Bolid'0'Bruit

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Il court. Il court d’un pas gauche, d’un pied irrégulier ; les souliers défaits, las et fauchés.

Il s’était élancé sur le chemin, élevant des nuages de poussières aigres et ocres ; sur une futaie, sente étroite entre les branches, où jadis fusait un train. Avant qu’il ne disparaisse pour des raisons que Bob ignorait.

Il ignorait également pourquoi le soleil se levait dans son dos, et se couchait face à lui tous les jours d’Août ; pourquoi il pleurait et riait en même temps ; pourquoi le bout de la route l’effrayait.

En fait, il doutait même des raisons pour lesquelles il courait, à s’emmêler les pinceaux et à choir dans le terreau.

Il se disait que lui aussi – comme l’écureuil dans l’arbre d’en face – il cherchait un trou où fourrer son gland. Car il le sentait – aussi bien que les vesses vaseuses des mauvaises veillées – s’il courait, c’était bien pour quelque chose !
Trés certainement qu’il lui manquait l’Idée à faire germer dans un limon fertile ; duquel pousserait un maigre glantier, puis un baobab, et enfin une forêt de massifs séquoias !

Oui, c’était ça. Même si personne ne lui avait jamais dit que c’était là le chemin vers cette pinède rêvée ; il l’avait flairé.

Cette odeur de bistre d’ailleurs, qui se taillait une place à travers ses souvenirs, lui rappelait un pégu bien moins péquenaud que lui-même. C’était un temps où il marchait encore, un échauffement qui ne prenait jamais fin.
Ô il était arrivé, trottinant dans la lumière du Soleil, avec ses grands petons, ses grandes tringles, et son grand sourire, seulement modesté par un blair béat.

Il disait venir du Prélude, loin derrière ; et qu’il trouvait les balades à plusieurs bien sympas. Mais ce qu’il aimait plus encore, c’était de partager ce qui l’animait : dessiner des formes par terre, dans le sable stérile, c’était ÇA, sa plus grande marotte. Du bout des pieds, avec le nez, ou d’un coup de vergette ; rien ne l’arrêtait.

Il lui avait donné ce bâton, qu’il disait capable de donner une direction et l’entrain qu’il faut pour marcher sur ces vieilles routes. Bob n’avait pas encore compris à cet instant. Comment un pauvre bout de bois pouvait l’aider à avancer ? Piteux bâton pas plus profond que l’était sa poche.
Malgré tout, il suivit son aîné de grand dadais ; Misère-âme, qu’avais-tu de mieux à mijoter ?
Ainsi inspiré, on le poussa à passer de dégourdissement à véritable cavalcade ; et ce fut peut-être la première fois que Bob cessa de s’imaginer le bruit du vent, la caresse du ciel. Il apprenait maintenant ce qu’il en était : de ces douces senteurs, plaisirs portés par les brises ; aux rafales violentes haltant pas et espoirs ; il se figura plaisirs et déboires, il grandissait !, traînant en critérium maux et idées.

Et, chemin faisant, l’ancienne voie ferrée pénétra un bosquet où se mêlaient scions et se séparaient sillons. Bob n’était pas le crayon le plus affûté de la trousse.

Il perdit de vue l’enthousiaste du Prélude ;
          et sa propre traverse.

Effaré, égaré, le benoît Bob avait quitté cette forêt d’ébauches de boutons et autres bourgeons pour recourir sur une route de béton. Un gris asphalte qui ne lui inspirait rien de bien rassurant, comparé à son banal sablon.
La crainte d’être seul et perdu se tut vite, car quel ébaubissement !, çà et là d’autres coureurs !

Il ne savait pas pourquoi tous secouaient, éprouvaient leurs membres de primates vers un bord du monde méconnu. Il ne savait toujours pas vraiment les raisons qui l’émouvaient non plus, se complaisant en velléités et naïveté. Voulait-il abreuver le monde d’un récit de voyage suranné ? Briller en société ? Rien de cela, il en avait la certitude. Il n’était pas comme les autres, lui ; il ne courait pas vers le lampadaire muet, comme une phalène aveugle et sourde.
N’est-ce pas ?

Et si sur ce coaltar il ne trouva pas de réponse à nous donner, il avait trouvé d’autres traînes-fadaises avec qui voyager en fin de cordée. Bob posait sur leurs lèvres ce gland prêt à germer, ses rêves un peu bêtes. Si le luron du Prélude l’avait tiré en avant, ces nouveaux compagnons s’étaient fait gais rivaux avec qui progresser et, peut-être, dépasser les termes de cette route goudronnée ‽

Ah ! Quelle équipe d’exception !
Le Déterminé, il écoutait beaucoup, et de son sourire narquois poussait le peloton à se faire adroit.
Le Grand Ponte du Gazon, maître ès traçage de traits tortueux, qui bien que trés sûr de ses victoires, ne restait que le roi des goguenardises.
Il y avait aussi le Miel Gerbant, d’une explicitation nominale invraissemblable, qui avait le goût des plaisirs et déplaisirs ; il s’avérait être un terrible compétiteur, car bien que flâneur, sa conduite était infaillible !

Et enfin, le benêt Bob.
Bon qu’à applaudir, brasser les nimbes, et buller sur le bord du bitume.

Le souvenir chéri qu’il conservait de ce tronçon était jonché d’esquisses, de plans en chantier, de détritus, autres morceaux rouillés et détériorés ; autant de ratés, de tristes gîtes mort-nés que Bob affectionnait comme un père endeuillé.
Un orphelin de ses propres desseins : Une demeure au bord de la mer ; un havre où fermer les yeux et rêver.
C’est là sur ce même chemin qu’ils avaient appris à tenir leurs bouts de bois, à s’en servir et à, enfin, enfanter des gribouillis. Des traits malformés qui contaient moult aventures, myriades de rêves, et autant de tentations ; en fait, à vivre avec cette noble compagnie, Bob avait appris à chérir ce bâton de marche, à estimer ces tentatives tenaces, et à magnifier ses moindres triomphes. N’était-ce pas le Déterminé, les matins dans la rosée ou les soirs au coin du feu, qui encensait le désordre de ces mots vrais écrits ?
Mais une ombre portée se jetait déjà sur ces travaux. Si le goût douçamer de ses joutes avec le Miel Gerbant était une chose qu’il avait appris à recevoir – apprécier et dépasser – il restait le regard des autres coureurs, de tous les arbres et brins d’herbe, ainsi que du ciel éternel.
Un regard qui le terrifiait.

Que penser si jamais tous étaient quiets, murés de moqueries en secrets ?

La nuit était tombée, et les échos des sabots grattant le gravier se perdirent dans le ciel picoté.
Bob s’égara entre ces feux lointains. Ils clignaient pour le saluer, le choyer ; et en silence lui chanter des histoires insignifiantes. Des films aux photons vaillants, des épopées de planètes plaisantines, et l’apologue d’un vide sans prétention.

Notre coureur un peu sot s’imaginait déjà jouer de la guitare, ou peut être du gazou ; et répondre aux étoiles, au cas où l’ennui les enlacerait. Il s’inventerait, de peur de lasser, pincel et peintures irréelles pour offrir chaumières et gratte-ciels, glèbes et rivières en teintes naïves. Aussi déguiserait-il les soleils dans un carnaval cosmique, un festival de céphéides flattées.

Alors le ciel guincherait jusqu’à la fatigue, et tout le monde verrait ce qu’il y a de plus joli.

Mais ça ne serait pas assez pour exprimer le sublime céleste, alors Bob voudrait conclure cette kermesse dans un colossal feu d’artifice ! Que la voûte ne soit que camaïeu de gueule, olive et violine ; lime et lapis ; safre, soufre et safran !

Les yeux plein d’étincelles de couleurs ; ils redescendirent doucement se poser sur l’horizon d’un zinzolin bien sombre. En se fourvoyant des fumées colorées du firmament, Bob avait volé toutes les couleurs que la terre avait à lui donner. Pire encore, il avait perdu toute compagnie. Était-il parti loin devant ? Ou l’avaient-ils laissés loin derrière ?

Le vent souffla, la feuille flétrit et Bob tâcha de suivre la route ruinée.

Ses souliers usés levant nuées ocrées ; ses pas gauches le guidant vers cet effrayant bout de route.
Ainsi il cavale là où tout a détalé depuis longtemps.
Il court sous cette drache, jusqu’à cracher chimères et confiance. Il court jusqu’à faire crever cette foi de con.
Il trottine vers cette odeur fange et vile dont il va pouvoir se faire mantel. Car dans la tourmente d’encre, il ne distinguera que son fusain fêlé.

Le vent souffle, et sur le bord de la route égarée, un pannel annonce :
Putanges-Pont-Écrepin – 96 km

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