alors que Morgan retire ses chaussures de ville et les tend au jeune homme, ce dernier semble chercher dans son stock avant de lui donner des souliers d’un gris métallique. La renarde, sortant de son moment d'hébétement, se dirige vers la porte indiquée plus tôt et s’y engouffre. Elle entre alors dans une petite salle plus modeste, ou seul une méridienne en velours trône en son centre. Elle s'assoit et commence à retirer ses chaussures quand Esteban rentre dans la pièce. Il fixe les pieds de la renarde en souriant.

« Vos pieds sont d'une élégance rare, vous semblez en prendre soin. »

    Face au regard interrogatif de la jeune femme, il ajoute.

« D’un rapide coup d'œil, je suis capable de dire que malgré les distances parcourues, ils restent d’un raffinement et d’une forme admirable, donc j’en conclu que soit vous êtes de la noblesse, soit vous travaillez dans les métiers qui nécessitent un entretien du corps intensif. »

    Sharess regarde l’homme avec surprise, elle reste bouche bée devant son expertise qui, bien que particulière, a bien fait mouche. Tandis qu'elle détaille son interlocuteur, elle remarque son corps bien taillé, avec de larges épaules et une taille de guêpe qui séduirait facilement n’importe quelle femme si jamais ce jeune homme décidait de prendre soin de lui.

« La question que je me pose, c’est quelle apparence arborez-vous pour notre invité ? Car de mon point de vue, vous êtes une créature des ténèbres, je sens également une odeur caractéristique de fourrure, hors votre apparence est sans aucun doute humaine. Et en considérant le fait que M. Stein n'est point homme à aimer la compagnie des femmes animales… J'ai juste, n'est-ce pas ? »

    Esteban révèle son sourire à la démone, montrant ses crocs plus pointu qu'un humain, ou même qu'un loup-garou. Essayant de garder son calme et un visage fermé, la travailleuse de la nuit répond :

« À vous de me le dire, après tout, nous avons tous les deux l'air de ne pas être à notre place ici, Esteban.

— Allons allons, cela fait juste un long moment que je n’avais pas croisé des créatures surnaturelles comme vous. Ne vous montrez pas aussi froide avec moi.

— Ne prenez pas mon indifférence envers votre race pour-

— Ha, mon état, je vois… C’est vrai que beaucoup de personnes nous reprochent notre statut de parasite, mais je pense préférer ma vie à la votre. Ne vous inquiétez pas, je ne compte pas boire votre sang, je n’ai aucunement envie de me retrouver en proie à un désir sexuel hors de contrôle. Vous êtes vraiment des choix de dernier recours. Cependant, si jamais vous trouvez un moyen pour que je puisse me nourrir facilement, n'hésitez pas à revenir vers moi. En attendant, voici vos souliers, des chaussons qui iront à ravir avec votre tenue. »

    À ces mots, il tend les dit souliers à la renarde, confectionnés d'un tissu de couleur claire et brodés d'argent, donnant tout de même une certaine élégance à la femme qui les porte. Esteban s'incline et sort de la pièce en emportant les d'escarpins de sa cliente, laissant Sharess seule, encore un peu sonnée d’avoir fait face à une autre créature de la nuit. La démone glisse les souliers à ses pieds puis elle se lève tranquillement. Tandis qu'elle tente de réajuster sa tenue, elle sent quelque chose de poudreux sur ses doigts, sans comprendre de quoi il s’agit. La substance inconnue ressemble à du talc, souvent utilisé pour les chaussures, mais la renarde détecte quelque chose d'étrange malgré tout.

{ Une odeur ? Non, ce n’est pas l’odeur, c’est… }

    Elle porte ses doigts à ses lèvres, et à peine effleurées, une décharge passe subitement dans son corps tout entier. Cette sensation, Sharess la connaît très bien, elle se redresse avec un sourire mauvais sur le visage et se murmure à elle-même.

« Je vois, c’est donc ça votre astuce, je comprends mieux pourquoi vous êtes restés hors d’atteinte et pourquoi ce lieu s'appelle ainsi. Il est temps de transformer le rêve en cauchemar. »

    Sharess prend une grande inspiration et comme une comédienne qui passe du rire aux larmes en une seconde, elle affiche de nouveau son expression de timidité et sort de la pièce. Morgan, en conversation avec Esteban, s'arrête brusquement lorsque la porte s’ouvre sur sa conquête du soir.

« Monsieur, c’est beaucoup trop luxueux pour moi, je ne sais pas si je devrai accepter…

— Ne vous inquiétez pas autant, Mademoiselle Baast, c’est un plaisir de vous offrir un petit verre ici. »

    Sharess n’y avait pas prêté attention jusque là, mais une douce et sensuelle mélodie, jouée par un petit groupe de musiciens, se diffuse dans tout l'établissement. Simple au premier abord, c'est petit à petit qu'elle commence à s'insinuer dans l'esprit de la jeune femme, prenant de plus en plus de place.

« Je… je… je… me vois mal refuser monsieur, je vous suis. »

    L’homme avance donc tranquillement jusqu'à une table. Regardant autour d’elle, Sharess remarque que l’auberge est remplie d'hommes riches qui semblent s'amuser sans vraiment de pudeur avec des filles ou des femmes à leur table. La démone ne peut s'empêcher de regarder leur visage et lorsqu’elle remarque leur regard flou et dans le vague, elle retrouve momentanément ses esprits. Observant de façon plus claire cette fois, elle distingue une pochette étrange à la ceinture de tous les hommes présents, une sorte de talisman. Elle tourne les yeux vers son hôte et remarque qu’il a aussi ce grigri. Alors qu’elle essaye de maintenir son état de lucidité, la musique commence petit à petit à reprendre le dessus. Arrivés au bar, Morgan s’assoit et invite sa conquête à faire de même.

« Deux prestigieux, s’il vous plaît.

- Je... Pouvez-vous me donner quelque chose sans alcool ? Je n’ai pas envie d'être soule tout de suite. Je tiens assez mal l’alcool. »

    Le barman s'exécute alors que Morgan détourne la tête pour cacher la crispation de son visage. Profitant de ce moment, les doigts agiles de la renarde, qui contrairement à ce que l’on pense a un petit don pour chaparder les choses, viennent se refermer autour de l’amulette. Comme un éclair, le monde autour de Sharess semble regagner ses couleurs, comme si ses sens avaient été engourdis. L’odeur des femmes et des hommes excités plus que nécessaire commence même à donner des nausées à la renarde, qui détache le petit grigri de la ceinture de Stein. L'objet au creux de sa main et ses facultés retrouvées, elle soupire de soulagement.

{ Oser droguer leur proie de façon magique avec une poudre aphrodisiaque, ajoutant à cela une musique qui embrume l'esprit, ce lieu mérite bien son nom… J’imagine que ce talisman est une sorte d’antidote… }

    Mais elle est tirée de ses pensées lorsque les verres sont déposés sur la table. Devenue maintenant méfiante, elle regarde le verre et s'en saisit du bout des doigts. Morgan, sans un mot, saisit la main libre de Sharess et la regarde. En s'attardant sur les yeux de ce dernier, la démone s'aperçoit que la musique commence à avoir un impact sur lui, vidant petit à petit son regard de toute sa lucidité.

« J'aimerais porter un toast si vous le voulez bien…

— Un toast à ?

— À vous et à votre magnifique avenir mademoiselle… »

    Sharess est désorientée, l’espace d’un instant, elle se perd dans ses souvenirs et une scène de son passé refait surface.

~ • ○ • ~

    Plusieurs années auparavant, Sharess était conviée à une représentation, elle était une simple villageoise invitée au banquet du seigneur local, tout comme une trentaine d’autres femmes. Le seigneur souhaitait trouver une promise avec qui partager sa vie, disait-on. Les mêmes mots, la même voix, la même ambiance… Ce toast à l'avenir…

    Sharess lève alors son verre et murmure :

« À l’avenir. Et à notre nuit sans fin… »

    Les deux verres s'entrechoquent l’un contre l’autre et Morgan en profite pour demander sans détour:

« Cela ne vous dérange pas si nous avons des rapports sexuels tous les deux ? »

    La démone rit intérieurement, il faut croire que ce bar est capable de faire ressortir les vraies ambitions des personnes. Ou du moins, les pensées cachées de l'individu en face d’elle. Se doutant du pourquoi il lui demande cela, et en regardant autour d’elle, il n’est pas difficile pour Sharess de comprendre qu’il n’est normalement pas possible de refuser. Alors elle joue le jeu.

« Pas le moins du monde. Cela ne me dérange pas de passer une nuit dans le même lit. »

    Elle porte son verre à ses lèvres, le cocktail fruité passe légèrement sur sa langue, mais Sharess repose délicatement son verre et garde la mixture dans sa bouche.

{ En plus de tous les artifices qu’ils mettent en place, ils osent nous faire boire un philtre d’amour ? Il est temps de renvoyer tout ceci à l’envoyeur. }

    La danseuse se lève alors de sa chaise et s’approche de Morgan, elle prend les joues de ce dernier dans les paumes de ses mains et penche un peu le visage de l’homme qui a les yeux dans le flou. Puis, elle l’embrasse passionnément. Entrouvrant légèrement ses lèvres, le liquide magique coule droit dans la gorge de Morgan. Au moment où leurs lèvres commencent à se séparer, le noble ne peut s’empêcher de revenir à l’assaut, mais elle le repousse légèrement.

« Vous ne pouvez pas me faire ça… se languit l’homme. Donnez en moi un peu plus, s’il vous plaît.

— Si vous en voulez plus, il va falloir que nous montions, je ne veux pas que d'autres personnes puissent me voir… Mise à part vous. »

    À ses mots, une clé est glissée sur le comptoir, rapidement récupérée par la renarde, et les deux tourtereaux montent à l'étage pour plus d'intimité…

(Le prochain chapitre sera un chapitre mature entrecoupé d'éléments de l’intrigue. Ne vous inquiétez pas, pour les personnes qui n'aiment pas le mature, il y aura un chapitre 19.5 qui résume rapidement les informations obtenues par notre démone préférée.)

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