Caroline n’avait pas eu le choix. Sur ordre de son patron, elle devait assister à ce cours. Son comportement l’avait conduite directement à la case "apprentissage".
À l’entrée, un agent lui saisit le bras et scanna le tatouage qui y était imprimé. Elle reçut un badge à son nom et pénétra dans une vaste salle où s’alignaient plusieurs rangées de sièges.
Caroline fut l’une des dernières à arriver. Elle repéra une place libre près d’une femme au sourire absent et s’y installa. Malgré la présence d’une centaine de ses collègues, le silence qui régnait dans la salle la surprit.
Elle bougea sur son siège rembourré et en apprécia le confort. Les tableaux de Claude et Tom Star habillaient les murs de la pièce. Caroline laissa échapper un petit rire sournois, en dénigrant leurs apparences parfaites. Le sol, d’un orange et vert fluo, offrait à la salle une certaine modernité audacieuse.
Jetant un œil à sa montre, elle constata qu’elle avait cinq minutes d’avance. Ses yeux parcoururent les rangées. Sous chaque siège reposait un sac de bienvenue. Elle se pencha et en saisit un, curieuse de découvrir son contenu.
À l’intérieur, Caroline trouva un stylo floqué du nom de son entreprise, Standardia, et le programme de la formation, réparti en trois étapes sur trois jours. Les horaires inscrits attirèrent son attention : 9 h à 22 h 30. Discrètement, elle envoya un message à son mari pour l’informer qu’elle ne pourrait pas amener leur petite dernière à son cours de danse.
— Ne vous fiez pas aux horaires, ils changent tout le temps. C’est ma troisième formation, et on n’a jamais fini avant minuit, expliqua sa voisine.
Intriguée, Caroline la dévisagea. Sur le badge de la femme, elle lut : Marie. Les poches sous ses yeux lui donnaient un air fatigué.
— Troisième, pourquoi donc ? demanda Caroline.
— J’ai récidivé, je n’arrive pas à tenir ma langue. C’est ma dernière chance avant d’être virée. Après ça, je ne retrouverai jamais de travail. Aucune entreprise n’embauche les "moutons noirs" de Standardia.
Soudain, la lumière s’éteignit et une musique entêtante résonna dans la salle. Caroline tapa dans ses mains sur le rythme, imitant Marie. Une centaine de personnes scandaient un slogan. Leurs visages étaient sans expression, le ton de leur voix monotone. Elle chercha du regard sa voisine, qui lui murmura à l’oreille :
— Surtout, ne faites pas de vagues et fondez-vous dans la masse.
Un homme en costume cravate monta sur l’estrade, arborant un sourire forcé. Les participants s’assirent et écoutèrent son discours :
— Je suis Tom Star, cofondateur de Standardia. Avant de céder la parole à Claude, ma femme et bras droit, qui vous présentera en détail la formation, je tiens d’abord à vous souhaiter la bienvenue. Je voudrais aussi adresser un accueil tout particulier à l’une de nos collaboratrices, Caroline Partier. C’est la première fois que nous avons parmi nous un cas de niveau cinq. Elle est ici parce qu’elle a osé exprimer son opinion lors d’une réunion d’équipe, opinion qui, il faut le dire, n’allait pas dans le sens des intérêts de son patron, et donc de Standardia.
Toute l’assemblée répondit par un "Bouhhh !" unanime. Caroline sentit ses joues rougir. Tom poursuivit :
— Caroline, je vous assure qu’au cours de cette formation, vous apprendrez que se fondre, c’est briller ! L’excellence de la conformité est l’une des valeurs de Standardia ! Je laisse maintenant la parole à Claude Star.
Entre les interventions, le slogan retentit à nouveau. Caroline, les yeux écarquillés, sentit un frisson parcourir son corps. Elle se leva avec les autres, le cœur battant, et murmura à peine :
— Standardia, l’excellence par la ressemblance.