Lettre à Élise

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Cette lettre n’appartient pas à l’intrigue. Elle relève d’un geste intime, né en marge du roman. Elle ne cherche ni à expliquer le roman, ni à en dévoiler les coulisses. Elle n’est qu’un écho personnel adressé à une héroïne qui m’a accompagnée longtemps.

Très chère Élise,

Je me souviens exactement du moment où tu es née : pas dans une scène, pas dans une phrase, mais dans un vers de Verlaine. Il suffisait de quelques mots, et soudain tu étais là, debout dans la lumière pâle d’un matin de Bayeux, presque immobile, presque effacée, mais déjà impossible à oublier.

Mais je t’adore tout de même — ce n’était pas un cri, juste un souffle. Un souffle qui t’a révélée comme une porte entrouverte. Un souffle qui me disait : fais attention, elle ne se donnera qu’en silence.

Tu n’as jamais été froide. Ce mot, je l’ai senti glisser sur toi sans t’atteindre. Il a simplement servi d’étincelle, de contrepoint : la preuve qu’on peut être perçue autrement que ce qu’on est.

Ton secret commence là.

À travers le poème, je n’ai pas pris les images, ni les corps, ni les gestes. J’ai seulement gardé une vibration : celle de l’ambivalence, du malentendu, de l’apparence qui trompe. Ce vers, surtout : Quant au Point, Froide ? Non pas, Fraîche.

Et soudain, tout devenait clair : tu serais celle qu’on a mal lue. Celle qu’on n’a jamais vraiment regardée. Celle dont la douceur protège les blessures, dont la réserve n’est pas distance, mais survie.

Tu es sortie du poème comme on sort d’une chambre où la fenêtre vient d’être ouverte : un air nouveau, discret, presque timide, mais implacablement vrai. Tu t’es mise à marcher dans mes pages sans faire de bruit. Tu t’es tenue dans les marges, dans les gestes minuscules : un verre déplacé, une manche tirée, un souffle retenu. Tu disais très peu. Tu pensais beaucoup. Tu gardais tout.

Tu fais partie de ces personnages dont on croit qu’ils sont simples, parce qu’ils parlent bas. Mais tu es tout le contraire. Tu es faite de strates, de pudeur, de peau fine, de mémoire, de silences qui pèsent plus lourd que les cris.

Et pourtant, dans cette femme qui évite les éclats, il y avait déjà cette autre vérité que j’ai retrouvée dans le poème : Nos feux se trouvèrent terribles ? Non, mais donnèrent leur chaleur. C’était toi. Une présence qui ne brûle pas, mais qui réchauffe. Une force qui ne frappe pas, mais qui tient. Une intensité qui ne se proclame jamais, mais qui finit par tout traverser.

Tu m’as appris que l’on peut écrire un personnage depuis un cœur qui bat à voix basse. Tu m’as appris la lenteur. Tu m’as appris la retenue. Tu m’as appris que les ombres peuvent être douces, et que la douceur peut être une forme de courage.

Et ce n’est qu’un début. Tu glisseras dans La Dominante, presque en secret, pour dévoiler davantage de toi — cette force douce que tu portes, et que tu caches encore.

Je t’ai suivie, Élise. Pas à pas. Sans te brusquer. En priant chaque jour pour que tu me laisses approcher un peu plus près. Je n’ai gardé de Verlaine que ce qui te ressemblait : la nuance, le tremblement, la contradiction, et ce vers qui m’a poursuivi longtemps : Je te garde entre mes femmes Du regret non sans quelque espoir.

Je n’y ai jamais entendu la possession. J’y ai entendu la persistance : la trace laissée par une femme qu’on n’a jamais su comprendre, et qui pourtant laisse un écho durable.

Toi aussi, tu laisses un écho. Tu restes dans mes livres comme un parfum tenace, une ombre aimée, une lumière discrète. Et je sais que tant que ton histoire ne sera pas entièrement dite, tu continueras d’avancer devant moi, avec ce pas que tu as — hésitant, mais décidé.

Merci, Élise, pour ton secret. Merci pour ta force cachée. Merci pour ta douceur tenace. Merci de m’avoir obligée à écrire dans une langue qui ne t’abîme pas.

Je te suivrai. Toujours.

Ton auteure (amie).

Claire Béatrice Montfort

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