Chapitre 2

6 minutes de lecture

Depuis l’accident, Éléa n’était plus vraiment la même.

Deux jours à peine s’étaient écoulés, et pourtant tout semblait avoir basculé. Quelque chose d’indicible l’avait changée, comme si ce rêve devenu réalité avait ouvert une porte en elle. Une porte qui ne voulait plus se refermer.

Le matin, elle descendit en silence. Ses pas résonnaient à peine sur le parquet, et elle s’assit à table sans un mot. Sa mère lui adressa un sourire, un peu inquiet.

« Tu as bien dormi ? »

Éléa haussa simplement les épaules. Elle ne mentait pas : elle n’avait pas bien dormi. Les images de l’accident continuaient de la hanter, mais maintenant, d’autres visages apparaissaient dans ses cauchemars. D’autres drames, flous, indistincts… mais terriblement réalistes.

Elle but une gorgée de chocolat chaud tiède, sans lever les yeux.

Sa mère insista, douce mais ferme :
« Tu veux en parler ? »

« Non. Je suis juste… fatiguée. »

Encore. Le même mot. Toujours la même excuse.

Dans la cour du collège, le monde semblait tourner sans elle.

Camille la salua avec énergie :
« T’as vu les nouvelles affiches pour le club théâtre ? Ils cherchent encore deux filles. On pourrait s’inscrire toutes les trois ! »

Éléa esquissa un sourire faible.
« Je sais pas… peut-être. »

Maëlys fronça les sourcils.
« T’as l’air ailleurs depuis deux jours. T’es sûre que ça va ? »

« Je vous ai dit que j’étais fatiguée… » répondit-elle plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu.

Les deux amies échangèrent un regard. Camille posa une main légère sur son épaule.
« On est là, tu sais. Si t’as besoin. »

Mais Éléa se contenta d’hocher la tête, puis s’éloigna vers la salle de français.

Sur le chemin, elle croisa Mélissa.

La fille marchait entourée d’Amandine et de Carla, le trio habituel, moqueuses et arrogantes. Mélissa ralentit à sa hauteur, la détailla du regard, puis lança d’un ton venimeux, sans même la regarder :

« Joli rideau, ta robe. T’as cousu ça toi-même avec des torchons ? »

Ricanement étouffé d’Amandine derrière elle. Carla, elle, fit mine de ne rien entendre.

Éléa ne répondit pas. Elle ne fronça même pas les sourcils.

C’était habituel. Elle s’y était habituée.
C’était comme un bourdonnement désagréable, une piqûre de moustique. Insupportable, mais supporté.

Elle continua son chemin sans se retourner.
Mais son cœur, lui, battait plus vite.

Le reste de la journée passa dans une brume. Elle n’écoutait qu’à moitié les cours. Elle notait mécaniquement les consignes. Elle évitait les regards.

Camille tenta encore, à la pause, de la faire rire en imitant leur professeur d’histoire, mais elle n’y arriva pas. Pas cette fois.

Maëlys commenta à mi-voix :
« Elle fait un peu la gueule quand même… »

Éléa fit semblant de ne pas entendre.

Le soir venu, une fois dans sa chambre, elle ferma la porte à clé, et alluma sa lampe de bureau.

Elle sortit de son tiroir un vieux carnet, à la couverture noire. Il datait de l’an dernier. À l’origine, elle y écrivait des petits poèmes. Mais ce soir-là, elle le transforma en tout autre chose.

Elle inscrivit soigneusement la date, en haut de la page :

02 septembre

Puis, au crayon :

Rêve du 31 août → réalisé le 1er septembre au soir.

Lieu : route sinueuse, forêt — pluie — moto — chute — lumière blanche — cris.

Frère de Léa. Nom inconnu.

Elle laissa un vide, puis ajouta :
Statut : coma confirmé.

Elle regarda la page quelques secondes. C’était là, noir sur blanc. Cela lui faisait froid dans le dos.

Puis elle tourna la page, et écrivit plus bas, comme si elle avait honte :

Ce n’est pas la première fois. Il y a eu Mme Dugenet l’an dernier. Chute dans l’escalier après mon rêve.

Combien d’autres ?

Un silence lourd pesait sur ses épaules.

Elle referma le carnet lentement.

Mais quelque chose la poussa à aller plus loin. Elle attrapa son téléphone, l’alluma, et ouvrit son navigateur.

Recherche : "rêves qui prédisent l’avenir"
Recherche : "prémonitions en rêve"
Recherche : "pouvoirs étranges rêve réalité"

Les résultats étaient nombreux.

Des forums étranges. Des témoignages anonymes. Des vidéos aux titres sensationnalistes.

Elle cliqua sur un lien intitulé “Rêver l’inévitable”. Un forum austère, où des utilisateurs anonymes racontaient leurs expériences.
Des phrases revenaient en boucle :

“J’ai rêvé d’un accident deux jours avant qu’il se produise.”
“Mon rêve était flou mais précis dans l’ambiance.”
“Je pensais que je devenais folle.”

Éléa sentit sa gorge se serrer.
Elle n’était pas seule.

Mais alors… était-ce vrai ? Était-ce un don ? Une malédiction ? Était-elle en train de devenir une de ces personnes marginales, étranges, craintes ?

Elle ferma l’onglet brutalement.

Elle resta un long moment, là, seule dans l’obscurité de sa chambre. Seule avec ses pensées, son carnet, et ce sentiment qui ne la quittait plus depuis deux jours :

Quelque chose en moi est différent.

Et peut-être… dangereux.

Le lendemain matin, Éléa se réveilla fatiguée, les cernes creusant ses yeux. La nuit avait été agitée, pleine de rêves confus, mais un souvenir restait clair : un ascenseur bloqué, une personne coincée, un bras écrasé à l’extérieur de la porte, une douleur insupportable. Elle savait, sans comprendre comment, que c’était le cousin de Mélissa.

Dans sa chambre, elle prit son carnet, tremblante, et nota :

Ascenseur. Porte bloquée. Bras coincé. Impossible d’ouvrir. Amputation.

Elle ferma le carnet, essayant de chasser cette image horrible.

Au collège, l’ambiance était tendue. Léa, l’amie absente, continuait de manquer, et les murmures sur son frère et l’accident de moto circulaient.

Éléa rejoignit Camille et Maëlys près des casiers.

— Tu crois que Léa va revenir ? demanda Maëlys.
— J’en sais rien… Son frère est toujours dans le coma, paraît-il.

Éléa hocha la tête sans un mot, son esprit déjà ailleurs.

Elle remarqua Mélissa, qui passait près d’elle, jetant un regard froid.

— Jolie robe, lança Mélissa avec un sourire faux en passant à côté. Dommage qu’elle ne te protège pas de la poisse.

Éléa rougit, un nœud au ventre.

— Ignore-la, murmura Camille en posant une main rassurante sur son épaule.

Plus tard dans la journée, Éléa chercha Mélissa dans les couloirs. Quand elle la trouva enfin près du gymnase, elle prit son courage à deux mains.

— Mélissa, je dois te parler. C’est important.

— Quoi ? soupira Mélissa en la toisant.

— J’ai rêvé… un ascenseur bloqué, ton cousin coincé, son bras… ils ont dû l’amputer.

Mélissa éclata de rire, blessante.

— Tu es sérieuse ? T’es malade ou quoi ? Tu portes vraiment la poisse, tu sais. Faut arrêter avec tes histoires de rêves et de présages. Tu devrais consulter, au lieu d’inventer des bêtises.

Éléa sentit son cœur se serrer.

— Ce n’est pas une blague. Je veux juste que tu fasses attention, qu’il fasse gaffe.

— Garde tes “rêves” pour toi, cinglée.

Mélissa s’éloigna sans un regard en arrière.

Éléa resta là, figée, les larmes lui montant aux yeux.

Elle rentra chez elle et, dans sa chambre, griffonna dans son carnet :

Personne ne me croit. Ils me prennent pour une menteuse. Mais je sais ce que j’ai vu.

Elle consulta des forums sur les rêves prémonitoires, cherchant des réponses, une explication.

Un message attira son attention :

“Quand on prédit le malheur, la peur nous isole. Il faut choisir : se taire ou affronter ce qu’on est.”

Éléa frissonna, sentant qu’elle n’aurait bientôt plus le choix.

Éléa passa le reste de la soirée dans sa chambre, les paupières lourdes mais l’esprit en ébullition. Elle avait besoin de comprendre. Si ses rêves étaient vraiment des avertissements, alors elle devait trouver un moyen de les déchiffrer, ou au moins de les contrôler.

Elle ouvrit son ordinateur et lança une recherche : “rêves prémonitoires”, “prédictions et symboles”, “comment interpréter un rêve fatal”. Une avalanche de vidéos s’afficha, des jeunes comme elle, des experts, des passionnés, expliquant les cartes d’oracle, les tarots, les signes à observer.

Curieuse, elle cliqua sur une vidéo où une femme tirait des cartes d’oracle, expliquant patiemment la signification de chacune.

« La carte du Chariot symbolise la force et la maîtrise, tandis que la Mort annonce un changement radical, une transformation nécessaire, pas forcément une mort physique. »

Éléa sentit un frisson. Et si ses rêves lui indiquaient des changements, des dangers, mais que tout n’était pas forcément fatal ?

Le lendemain, à l’insu de sa mère, elle prit délicatement une de ses cartes d’oracle posée sur la commode, une carte qu’elle avait déjà vue souvent.

Puis, avec l’argent qu’elle avait économisé, Éléa se rendit dans une petite boutique ésotérique près du centre-ville. Elle choisit trois paquets de cartes d’oracle différentes, chacune avec des dessins étranges et colorés. Elle acheta aussi une boule de cristal, un peu terne, mais qui semblait presque l’appeler.

De retour chez elle, elle cacha précieusement ses achats dans un tiroir secret de son bureau.

Le soir, seule dans sa chambre, elle tira une carte.

La carte montrait un chemin sinueux, bordé d’ombres, mais au loin, une lumière blanche perçait à travers les nuages.

« Un chemin difficile, mais pas sans espoir, » murmura-t-elle.

Elle posa la carte à côté de la boule de cristal, se demandant si elle pourrait un jour maîtriser ces signes pour éviter le pire.

Mais au fond d’elle, elle savait que le poids de ses rêves grandissait chaque jour, et que le temps lui était compté.

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