Chapitre 4 : Une opportunité

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Il m'était difficile de réfléchir dans ces conditions. Difficile d'imaginer une échappatoire et d'évaluer mes chances de m'en sortir. Relativiser ? A d'autres. J'ai suffisamment espéré m'en sortir tous les soirs, où, lorsque je m'apprêtais à m'endormir, je revivais encore et encore le même cauchemar, trop réel pour être ignoré, trop terrifiant pour imaginer qu'il puisse, un jour, se réaliser. Comment étais-je censée réagir lorsque ma vie était ainsi mise en péril ? Je me tenais au bord du gouffre, ma conscience s'acharnant à me retenir de l'emprise étouffante de mes angoisses. Un pas suffisait pour que je m'envole, un seul pas et je serais enfin libre de tout. Depuis ce jour où...

  • Mademoiselle Rosenbaum, est-ce trop vous demander de suivre le cours ?

Le professeur s'adressa à elle d'un ton sec, observant d'un regard sévère ce qu'elle écrivait sur son cahier. La jeune fille releva la tête, les joues rougies. Il l'avait surprise plusieurs fois à dessiner ou écrire des choses qui n'avaient rien à voir avec le cours. Il se dirigea vers elle sous les regards insistants de ses camarades alors que des ricanements jaillirent dans la salle. Aurore arracha précipitamment la feuille de son carnet et la déchira pour éviter qu'il ne la lise devant tout le monde. Le professeur traversa la salle jusqu'à sa table et fronça les sourcils.

  • Si vous le prenez ainsi, vous me rendrez une rédaction supplémentaire. De 2 500 mots sur un sujet qui, j'en suis certain, vous intéressera : la bêtise est-elle contagieuse ? Je veux votre travail demain à la première heure sur mon bureau.

Le professeur qui partageait la même rougeur au visage qu'elle, la sienne étant sûrement due à la colère sous-jacente qu'il éprouvait à son encontre, s'éloigna alors pour rejoindre son bureau. Aurore ne put s'empêcher de lui répondre.

  • Oh vous savez Monsieur, 2 500 mots est un peu excessif quand il me suffirait de résumer ma réponse en une seule phrase : vous êtes la preuve irréfutable que la bêtise a toujours existé et est présente en chacun de nous, certains en souffrant davantage que d'autres et on ne peut donc pas transmettre ce trait commun à tous.

Elle lui lança un clin d'œil avant de ramasser ses affaires et de se lever sous le silence pesant de ses camarades. Aucun n'osait dire un mot alors que le professeur, lui-même, serrait les dents, lui indiquant la porte du doigt.

  • Inutile de me montrer le chemin, je le connais par cœur. Le bureau du proviseur est comme une deuxième maison pour moi.

Elle passa devant lui en l'ignorant et ouvrit la porte pour sortir de la classe. Elle comprenait la réaction de son professeur, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Elle écrivait sans même s'en rendre compte à propos d'évènements, de sentiments et de souvenirs qu'elle ne pensait pas avoir déjà vécu ou ressenti par le passé, mais qui lui étaient familiers. Elle appelait cela "les effets secondaires". Ces moments où son subconscient lui soufflait quelque chose et qu'elle devait s'exécuter sans réfléchir. Si on ajoutait à cela son insolence intempestive, il lui était rare d'éviter les confrontations avec les autres. Assise sur une chaise dans le couloir en attendant son tour pour recevoir le sermon du proviseur, elle observa les élèves qui rentraient puis sortaient de son bureau, s'amusant à lire la culpabilité sur certains visages. Elle reconnut les cheveux mi-longs de son ami John et l'appela alors pour qu'il la rejoigne. Il s'assit à côté d'elle, hilare.

  • Qu'est-ce que l'impétueuse Aurore a-t-elle encore fait pour se retrouver dans une situation aussi embarrassante ?

Il se tourna vers elle, loin d'être refroidi par son regard noir et poursuivi.

  • Laisse-moi deviner... Je parie que tu as insulté un gars qui a osé te complimenter sur ta tenue ? Ah non, ça, tu l'as déjà fait et le gars en question, c'était moi. Ou peut-être que tu as répondu au prof. C'est le prof de physique, non, que tu as ce matin ? Oh oui, ça doit être ça. J'en suis certain même ! Tu ne peux pas t'en empêcher, le courant ne passe pas trop entre vous.

Elle leva les yeux au ciel.

  • Est-ce que je dois seulement sourire, éclater de rire ou mettre fin à notre amitié ? Je dois t'avouer que ton humour laisse vraiment à désirer John… Je suis désolée de te dire, mais si tu prévoyais de devenir humoriste, c'est raté.
  • Tu sais ce qu'on dit : femme qui rit, à moitié dans son lit. Et sans vouloir me vanter, je suis à l'origine d'un bon nombre de tes fous rires.
  • Oui, mais tu es toujours puceau. Preuve en est qu'il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre.
  • Je compte me dévêtir de ma pureté auprès d'une personne qui aura de véritables désirs ardents pour moi.
  • Quel romantisme. Mon cœur bat et batifole en entendant les cris d'espoir dans tes mots.

Ils échangèrent un regard complice avant d'éclater de rire. La secrétaire du proviseur ouvrit la porte du bureau à ce moment-là et observa les élèves présents dans le couloir.

  • Aurore Rosenbaum, c'est à vous.

L'élève concernée se releva et marmonna à John :

  • Il est temps pour moi d'expier mes péchés.

Puis, elle rejoignit le bureau du principal en traînant les pieds.

A plusieurs milliers de kilomètres du lycée d'Aurore et de John se déroulait un jeu de pouvoirs où la persuasion et le vice régnaient en maître. Quelque part, dans un endroit où un homme bâtissait le futur pour la planète, une étrange configuration se dessinait : deux univers se rencontraient sous un seul et même toit qui pouvait donner lieu à une pluie de possibilités.

La main moite d'Aurore tenait toujours aussi fermement le couteau appuyé contre le cou de James. Cependant, il ne réagissait pas et elle reprit la parole.

  • J'imagine que ça doit vous faire bizarre de vous retrouver ici, non ? Un homme en costume qui ne porte pas de blouse blanche. Vous n'êtes sûrement pas de ceux qui nous torturent sur ces tables d'opération et nous observent dans nos cellules… Non ... Vous, vous êtes celui qui donne les ordres.
  • Détrompez-vous, j'obéis également à mes supérieurs. Le costume que je porte est une nécessité néanmoins, je trouve les blouses blanches un peu trop monotones et puis, ça me fait me sentir important.

Elle se mit à le fouiller.

  • J'apprécie ce genre de préliminaires, mais si vous pouviez caresser autre chose que les poches de mes vêtements ça m'arrangerait.

Elle trouva ce dont elle avait besoin dans l'une des poches internes de sa veste, un badge. Son ticket de sortie.

  • Pour qui vous prenez vous ? Vous et les hommes avec qui vous travaillez m'avez retenue en otage en me répétant sans cesse que j'étais spéciale. Pendant des jours, des mois, … J'ai arrêté de compter lorsque j'ai fini par perdre l'espoir de retrouver ma liberté un jour.
  • Il y a certaines choses qu'il vaut mieux ignorer.

Elle leva les mains dans sa direction, au niveau de son visage. Aussitôt, ce dernier fut baigné par un voile brumeux. James eut la vue trouble, il se sentait comme légèrement sonné et manqua de perdre l'équilibre. Portant ses mains à son cou, il eut l'étrange impression de ne plus pouvoir respirer. La bouffée d'air qu'il inhala s'engouffra dans son organisme, le rendant nauséeux, comme si l'air était chargé de substances toxiques et que son corps réagissait pour ne pas faiblir. Appréciant le fait que l'homme devant lui ait perdu son sourire narquois, Aurore baissa les mains, le soulageant de ses maux et arrêtant la propagation de la maladie dans son corps. Elle reprit la parole.

  • Je pensais que vous étiez au courant, pardonnez-moi, mais j'ai tendance à m'emporter facilement. J'ai besoin de vous pour m'échapper d'ici. C'est bien la seule raison qui m'empêche de vous tuer immédiatement.

A bout de souffle, il apprécia le fait de pouvoir à nouveau respirer normalement et d'être libéré de son emprise. Quant à elle, elle lut ce qu'il y avait d'inscrit sur le badge à haute voix.

  • James Levkin ? Votre nom de famille est russe non ? Je n'ai jamais entendu parler de vous.
  • Je prends cela pour un compliment, le mystère est un de mes plus grands atouts.

Elle sortit alors de la pièce, lui à ses côtés et s'engagea dans le couloir pour rejoindre la cage d'escalier.

  • Où sommes-nous ?, lui demanda-t-elle.
  • Dans un complexe industriel et scientifique hautement sécurisé, tu t'en doutes bien, situé en Islande. Je me permets de te tutoyer, j'ai l'impression de te connaître depuis longtemps. Oh et d'ailleurs, je n'ai jamais eu l'occasion de te poser la question, mais le voyage en avion s'est-il bien passé ? Il me semble que l'on t'a administré une dose importante de somnifères afin que tu ne puisses pas sentir la longueur du vol.
  • Je ne vois pas de quoi j'aurais pu me plaindre.

Elle poussa la porte blanche sur laquelle était inscrit le numéro de l'étage, mais celle-ci était fermée à clé. Lâchant un soupir, elle fit demi-tour, s'interrogeant sur l'utilité où non de prendre l'ascenseur face au risque qu'elle encourrait de se retrouver nez à nez avec ceux qui l'ont retenue captive. Elle se retourna vers lui :

  • J'ai particulièrement apprécié le fait d'avoir été enlevée, tenue en joue par des hommes armés puis emportée dans un avion pour plusieurs heures de vol vers une destination inconnue. Le plus mémorable reste d'avoir été jetée dans ce qui s'apparente à une cellule pour vous permettre de m'observer continuellement et de mener tout un tas d'expériences sur moi.
  • Il s'avère que la science nécessite des sacrifices. Sache que tu fais avancer la recherche en nous permettant d'en savoir plus sur toi.
  • Je ne vous ai rien permis du tout.

Elle observa les caméras braquées sur eux de chaque côté du couloir, personne n'a pris la peine d'intervenir pour l'instant. Ils devaient sûrement attendre le bon moment pour le faire.

Sachant qu'ils voulaient sûrement l'obliger à prendre l'ascenseur, elle appuya sur un bouton de celui-ci pour qu'il arrive à leur étage et, presque aussitôt, les portes s'ouvrirent. Ils s'engouffrèrent à l'intérieur et elle appuya sur le bouton du rez-de-chaussée.

  • Tu as conscience que tu ne pourras jamais quitter cet endroit ? Et même si tu y arrives, tu n'as aucune chance de t'en sortir.

Et il avait raison. Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, elle aperçut devant elle une centaine d'individus armés, protégés par des boucliers qui pointaient leurs viseurs dans sa direction. Un seul homme se détachait des autres. Il ne portait aucune arme et était vêtu d'un costume, tout comme James qu'elle tenait en joue. Il se fraya un chemin parmi le personnel armé pour la rejoindre tandis qu'elle restait parfaitement immobile.

  • Je m'appelle Lucian, j'ai fondé cette entreprise. Je vois que tu as rencontré mon fils, James. J'espère qu'il t'a mis au courant sur le fait que nous n'étions pas dangereux ? Tu n'as pas à avoir peur de nous, Aurore.

Il s'arrêta à deux mètres d'elle.

  • Ne crains rien, la seule personne susceptible de te faire du mal ici, c'est toi. Nous ne cherchons qu'à révéler tout le potentiel que tu as et dont tu ignores encore l'existence. Je te promets que cet incident sera vite oublié si tu abandonnes l'idée de t'enfuir.

Tandis que son père tentait de faire raisonner le sujet 7.15, James observa les mains de la jeune femme trembler sous le poids de la colère. Elle s'adressa à son père.

  • Tu as raison, Lucian. Je n'aurais jamais dû te désobéir. J'ai appris tellement de choses grâce à toi et à tout ce que tu as entrepris. Sans toi, jamais je n'aurais su comment utiliser mes pouvoirs et jamais je n'aurais pu faire ça.

Elle s'agenouilla et posa la main à plat au sol. Une légère secousse se fit sentir alors que la maladie s'échappait de nouveau de ses doigts pour infester l'air ambiant. Des cris se firent entendre tandis que de nombreuses personnes tombèrent au sol en toussant. Aurore se baissa pour récupérer un fumigène accroché à la ceinture d'un des hommes allongés à ses pieds, puis, elle l'alluma. Lucian se releva, aidé par son fils et ils tentèrent de repérer dans le nuage de fumée sa position. Ils la virent courir dans le couloir alors qu'elle avait presque atteint le hall d'entrée. James jeta un coup d'œil à son père qui hocha la tête, puis, le fils prit une arme qui était par terre et se lança à la poursuite de la fugitive.

Lorsqu'il rejoignit le hall d'entrée, il remarqua que les effets s'atténuaient et fût rassuré que la portée de ses pouvoirs soit limitée dans le temps. Il sortit dehors, il faisait nuit. James regarda autour de lui, tentant d'apercevoir la rousse. Il marcha vers le parking, baigné par la lumière crue des éclairages. Soudain, il remarqua un vêtement au sol près de sa voiture et s'en approcha. Il posa son arme pour ramasser un gilet gris tâché de sang. Elle était blessée. Un violent coup sur la tête le fit s'écrouler par terre.

Aurore avait récupéré son arme et en avait profité pour l'assommer après l'avoir distrait. Lorsqu'elle vit qu'il était inconscient, elle se retourna pour reprendre sa route, mais avant qu'elle n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit, il attrapa sa cheville et enfonça une seringue dans sa peau. Elle lâcha un cri et retira l'aiguille. Elle récupéra son gilet au sol et l'enfila. Elle s'apprêta à s'enfuir lorsque James lui tendit ses clés de voiture. Etonnée de sa réaction, elle hésita à les prendre tandis que les aboiements des chiens et les voix des militaires se rapprochaient dangereusement d'elle.

  • Va-t'en, lui dit-il.

Elle se ressaisit et lui arracha les clés des mains. Elle monta dans sa voiture, puis s'en alla sous le regard de James qui ne la quitta pas des yeux.

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