L'absence – ou le son d'un cœur qui éclate

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  « Laisse le temps au temps », « le temps fait son œuvre ».

Les yeux dans le trouble, je les entends encore me répéter ce genre d’âneries dégoulinant de sens commun sans la moindre profondeur. Que savent-ils de la perte ? De l’absence ? Que savent-ils de la vie qui se poursuit dans le brouillard ? Du manque ? De ce manque absolu qui s’insinue par chaque pore de la peau et qui ne lâche prise que lorsque l’âme se repose… ? Que savent-ils... de toi et moi ?

  C’est tout un monde qui soudain s’écroule, la terre, sous mes pieds, se liquéfie ; je m’enlise dans une réalité étouffante. Dans ma gorge, les sons ne trouvent pas leur chemin, les hurlements de colère et les plaintes de détresse se pressent, se bousculent, se percutent. S’entrechoquent les uns contre les autres pour s’entretuer. Je suffoque. Mes membres perdent leur consistance et pourtant leur flaccidité me tiraille, pese sur l'intégralité de mon corps. Tout s’est disloqué dans un fracas aussi muet qu’étourdissant. Les frissons m’enserrent, me piquent l’échine et me déchirent la chair jusqu’au plus profond des entrailles. Le son d’un cœur qui s’éclate contre une plaque de marbre n’existe pas. Alors pourquoi retentit-il encore au creux de mon ventre ?

  Je rêve de toi, de tes cheveux et leur parfum, de ton sourire de guingois, de ta voix joyeuse et innocente, de tes phrases hésitantes qui parcourent les murs. Comme il est incroyable de te serrer encore dans mes bras, de t’embrasser ! Comme il est insoutenable de me séparer de toi !

  Je rêve de toi et la douceur m’envahit, m’enveloppe d’une étreinte insupportable à déserter alors que l’éveil me fauche. Je te cherche sous l'édredon ; tu n'es plus là. Un tendre supplice. Un amer délice creusant toujours davantage la fosse béante en moi. Je rêvais de toi et j’en perds la tête. Chaque réveil terrasse le précédent, se montrant plus cruel encore. Je n’avais jamais imaginé la vie sans toi. Je tue mes fantasmes en fumant assez pour un sommeil de plomb. C’est te dire adieu, c'est  te tuer à nouveau ; te tuer pour te survivre.

  Et je m’ennuie, de nos mots qui se couchaient tard, qui épuisaient le temps en arrondissant les syllabes. Sur tes lèvres, ça prenait des formes incroyables et ça me touchait en plein estomac. Je ne comprenais pas toujours nos émotions, s’enflammant, virevoltant entre les draps trempés de sueur et s’éteignant dans le cendrier posé en branle sur l’appui de fenêtre. C’était fort, c’était intense. C’était vivant. Ça s’entortillait dans le cœur et ça faisait des nœuds. Tes cheveux se mêlaient aux miens et tes orteils me chatouillaient les jambes ; ta peau se courbait sous mes mains et la mienne s’étendait pour presque rien – une brise, un souffle suspendu au bout de ta langue. Et puis ton rire qui se frayait toujours un chemin, parcourant les méandres de nos idées noires, embaumant l’obscurité de ta chaleur rassurante...

  L’absurdité du souvenir… Ton visage ne me manque pas. À chercher, je le trouverai sans nul doute. Au détour d’une rue, sur un coin de trottoir, dans un fond de café ou entre deux mégots de joint. C’est facile de se remémorer des traits ; et si le temps les estompe, une photo suffit à refaire la mise au point. Non... Ce qui me manque, c’est ce qui se voile, s'efface. Disparaît. Ce que je ne parviens pas à garder, ce qui s’égraine entre mes doigts. Ton odeur qui s’évapore, que j'ai parvenu à débusquer dans un carré de soie presque épuisé, mais qui est partie en fumée avant de m’avoir permis de m’en soûler. Je perds le fil, le ruban se rompt, s’étiole… Et je pleure de n’avoir que les miettes, que les pelures. Que le générique de fin… Je cherche encore et encore. Entre les pages cornées d’un cahier, dans les recoins du matelas, dans les plumes d’oreiller… je cherche une empreinte, une fibre, quelque chose ; n’importe quoi.

  Même le son de ta voix m’échappe. J’ai réussi à le préserver un temps, étouffant les bruits alentours, tuant dans l’œuf les inflexions étrangères, me refermant dans le silence pour me concentrer sur ton accent. Un échec. Ce n'est qu’un vague écho déformé par ma mémoire et entretenu dans une brume assourdissante. Je ne te retrouve pas, tu es invisible, inaudible, impalpable. Et dans ce calme raffut, à tâtons, je découvre la douceur de ta peau, là, au pli de mon coude. Du bout des doigts... Du bout des doigts je retrouve la douceur de tes joues, de nos caresses. Le réconfort sur trois centimètres carré d’épiderme. Pas grand-chose. Mais juste assez. Assez pour m’y accrocher et m’y écorcher l’âme à vif.

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