... et de technologie absurde

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- Hourra !

Deux trois-mâts vident leurs entrailles métalliques dans le froid vide spatial. Sur le pont, strié de brûlures, Jefferson pousse un beuglement viril.

- Il n’en reste plus que trois ! On fonce !

Ce que Nimrod fait, encastrant la proue contre celle d’un vaisseau ennemi. Les combattants ont juste le temps de se coucher sur le sol, avant que les rostres plasmiques ne viennent ratisser les ponts. Privé de voile, de grand-mât et de la moitié des automates, le Layor n’est plus à un coup de peinture prêt. Son adversaire, si, mais n’aura plus l’occasion de s’en préoccuper, transformé dans la seconde en une énorme boule de feu, que la disparition du champ de force vaporise dans l’espace silencieuse.

- Ouais ! Promizoulin et de quatre ! meugle Jefferson, à quatre pattes.

- Commandant Jefferson ! Commandant Jefferson !

Agenouillé, le second bigle derrière. Au milieu des cratères fumants, grêlant le sol, un matelot chétif le regarde, sursautant à chaque déflagration.

- Quoi ? lance Jefferson, en tirant sur un pirate un peu trop effronté. Crache le morceau, minus ! On est en pleine zone de guerre ici !

- Ah… oui ! dit le jeune homme, prenant le temps tout de même d’exécuter un maladroit salut militaire. Y a une communication pour le capitaine ! C’est urgent !

- Transmettez-lui ! Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ?

- C’est qu’à dire… qu’il est introuvable… et le commandant Jasper aussi, donc…

- Non mais c’est pas croyable ! crache Jefferson. Je descends ! Solo, tu prends les dev…

- Qui est l’ennemi ? fait une voix.

Des marches, émerge une silhouette massive et rutilante. Jefferson le reconnait sans peine, le bras mécanique, il faut dire, aide beaucoup. Il crache aux pieds du nouveau-venu.

- Qu’est-ce vous foutez là, vous ?

- On m’a chargé de vous assister. Plusieurs choses me disent que vous n’avez rien contre un peu d’aide, répond calmement l’homme, dont les yeux perçants regardent déjà par dessus l’épaule de l’imposant second.

- C’est le capitaine qui vous envoie ?

- Indirectement.

- Ça fera l’affaire. Z’avez qu’à dégommer tous ceux qui débaroulent sur le pont et…

- Entendu.

Les rouages de son lourd bras mécanique s’agitent, puis son poing métallique fend l’air au bout d’un câble en sifflant et va s’agripper au bastingage d’un trois-mâts peu farouche. Abandonnant le second à ses problèmes, l’homme bondit à travers l’espace pour se réceptionner sur le pont ennemi.

Jefferson n'y accorde plus d'attention. Tout juste, entrevoit-il une grappe de boucaniers se faire charcler par le câble du bras grappin. Il file à la salle de communication. Un jour, s’il survit et rempile pour une dernière expédition, il fera en sorte que l’architecte qui a pondu cet imbroglio de couloirs, revoit sa copie. Une passerelle digne de ce nom, c’était trop demandé ?

Pour l’heure, il tente de faire abstraction des secousses, se raccroche lourdement aux chandeliers décoratifs et dépasse les ingénieurs roussis par la gueule torride des canons. L’une d’elle glisse jusqu’à lui.

- Jefferson ! Vous tombez bien !

- Pas maintenant Almira ! Je suis occupé.

- Nous allons manquer d’éther. Le convertisseur est mort, alors qu’est-ce qu’on fait ?

- Vous êtes électricienne, à vous de voir ! Maintenant, dégagez !

BOUM

À deux mètres d’eux, l’un des mortiers de réserve implose. Second, matelot et têtes d’ampoule sont projetés contre les murs branlants dans un concert d’agacement. Jefferson est le premier debout. Pas de brèche, voilà qui est un soulagement. Un miracle aussi. Relatif du fait du manque flagrant d’éther. Il est temps que cet affrontement se termine.

Il s’époussette et constate qu’un long éclat de titane a pourfendu sa combinaison, pourtant réputée indéchirable. À moins que le capitaine, faute de crédits, ait investi dans des imitations de la foutue planète Oŭishe, spécialiste de ce genre de contre-façon à deux kopecks.

D’un grognement, il l’arrache et, comme un manche, cautérise la plaie avec l’extrémité ardente de son fusil télescopique. "Le temps de botter le derche de ces brancouillards de l’espace, ça fera le taf", tente-t-il de penser sans gueuler. Non loin, Almira se relève, le visage barré d’une longue estafilade brunâtre.

- Vous allez bien, Jefferson ?

- On fait aller. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Almira hausse les épaules. Elle n’est pas payée pour gérer les tuiles de péquenots, infoutus de comprendre la base de la polarité d’un circuit électrique. Exactement ce qu’il faut pour faire sauter un mortier. Jefferson n’attendait de toute façon pas de réponse.

- Nettoyez-moi tout ça. J’ai à faire.

- Vous n’êtes pas sérieux ? s’exclame l’électricienne.

Mais le second est déjà loin. Il se rue dans la salle des communications, une pièce tout aussi immonde que les autres, tapissée de machines bourdonnantes carburant à l’éther et au solaire. Deux personnes sont occupées à fouiller les différents conteneurs. Pour un peu, Jefferson les embrocherait au fil de son sabre.

- Qu’est-ce que vous foutez là, vous ?! Dégagez !

- Hum ? Je suppose que vous êtes l’autre second, Fergusson, c’est ça ? dit Sanchez, sans cesser de laisser courir ses doigts décharnés sur les surfaces rayées.

- Jefferson ! Sortez d’ici ou je vous jure que…

- Si je vous dis qu’on a l’autorisation de votre capitaine, vous allez arrêter de jouer les locomotives ? intervient Keaya, occupée à parcourir le contenu d’une tablette.

- Je me fo…

BIP BIP BIP

Une des machines au centre de la pièce, s’affole. Jefferson étouffe un juron et bondit à sa hauteur, passant pour la deuxième fois de la journée par dessus une table, éborgnant quantité de leviers et de boutons, dont il n’a cure. Au diable les touristes de l’espace (et plus encore) ! Il est là pour une opération de com’, rien d’autre.

Plus manche qu’un balai désemmanché, il triture les voyants à vue de pif, le bonhomme étant au moins aussi ignare avec la technologie, qu’Almira aux devants d’une passerelle d’armement. Sanchez le voyant galérer, ajoute son grain de sel.

- Vous êtes sûr d’être le second du capitaine ? Il suffit d’appuyer sur la touche verte. Un ignare du XXIe siècle y parviendrait et j’en connais beaucoup.

Jefferson grogne, mais applique le conseil. Le fragile projecteur holographique s’active derechef et un homme tout en volutes, se matérialise au-dessus de la table.

Large manteau reprisé, un mélange informe de turbans et de foulards probablement écarlates sur la tête, saupoudré d'un parler à la limite de l’intelligibilité, pas de doute, il s’agit d’un pirate. Un corsaire même, si Jefferson en croit la comète à l’effigie du système d’Estromia, fièrement épinglée sur son bustier hideux.

L’hologramme crachote, tressaute sur place.

Cap’taine Reyes ! Oh ! Reyes ! Oh ! Comment ça marche ce truc ? Laissez-moi faire ! Reyes, c’est pas c’qu’on avait convenu, mon salaud ! On devait juste vous torpiller l’escargot et vous, pareil ! Une diversion et pis, c'est marre ! Qu’est-ce qu’t’as foutu !? On a perdu un navire dès le premier échange ! Tu peux te brosser pour qu’on t’épargne toi et tes pochtrons ! J’arrive, mon gros !

L’image se désagrège. Par sécurité, Jefferson fait jouer le message une seconde fois.

- C’est quoi ces conneries, marmonne-t-il.

- Facile, déclare Sanchez, les yeux au ciel. Votre capitaine a doesé du clodo pour vous cacher un truc. Je ne sais pas quoi et je m’en cogne. Vos problèmes, pas les nôtres, mais cette attaque est une mise en scène, que vous avez sabordé d’un abordage.

- Mais… Mais pourquoi ?

- Qu’est-ce que j’en aurais à secouer ? Vous divertir devant la bouboule bleue ? Il en faut bien moins. Bon ! s'exclame-t-il soudain. Il n’y a rien ici. Que des machines faussement futuristes et une technologie mal foutue. On va sur le pont.

- Au moins, il y aura de l’action, répond Keaya en reposant la tablette pour se hâter vers la sortie.

Jefferson demeure seul. Les fils de son cerveau, emmêlés par la fièvre de l’affrontement, mettent du temps à s’attoucher. Quand cela se produit, il jure, puis, gauchement, tente de composer un message à l’attention de leurs frères de planche.

En vérité, il cause plus de mal que de bien. Pour rien, en plus.

Au sein de la voûte étoilée, le trio temporel règle le différend en deux coups les gros. Après avoir copieusement démoli équipage et gouvernails, la “Chouette” envoie une corvette se perdre dans les ténèbres spatiales, où rapidement, sa coque se déchire en deux, faute de protection énergétique.

Tout juste arrivé sur le pont, Sanchez fait au plus simple. Sifflotant, il se fraye un passage entre les combattants, molestés par Keaya, et se poste sur la poulaine fendue. De ses différentes poches, sous le regard jobard de quelques tire-au-cul planqués dans les combles, il assemble une arme comme personne n’en a jamais vu dans cette galaxie arrachée au vitriol. Croisement kafkaïen entre un canon à éther portatif et un fusil anguleux d’un bon mètre cinquante, terminé de trois longues broches évasées.

Sans se presser, il y insère une capsule emplie d’une substance grenat tirant sur le mauve et braque l’arme vers les deux navires, qui ont eu le malheur d’avoir l’idée de présenter leurs flancs respectifs, au mauvais endroit, au mauvais moment. Entre les broches, une boule d’énergie crépite, grandit dangereusement pour se canaliser aux extrémités bourdonnantes de l’arme.

- Cadeau d’un immortel, déclare-t-il simplement à l’attention des glandeurs abasourdis.

Il presse la détente.

Il n’y a pas un son, seulement de la lumière. L’horizon obscur s’illumine. Sur 180 degrés, un aveuglant rayon déchire les ténèbres, lacère le vide, calcine son étreinte glaciale. En face, les deux navires sont pulvérisés sans bruit. Leur capitaine n’a pas même l’occasion de lâcher un dernier trait d’esprit, désintégré comme s’il n’avait jamais existé. Tout comme une partie de la vénérable planète rouge, pourtant à plusieurs dizaines de millions de kilomètres de là.

L'énergie dissipée, Sanchez baisse son arme, sifflotant toujours. En deux secondes montre en main, il a encore mis fin à une querelle qui jamais ne le concernera plus. Appuyé sur la crosse, il marque un instant de répit, savourant l’insipide silence des cieux, puis, déjà lassé, déclare simplement :

- On rentre. C’est chiant ici.

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