7. Entre réalité et espoir 

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Alexandre avait pris rendez-vous avec le Dr Parrot, il devait avoir lieu dans quelques jours. J'intériorisai au maximum toutes mes angoisses. De temps en temps mon cœur tambourinait contre ma poitrine en repensant à l'annonce qui s'invitait contre ma volonté dans ma tête. Je désirais prendre du temps pour moi, mais lorsque la porte la maison se refermait et que je me retrouvais seule, j'étais incapable de prendre la moindre initiative. Appelée par mon canapé et mon plaid, je me recroquevillais en pyjama dans la position du chien de fusil passant des larmes au désarroi. Seule Lydia m'apportait du réconfort, blotti à mes pieds contre moi. En fin de journée, je prenais une douche et m'habillais avant de retrouver Alexandre et Tiago, en tachant de ne pas laisser transparaître ma détresse.

Un soir Alexandre me raconte sa journée de reprise au boulot. De mon côté j'invente la mienne. « J'ai pris un bain... je suis passée à la bibliothèque... j'ai regardé un film... ». Mes réponses le satisfont, il ne creuse pas, ravie de me savoir en forme. Lorsque je m'occupe de Tiago, Alexandre s'installe devant la télévision, les jambes croisées sur la table basse, comme avant.

« Delf, tu veux de l'aide ? ».

Les efforts des premiers jours laissent la place à la routine habituelle. Une routine qui ne me dérangeait pas tant que cela jusqu'alors. Qui aujourd'hui me saute aux yeux et me fait hurler à l'intérieur de moi. Je n'ose exprimer la moindre plainte, tant je suis dépourvue de la force nécessaire pour se confronter à une discussion.

Mais aujourd'hui Sabine a posé une journée de congé pour la passer avec moi. Tiago est à l'école et Alexandre au travail. La perspective d’une journée entière entre filles comme au bon vieux temps me réjouit au plus haut point. Encore une fois, Sabine avait su percevoir lors d'un échange téléphonique que j'en avais besoin.

J'ai préparé du thé, acheté des viennoises au chocolat, elle adore ça. Des fruits découpés, du fromage, de la charcuterie, du bon pain frais. Un petit déjeuner royal à l'américaine mi-sucré mi-salé en souvenir de nos vacances passées ensemble lorsque nous étions étudiantes.

« Génial tu m'as gâtée, merci c'était très bon ! Moi aussi j'ai une surprise pour toi !

- ah oui, racontes ?!

- Oui ! »

Elle me regarde fièrement avec un air mystérieux et le sourire en coin, si bien que nous éclatons de rire.

- mais enfin, il faut m'en dire plus !»

Sabine sait que je suis impatiente de nature. Elle prend un malin plaisir à faire durer le suspense.

« C'est presque de la torture ! A une amie malade en plus.... Et tu es infirmière je te rappelle. Je ne te félicite pas ! » tentais-je pour la faire culpabiliser.

- la manipulation ne marchera pas ! Ha-ha ».

Très fière de son manège et maintenant le mystère, nous partons dans sa voiture. Direction la capitale à en croire les pancartes du trajet. Je monte mille et un scénarios dans ma tête. Une virée shopping ? Un musée ? Une promenade au jardin des Tuileries ?

« Ah je sais ! Une escapade dans un hammam ! J'en suis sûr ! ».

Le hammam était un de nos petits plaisirs avant « tout ça ». Prendre un bain de vapeur, se faire gommer la peau, se faire masser, boire un thé à la menthe avec des pâtisseries orientales et refaire le monde pendant des heures.

Sabine ne répond pas, se contente de sourire en arquant ses sourcils et dandinant de la tête. Elle continue de parler de la pluie et du beau temps en gardant son secret bien au chaud ce qui a le don de faire grimper mon niveau de frustration. Elle finit par se garer devant le Moulin rouge, fermé à cette heure de la journée, dans ce célèbre boulevard entre le IXème et le XVIIIème arrondissement de Paris.

« Tu m'emmènes à Pigalle ?! C'est ça ta surprise ? Tu me fais peur là ! ».

Nous éclatons de rire. Je me rends compte ne pas avoir ri comme ça depuis des semaines. Durant cet instant hors du temps où Sabine m'emmène loin de la maladie, je décide de tout oublier et faire comme si de rien était pour en profiter au maximum.

« Tu as les idées mal placées chère amie ! C'est aussi le lieu où ont vécu Jacques Prévert et Boris Vian je te signale ! Et juste à côté tu as le Casino de Paris où s'est produite Joséphine Baker ! Élèves un peu le niveau s’il te plait ! ».

Nous marchons en riant le long du boulevard bruyant et animé en direction du petit square d'Anvers à la sortie du métro du même nom, petit poumon vert au milieu du bitume avec son petit kiosque à journaux. Nous empruntons la rue Briquet jonchée de superbes œuvres de street-art. Certaines personnes ont vraiment des dons incroyables ! Tout ce brouhaha me réjouit étonnamment, je me sens en vie et poussée par une énergie nouvelle.

Je me demande toujours ce que Sabine me prépare. Nous marchons, en passant par la halle Saint-Pierre, connue notamment pour ces célèbres tissus. Cela fait une éternité que je ne suis pas venue dans ce quartier. Nous arrivons au pied des escaliers menant à....

« Montmartre ! Mais bien-sûr ! ».

Je me tourne vers Sabine avec un large de sourire comme une enfant devant un stand de friandises.

« Surpriiiise ! »

Sabine ouvre grand les bras face à moi manifestement très fière d’elle.

« Mais c'est une super idée ! La dernière fois qu'on est venue on était encore étudiantes infirmières !

- Oui, on était venu acheter des caricatures de Juliette et Marine pour leur départ du service ! ».

Sabine et moi travaillons dans le même service. A la fin de nos études, il nous paraissait évident que nous ne souhaitions plus nous quitter. Par chance, le service de pédiatrie recherchait plusieurs infirmières, c'était inespéré.

« Je t'emmène gravir cette « montagne » aux hivers rudes, soumise aux éléments, dont la cime du Sacré-Cœur perfore les nuages parisiens pour atteindre le bleu du ciel !

- tu es poète maintenant ?!

- ce doit être l'effet Jacques Prévert !

- puisque tu songes un jour à te reconvertir, tu tiens là une piste sérieuse !

- On y entend les oiseaux chanter, on y voit le soleil se lever, se coucher. Une vision hors du commun à 360 degrés ! Poursuit-elle en prenant une intonation poétique.

Nous rions aux éclats en gravissant lentement les nombreuses marches nous séparant de la basilique du Sacré-Cœur perché 128 mètres plus haut.

« Tu as oublié de préciser la tradition viticole de longue date dont le cépage produit chaque année une cuvée rustique de petite montagne au goût sauvage !

- oh mais tu t'y mets toi aussi ! »

Je m'accroche à son bras, me colle à elle pour l'embrasser sur la joue.

« Merci Sabine ».

Se promener dans ce quartier me donne l'impression d'être hors du temps au cœur d'un village bohème. Depuis le XIXème siècle, les champs ont peu à peu laissé la place aux rues en pavés, aux constructions historiques et aux animations, faisant de ce quartier un repère de plus en plus tendance. Des millions de personnes font le déplacement chaque année et ça vaut le coup.

Nous arrivons au pied du célèbre monument devant les dernières marches. Mais quelle œuvre ! Une bâtisse à la pierre d’un blanc immaculé munit de grandes coupoles en son sommet, et de gargouilles aux formes effrayantes de dragons ou animaux domestiques. Le lieu est presque calme, loin de l'agitation du boulevard en contrebas. La vue sur la capitale est à couper le souffle avec un ciel dégagé d'un bleu intense aujourd’hui. Nous restons là, bras dessus bras dessous en contemplation.

Nous arpentons les rues autour du quartier, découvrons les boutiques toutes plus charmantes les unes que les autres aux devantures boisées, les épiceries, les marchés colorés, les bonnes tables à l'ardoise, la meilleure baguette de pain de la ville et le jolies les galeries d'art.

Nous arrivons sur la charmante place du Tertre au cœur de laquelle de nombreux artistes se retrouvent, ce lieu incontournable et mythique où nous étions venus toutes les deux il y a quelques années pour faire la caricature de nos collègues. Sabine m'entraîne jusqu'à l'un d'entre eux, elle discute avec lui sans que je puisse entendre ce qu'elle dit.

« Ce cher monsieur va dessiner notre portrait ! Me dit-elle fièrement au bout de quelques minutes. Toutes les deux, ensemble. Et pas une caricature cette fois !

- Cette idée est géniale, j'adore ! ».

J'aurai pu sautiller sur place comme une enfant, mais ma pudeur me ramène à la raison. Nous nous installons toutes les deux, côte à côte, face à un vieux monsieur aux cheveux blancs, paré d'une veste couverte de peinture aux couleurs colorées. A en en croire les œuvres jonchant le sol autour de lui, le résultat promet d'être superbe.

Les passants allaient et venaient autour de la place. Certains restaient là derrière la toile et nous observaient. Comparant les traits du fusain utilisé par l'artiste et celui de nos visages leur faisant face. C'était à la fois embrassant et excitant.

Le soleil fait son apparition sur la place, à l'endroit où nous sommes installées, les rayons illuminent et réchauffent nos visages.

Sabine et moi sommes brunes toutes les deux. C'est notre seule ressemblance. J'ai le teint mate, elle a la peau blanche, j'ai les cheveux bouclés, les siens sont ondulés. Mon buste dépasse le sien avec mon mètre quatre-vingts, elle fait 1m60. On m'a souvent interrogé sur mes origines maghrébines et je créais la surprise lorsque je parlais du Portugal.

Pendant ce temps nous chuchotions avec Sabine en ne bougeant que nos lèvres. Nous nous remémorions toutes nos escapades parisiennes qui s'étaient nettement réduites depuis la naissance de Tiago.

Près d'une heure et demie s’est écoulée, nous pouvons voir enfin le résultat. Et... il est époustouflant ! Nous pouvons presque croire à une photographie tant notre portrait est réaliste.

« Waouh ! C'est incroyable ! Quel don vous avez ! Je n'en reviens pas... Un grand merci !

- merci madame, tenez, je crois que ce cadeau est pour vous » me dit-il en l'enroulant tout en faisant un clin d'œil à Sabine.

De toute évidence, cela faisait partie de la manigance à laquelle j'avais été exclue en arrivant. Je saute au cou de Sabine et l'embrasse fortement. Elle me rend mon étreinte.

« Merci beaucoup Sabine, tu es formidable, heureusement que tu es là ».

Nous repartons, le dessin enroulé dans un plastique hermétique sous mon bras. Il est près de 15 heures, nous sommes affamées mais l'avantage à Paris, c’est que les restaurants sont nombreux à offrir un service continu. Nous choisissons une brasserie, charmées par la décoration rustique et les nappes à carreaux blanches et rouges.

La journée s'achève. En rentrant à la maison je suis épuisée mais heureuse de ce moment de partage et de bonheur. Mes parents avaient pris le relais pour les enfants. Cela faisait aussi partie du plan de Sabine, elle avait tout prévu. Le soir venu je n'avais pas besoin de feindre la joie. J'étais en accord avec mes ressentis internes et animée d'une force indescriptible en contraste total avec mes journées de solitude et de détresse à cogiter et me morfondre sur le canapé.

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