Meurtre (1ère partie)

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Immergé dans le liquide tiède de la baignoire, mon corps se détend de soulagement. J'observe mon reflet renvoyé par le fluide transparent. Mes traits faciaux ont encore gardé les séquelles de la frayeur vécue précédemment. Je palpe mon front avec des doigts tremblants, puis longe jusqu'à la mâchoire. La sensation d'avoir du sang visqueux sur mon épiderme ne disparaît pas. Et ces yeux... au regard vide, similaire à celui d'un aveugle, me hante l'esprit. J'asperge mon visage d'eau savonneuse, pour laver ces visions dérangeantes. Après une vingtaine de minutes, je m'essuie avant de m'habiller avec des vêtements à la fois présentables et confortables. Je coiffe mes cheveux bruns en queue de cheval, laissant deux mèches tomber le long de ma figure. J'en attache une à l'aide d'une barrette argentée. Ensuite, j'applique un léger maquillage pour camoufler mes cernes et ma mauvaise mine.

Depuis mon dernier cauchemar, une sensation étrange m'accompagne lorsque je contemple les photos familiales dispersées partout dans l'appartement, surtout celles mettant Céline en valeur. Ces dernières me mettent mal à l'aise d'une manière inexpliquée. Je maudis ce songe ridicule qui a terni son image. Oui, ce n'était qu'un rêve et pourtant, il semblait si réel que j'en frisonne encore. En croisant l'horloge du salon, je me rends compte de mon retard. J'enfile avec hâte un manteau marron, afin d'affronter le temps automnal. Mon estomac grogne de mécontentement, réclamant son petit-déjeuner. Malheureusement, je n'ai ni le temps, ni l'envie de me restaurer et la nuit précédente en est certainement la cause. Dans ces conditions, je préfère me noyer dans le travail pour soulager ma tête. Sous un ciel voilé, ma démarche s'effectue de manière plus rapide que les autres jours. Entrant dans le salon, je remarque que mes collègues sont déjà présents, même Cédric qui apparaît souvent en dernier.

« Miracle ! Mademoiselle la gérante est arrivée après nous ! s'exclame Sophie, toujours souriante et pétillante d'énergie.
- Nina, ça va ? demande la superviseuse, inquiète. Il s'est passé quelque chose ? Tu n'as pas l'air très en forme.
- Bonjour les filles ! débuté-je en m'efforçant d'être enthousiaste. Merci de t'inquiéter, mais ce n'est rien. J'ai juste eu un peu du mal à dormir.
- C'est l'effet de l'amour, ça ! » s'incruste le coiffeur expérimenté.

À l'entente de cette affirmation, la benjamine s'approche de l'auteur en galopant. Elle pose ensuite une main sur l'épaule de celui-ci, en exposant son intéressement :

« Vas-y, dis-nous tout ! Je veux savoir à quoi ressemble son prince charmant.
- Tu n'as qu'à lui demander toi-même.
- Bon, ça suffit, intervient Natalie. Laissons-la se préparer. C'est bientôt l'heure de l'ouverture.
- Roh, toujours aussi sérieuse ! Tu ne vas pas me dire que ça ne t'intéresse pas de le savoir, insiste la jeune femme.
- Tu lui poseras la question plus tard. Maintenant, tout le monde en place. »

J'affiche un sourire franc, amusée par cette scène inattendue. Il est agréable pour moi d'évoluer dans une telle ambiance. Je me sens en sécurité. Cette légèreté et cette routine minimisent mes préoccupations, les anesthésiant temporairement. La suite de la journée n'est qu'une copie de celle d'avant. Occupée par le travail, je ne pense plus aux rêves glauques faits auparavant. Les heures se succèdent en continu, altérant la coloration du ciel jusqu'à le rendre sombre. Sophie s'étire en émettant un son aigu, tandis que ses deux aînés discutent à voix basse. De mon côté, je range comme à mon habitude la salle, tout en gardant un œil intrigué sur mes collaborateurs.

« Au fait, Nina ne nous a toujours pas raconté ses aventures amoureuses, lance la blonde avec un sourire révélateur.
- C'est vrai ça ! réagit immédiatement sa cadette. Il faut que tu nous racontes jusqu'aux moindres détails.
- Tu étais la plus intéressée et tu as failli oublier, c'est pas croyable !
- C'est à cause de toi ! Tu sais très bien que j'ai une petite mémoire, avoue-t-elle en faisant la moue.
- Si ta mémoire est proportionnelle à ta taille, alors c'est inquiétant, lance le coiffeur.
- Mais qui vous a dit que j'étais avec un homme ? m'indigné-je.
- Ton attitude tête en l'air le fait penser.
- Quoi, tu t'es basé seulement sur ça ! déclare Sophie, déçue. Et moi qui croyais que tu étais certain de ton coup...
- Bref, homme ou pas, que dites-vous de fêter la fin de la semaine ? questionne Natalie.
- Je dois rentrer chez moi, rétorqué-je platement, les iris baissés.
- Oh allez, ça fait un bail qu'on n'a pas fait une activité extra professionnelle. Tu peux quand même nous consacrer un peu de temps, non ?
- S'il te plaît Nina, ça serait tellement chouette ! » surenchérit sa collègue.

Même Cédric adhère à cette idée. Lui, qui est souvent désintéressé par ce genre d'événement, désire prendre part à cette célébration improvisée. Devant un enthousiasme pareil, je ne peux qu'accepter. À vrai dire, j'ai beaucoup d'affection pour ces trois personnes. Ils sont en quelque sorte une seconde famille pour moi, et je les apprécie pour leur soutien indéfectible.

« On aurait besoin de boissons, tu peux aller en chercher Nina ? demande l'organisatrice. Comme tu connais bien ce coin, ça sera plus simple.
- Je ramène aussi des encas ?
- Non ce n'est pas la peine, j'en ai quelques-uns, ça doit suffire. De plus, on ne va pas te retenir trop longtemps.
- Vous voulez quoi comme boisson ?
- Oh un peu de tout, jus de fruits, soda, eau plate. Ça vous va ? pose-t-elle la question à ses camarades qui acquiescent. En attendant, nous allons ranger et préparer une petite table. »

Je quitte l'endroit à dix-neuf heures treize, en quête de collations pour cette mini soirée. La fraîcheur de la nuit réveille mon cerveau légèrement léthargique. Une fumée blanche se matérialise à travers mon souffle, et fusionne en un instant avec l'air ambiant. Je me frotte les bras, essayant d'adapter mon corps à cette température. Mon subconscient reproche à Natalie de m'obliger à affronter un tel froid. N'ayant pas le choix, je me résous à aller à la supérette la plus proche. Débarquant dans un magasin sobre, je me rends au rayon souhaité, puis remplis mon panier de huit boissons différentes. Peu de gens font la queue, ce qui me permet de payer rapidement mes achats. En sortant du commerce, l'atmosphère glaciale me fait grogner de nouveau. Dans ces conditions, je n'ai qu'une seule hâte : m'engouffrer dans mon lit moelleux et chaud. Mais pour le moment, mes amis s'impatientent, guettant probablement mon retour. Je reviens au salon de coiffure en accélérant la cadence.

La rue marchande s'est peu à peu désertée au profit du centre-ville, plus animé et attrayant. Le manque d'affluence, combiné à une nuit profonde, me donne l'impression d'évoluer à une heure tardive. Je longe les boutiques dorénavant fermées, cherchant celle encore allumée. Étrangement, je n'en trouve aucune, et cet imprévu engendre un ralentissement dans mon avancement. Mes collègues sont-ils déjà partis ? Ne sont-ils pas censés m'attendre ? La stupéfaction prend le dessus, et monopolise mon attention. Quelque chose ne tourne pas rond. Je n'ai pourtant pas rêvé. Ma montre m'indique sept heures trente et une du soir, je n'ai donc pas traîné. Sans m'en rendre compte, mes pas m'amènent devant mon lieu de travail. Les baies vitrées laissent entrevoir un intérieur plongé dans le noir. Collant mon visage à la façade, mes pupilles s'efforcent à discerner un quelconque mouvement. Je déglutis difficilement ma salive, éprouvant une tension soudaine.

Ma main s'approche lentement de la poignée de porte, et l'actionne d'un coup bref. Contre toute attente, cette dernière est déverrouillée, me conviant à entrer. Mes gestes s'accomplissent de manière lourde, appesantis par le stress. Mon cœur bat deux fois plus vite que la fréquence de ma respiration. Fouillant l'obscurité du regard, je tente d'apercevoir l'interrupteur. Je tâte le mur à ma gauche, sachant qu'il est positionné à cet endroit. N'arrivant pas à l'atteindre, l'angoisse monte d'un cran. Mon sang se glace subitement, ankylosant mon corps en entier. Seuls mes iris suivent une flammèche flottant avec fébrilité. De façon inexpliquée, celle-ci gonfle instantanément et se multiplie à plusieurs reprises. Un affolement tiraille mes nerfs, m'ordonnant de partir en courant. Cependant, la lumière des spots inonde tout d'un coup la pièce, et éblouit mes pupilles apeurées. Un voile flou enveloppe mes yeux, alors que mon âme est troublée par les événements. Ne réalisant pas encore ce qui s'est produit, mes muscles restent contractés, de même pour mon faciès.

« Joyeux anniversaire ! »

Ces mots sonnent creux dans mes tympans. Des voix familières semblent venir de loin. Quelques secondes plus tard, mon esprit retrouve ses moyens, et je commence à assimiler la situation. Un chant collectif, en mon honneur, se diffuse gaiement dans la salle. Je recouvre en partie mon état normal, et peux enfin apprécier cette surprise. Un sourire égaye mes lèvres encore un peu crispées, même si cela représente davantage un soulagement qu'une joie. Des applaudissements concluent la chanson, joints par les vœux de mes compères. Je les remercie chaudement, leur avouant avoir été un peu effrayée.

« Désolée Nina, on ne voulait pas te faire peur, affirme la benjamine.
- Tu devrais t'attendre à ça vu qu'aujourd'hui, c'est ton anniversaire, explique l'aîné d'un air blasé.
- Oui, tu as raison... désolée, prononcé-je simplement.
- Ne me dis pas que tu as oublié ! »

Un silence s'incruste dans l'enceinte. Embarrassée, je détourne mon regard pour ne pas subir leur confusion. J'ai moi-même honte d'avoir omis cette date si importante. Cela est sûrement dû à la période difficile que je traverse en ce moment. J'en suis tellement bouleversée que je perds de temps en temps la tête.

« Beaucoup de choses se sont passées, c'est pour ça, intervient Natalie d'un ton convaincant. Ça m'est déjà arrivé lorsque je suis préoccupée par quelque chose d'important, pas vous ? En tout cas, tant mieux, l'effet est plus que réussi ! »

Un sourire chaleureux m'est destiné, complété d'une œillade. Grâce à son intervention, l'ambiance se bonifie. Je ne compte plus les fois où elle est venue à ma rescousse. Il n'est pas étonnant que ma sœur tenait autant à elle. Malgré une attitude stricte, c'est une femme de confiance et attentionnée, ce qui lui permet d'être à la fois aimée et respectée. Sophie prend le relais pour détendre l'atmosphère. Son expression corporelle traduit parfaitement ses émotions. Sa vitalité est si débordante qu'elle entraîne les autres avec elle. Quant à Cédric, son côté introverti cache une âme sensible. Ce n'est pas toujours facile de le comprendre, mais je sais qu'il a un bon fond.

« Allez, le cadeau ! s'exalte la jeune coiffeuse.
- Arrête de t'exciter comme une gamine, s'agace l'homme.
- Je ne suis pas une gamine !
- Du calme vous deux, s'interpose la superviseuse, Nina doit tout d'abord souffler les bougies. »

Ce dernier mot me donne des frissons, certainement à cause de l'expérience précédente. Bien que ce ne soit qu'un malentendu, un sentiment d'angoisse persiste dans ma gorge. Lorsque les flammes s'étaient multipliées, j'aurais dû voir une partie du gâteau, ou du moins une main. Pour quelles raisons mes yeux n'avaient capté que les sources lumineuses ? Je ne le sais pas exactement. Soudain, une mélodie sollicite mes oreilles. En reprenant mes esprits, je constate que les lumières sont éteintes. Devant moi se tiennent mes camarades en train de chanter, ainsi que le gâteau d'anniversaire composé de vingt-quatre bougies allumées. À la fin du refrain, j'inspire à pleins poumons, puis m'abaisse en soufflant énergiquement. Les flammèches s'évaporent tour à tour, jusqu'à n'en rester qu'une dizaine. Des applaudissements et des rires accompagnent mes actions. Subitement, mon regard s'oriente vers le haut, attiré par un phénomène bizarre. Un visage - oui cela y ressemble incroyablement - émerge entre Natalie et Cédric. Dissimulé dans le noir, je n'aperçois que le nez, et surtout le rictus malsain qui m'est destiné. Ma respiration se coupe spontanément, enclenchant le redressement de mon torse.

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