Retour à la maison
Nous sommes chez nous. Je me sens enfin libre et non constamment surveillée.
Je ne vais pas m’éterniser sur la vie à la maison. Cette partie là restera personnelle.
Voici simplement ce que je souhaite partager :
amour : nom masculin
1. Sentiment vif qui pousse à aimer (qqn), à vouloir du bien, à aider en s'identifiant plus ou moins.
2. Ce sentiment, considéré comme naturel entre les membres d'une même famille. L'amour maternel, paternel ; filial.
Mais cette définition de l’amour… ce n’est pas la mienne.
Imaginons deux personnes regardant une banane. Toutes deux affirment qu’elle est jaune, mais si l’une d’elles est daltonienne, alors ce qu’elles voient diffère. Elles emploient le même mot, tout en percevant une réalité distincte.
Je sais que je ne suis pas comme les autres mamans. Le peau-à-peau ou l’allaitement ne sont pas, pour moi, des expériences magiques comme je l’ai souvent entendu. Le lien que je vais tisser avec mon enfant, je devrai le construire. Cela prendra du temps. Je vais l’aimer, c’est certain. Mais je l’aimerai différemment.
Il n’y a pas eu de lien instantané, pas de connexion immédiate et sacrée. Pourtant, ce qui naîtra de notre relation sera, j’en suis sûre, infiniment plus fort.
Je ne sais pas décoder ses pleurs, ni comprendre ses mimiques. Mais je reconnais ses gestes. Je m’appuie sur l’analyse, sur la logique. Je connais la théorie : S’il pleure, je vérifie la couche. Puis je regarde s’il a faim. Et si ce n’est ni l’un ni l’autre, alors ce sont ses besoins affectifs qui s’expriment. S’il pleure, c’est qu’il a besoin de quelque chose.
S’il sourit, c’est que tout va bien.
Avoir cet enfant m’a permis de cesser de culpabiliser. Je sais que je ne comprendrai jamais les liens sociaux comme les autres.
Je n’ai pas su comprendre le lien sacré dont tant parlent à propos de l’allaitement. Mais je saurai construire les miens, à ma manière, avec mes proches. L’important, c’est que chacun soit heureux dans cette relation.
Je peux désormais écrire ma propre définition de l’amour.
Il est normal pour moi de ne pas aimer au premier regard. Il est normal de ne pas ressentir d’affection naturelle ou immédiate pour les personnes qui m’entourent.
Je construis cet amour, pierre après pierre, au fil des gestes partagés, des passions communes, des attentions sincères.
Et si un jour ce lien se brise, je ne souffrirai pas. Je peux perdre des amis ou m’éloigner de ma famille sans que cela m’affecte profondément.
Longtemps, j’ai envié ceux chez qui l’amour semblait couler de source. Ceux pour qui l’attachement est immédiat, presque instinctif. C’est un lien qui paraît si pur, si simple. Amical, amoureux, familial, maternel... Je l’ai jalousé. Mais aujourd’hui, grâce à cet enfant, je comprends que l’amour que je ressens, même s’il est construit, n’en est pas moins puissant.
Si vous interrogez ceux qui me connaissent, ils diront sans doute que je suis peu présente, que je ne prends pas souvent de nouvelles, que je ne sors pas beaucoup.
Mais ils vous diront aussi que, lorsque quelqu’un a besoin de moi, je peux tout donner. Je peux traverser des kilomètres, passer des heures à écouter, soutenir, chercher des solutions. Je n’aurai peut-être pas les mots parfaits, mais je saurai être là.
Parce qu’à partir du moment où je choisis d’aimer, j’aime immensément.
Peut-être que cet amour ne durera pas toujours, mais il aura existé. Et il aura été sincère.
Cet enfant, même si je ne l’ai pas "choisi" consciemment, je choisis aujourd’hui de l’aimer de tout mon cœur.
Je ne l’ai pas aimé à la seconde où je l’ai vu, mais je l’aime un peu plus chaque jour.
J’aime le voir sourire quand je lui souris.
J’aime sentir son regard intense quand il a besoin de moi. J’aime la manière dont il serre mes doigts quand il tète ou qu’il s’endort dans mes bras.
Je sais que l’aventure qui commence sera semée d’embûches, mais je sais aussi que ce que nous construirons sera immense.
Nous apprendrons à grandir ensemble.
Je lui apprendrai à exprimer ses besoins, à reconnaître ses envies. Et moi, j’apprendrai à les comprendre.
Notre lien sera d’autant plus extraordinaire qu’il ne viendra pas de la nature, mais de nous. Et s’il s’avère qu’il partage certaines de mes différences, alors nous apprendrons à les accueillir ensemble, main dans la main. Ma différence ne sera plus une faiblesse. Elle sera notre force.
Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que je me fais confiance. Je ferai tout pour rester heureuse.
J’ai un mari extraordinaire. J’ai fondé ma famille. Et je fais le métier de mes rêves.
Alors peu importe ce qui arrivera ensuite.
Oublions les jugements, oublions la difficulté des jours à venir. Je sais qu’on y arrivera.
Je sais que j’y arriverai.
On dit que les personnes porteuses du syndrome d’Asperger ont souvent un centre d’intérêt très spécifique, très intense.
Je ne saurai sans doute jamais si ce diagnostic est le mien. Mais je crois que la maternité est mon centre d'intérêt spécifique. Et à mes yeux, c’est le plus beau qui soit.
Je ne pense pas être une mère parfaite.
Mais je ferai de mon mieux. Pour cet enfant. Et pour ceux qui viendront peut-être ensuite.
Et aujourd’hui, je peux enfin dire à la petite fille que j’étais :
Ça y est.
Tu es grande.
Tu as réussi.
Tu es maman.

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