La tarte de Violetta
Je rentrais du boulot sur les coups de quinze heures et la trouvais dans la cuisine, pétrissant la pâte sur la table recouverte de farine. Je me réchauffais une tasse de café et elle me laissait l'embrasser dans le cou tandis que le micro-ondes ronronnait. Je m'asseyais devant elle et me vidais en silence de ma journée de travail en fixant le ballet de ses mains. Elle avait enlevé ses bagues et ses doigts malaxaient le mélange collant. Peu à peu, une boule d'or roulait sur la table, puis ses paumes l'assouplissaient pour mieux la pétrir ensuite. Mes yeux papillotaient devant ce manège. Je sirotais mon café en croquant des petits quartiers de pommes épluchées.
Quand il faisait beau la fenêtre était ouverte. L'hiver, les vitres s'embuaient.
Elle utilisait un rouleau en bois pour étaler la pâte, s'appuyant sur la table et me laissant apercevoir parfois la naissance de ses seins. Elle avait toujours un peu de farine sur la tempe ou la joue et moi, j'avais envie d'elle.
On parlait peu.
Que dire d'une journée commencée aux aurores pour tenter de sauver des vies qui me filaient trop souvent entre les doigts ? Les mots me semblaient toujours dérisoires, mal foutus, violents et sales. J'étais infirmier au Samu. J'adorais et détestais ce métier tout autant.
Je me levais pour rincer ma tasse et elle enfournait sa tarte. Je la serrais dans mes bras et me sentais comme un géant fatigué. Elle me faisait de drôles de petits baisers avec les lèvres entrouvertes. Ça me rendait fou. Parfois elle basculait sur la table, parfois nous avancions collés-serrés vers un fauteuil du salon, parfois je la déshabillais, parfois on se cachait sous la couette.
Souvent le four se mettait à sonner et je le maudissais. Parce j'étais en elle ou qu'elle chuchotait sur ma peau. Je ne pouvais jamais la retenir. Elle bondissait en attrapant un t-shirt ou une chemise pour sortir sa tarte dorée.
Je la rejoignais dans la cuisine qui baignait dans un parfum de fruit sucré. On mangeait une part toute chaude en soufflant sur nos doigts et en gonflant les joues. On riait bien souvent. Elle était décoiffée. J'avais encore envie d'elle.
Après je sortais dans le jardin, je bricolais un truc sur ma moto dans le garage, je feuilletais un bouquin sans le lire, j'observais le ciel, je regardais les oiseaux sautiller dans les arbres. J'étais totalement nase.
Je sentais encore la brûlure de notre gourmandise dans ma bouche et les petites morsures de Violetta sur ma peau.
C'était facile d'être heureux.
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