Brève Oeillade dans le Brasier

8 minutes de lecture

L’odeur de la pluie qui éteint l’incendie avait ce petit quelque chose d’unique.
Un goût d’amertume ; suret de la furie, sucrée de la fin.

Il contempla ses mains rougies de suie ; sur sa langue se posaient encore les flocons de ce qu’avait étée sa maison. Une neige chaude qui ravive les vieilles blessures, et les nouvelles cicatrices ; autant de petites brûlures qui épuisent.

Il n’entendait plus les cris et vociférations, les pleurs et sanglots. Il était juste las, prostré face à la porte même qu’il avait franchi le cœur léger, il n’y a pas si longtemps ; juste assez pour oublier que c’était hier.
Il était là, prostré, éreinté d’avoir couru pour sauver ce qu’il pouvait, épuisé d’avoir sué et saigné contre les flammes dévorantes ; brisé, recru des jeux malins d’enfants mesquins. Ces mêmes jeux qui avaient molestés la Cité qu’il avait cultivé.
Et de ses larmes, il l’avait salé. Car prostré, il s’était d’abord vêtu de probité candide, et de lin blanc ; celui des nobles de cœur. Mais bientôt ce blanc ; si magne, si calme ; il l’avait sali du crime, ce rouge abject que rien ne cache.

Il déglutit, ravala des larmes lourdes du péché.

Il avait cédé à des attraits malveillants : à l’haine, il répondit par le mépris, à la bassesse par l’âpreté, et de cette farce pathétique, il paya le prix cher.

L’Amer teinta tout ce qu’il toucha, et ses pieds s’enfoncèrent dans une tangue vicieuse.
Son bâton pour arpenter le monde n’était maintenant plus qu’icône du souvenir. Un spectre qui le saisissait au cou, l’asséchait des flots de l’Aventure ; et rognait ses aspirations et inspirations.

Moins qu’une carcasse ! Moins qu’une ombre ! Qu’il ne reste rien ! Â !

Voilà ce que criaient les braises fraîches de maux bien trop vrais.
Et Bob se maudit mille fois. Il avait été mauvais père, et maufait pair. Et les mofettes tenaces de ces qualificatifs lui prenaient à la gorge : il avait cette envie de cavaler loin, on ne sait où, en oubliant qu’il s’était arrêté ici, dans cette ruine qu’il appelait encore « Maison » entre deux sanglots un peu morveux. Courir comme il avait toujours fait, en abandonnant son enfant adopté, comme ceux qu’il avait convié à jouer sur l’autoroute ; trotter comme il avait toujours fait, à en perdre des frères et sœurs de marche, comme ceux qu’il avait égaré au détour d’une œillade en forêt.

L’idée lui tiraillait les boyaux, lui sifflant soif de paix et pets de stress. C’était une voie facile, où il n’aurait qu’à essayer de faire comme s’il n’avait pas eu mal. Mais c’était une voie lâche, où il abandonnerait discipline et dignité ; ce chemin que lui soufflaient les braises.
Pensée tout bonnement inacceptable.

Le vent dans les cheveux gras, il s’était enfui.
Il s’était enfoncé dans la pinède, en évitant tes rains connus, pour se perdre en solitude, trébuchant sur des curcubites faussement lugubres et glissant jusqu’à finir le fiak dans la vase d’une rivière. Quelle heureuse situation aux relents de déjà-vus.
La tourbe l’embrassa et d’honte, de remords et malaises, il voulut qu’elle l’étrangle !; qu’elle s’abatte sur lui pour qu’on l’oublie dans le lit fangeux ; un tombeau entre vélos abandonnés, et trésors rongés par le passé. Ses membres se raidirent, sa voix n’osa plus passer l’orée de ses lèvres fendues et gercées : piteux hère auquel on avait arraché toute volition !

Ce n’était qu’un spectacle des plus communs, un gros navire qui coule, un grand empire qui s’écroule, ou un faux-roi qui s’échoue : du pareil au même.
Car il avait touché le Doré.
Enfin, s’était-il cru emmantelé des rais du Soleil, porteur d’un message au grand-cœur. Mais Bob avait oublié d’où il était issu : de la fange ne peuvent naître les étoiles.
Et alors la cécité avait saisi le roitel, il avait été aveugle aux bas-mots, aux complots ; aux couteaux.
Et enfin, lorsque tout ne devint que trop évident, c’est la lâcheté qui finit de lui crever les yeux. Assumer, c’était là quelque chose de bien pesant, ne pouvait-il pas attendre un peu plus longtemps ? Que les titrés d’un oui bénissent, que la foule famante applaudisse et que les coupables s’anoblissent ‽
Â, petit roitelet sans fierté, maintenant tu cours, éventré de toute valeur.

La Baize coulait drue vers un ruissel dont il avait déjà oublié le nom, ou était-ce directement vers la mer ? Qu’importe, l’un ou l’autre, les deux charrieraient l’immondice pour l’éternité, jusqu’à l’autre bout du monde !

   À mes amis absents.

   C’est vautré d’infamie, de chagrin ; de fatigue,
   Que je vous écris ces quelques vers pathétiques.
   J’ai perdu phares et jalon. Brûlé jusqu’à l’âme,
   Je ne puis plus goûter aux Verbes, ils ne sont qu’amer ;
   Je ne puis plus gratter le Vélin, mité de l’Haine !

   Alors oubliez les rêves
   Qui ont habités mes lèvres,
   Car on les a enterrés ;
   Et déjà je les rejoins !
   ÂÂÂâââaaahhh.

Voguant sur l’eau, se faisant bois flotté, il dériva. Comptait-il les heures passantes, les jours coulants ? Il ne se donnait pas cette peine, en faix malmené, il se contentait de ne pas se noyer ; acte des plus impressionnants compte-tenu de ses admirables compétences.
Cependant, il fallut croire que dans cette Cité en proie aux flammes de la discorde, quelques âmes s’acharnèrent à ne pas le laisser se faire bectance à poissons.

Une corde l’avait éclaboussée, et avant même de pouvoir recracher flotte et juron, une deuxième vint lui mettre un coup lourd sur la tête, et une troisième s’enroula à ses pieds.
Alors on tira sirène d’eau douce – ou plutôt lamantin aux fatigantes lamentations – sur les berges bétonnées aux grues rouillées.

« Sac à merdre ! Roi zaux guenilles ! »

Car il n’y avait d’entre-deux, si ce n’est le ton de la sincère sympathie.

Une main bienveillante le saisit par la peau des fesses, et on l’allongea pour qu’il détrempe. C’était un chien battu que cette fine équipe de putangeois avait dépêchée.
Ils avaient tous l’étincelle de la détermination dans le regard, malgré des visages à la beauté blessée par la suie.

« Messire, vous pouviez au moins répondre. Nous avons cru à une plus mauvaise nouvelle ! »

Aux paroles inquiètes de l’Hère Polisson, Bob se justifia maladroitement en borborygmes bêtes et confus.

« Vous avez presque failli perdre votre couronne ! »

Il se saisit de son bien, une bande de papier cartonné, encore un peu grasse de son séjour étroit avec une galette : l’Icône du Cœuqu’errant.
Une larme sèche glissa ; ça y est, il se sentait investi : il se savait benêt, paresseux et pathétique, mais par-dessus tout, peccable ! Il avait cru tous ses périples vains, tous ses efforts partis en fumée, mais voilà qu’on le rappelait.
Il se tut d’humilité, par une faillibilité humiliante qu’il aimait tant !

Revenir sur les routes, reprendre le chemin de Putanges-Pont-Écrepin fut chose aisée, suffisait-il de suivre le fumet accrescent qui s’échappait des ruines lointaines, et l’air fin de ses guides.
Tendu-du-slip était de ceux qui avaient la certitude dans le regard, qui marchaient sans crainte apparente jusqu’au bord de la Crevasse. Et au-delà…
Qu’en savait-il ‽ Bob était trés mauvais explorateur, se laissait-il alors mener sans réfléchir (C’était une aubaine ! Car c’était un bougre paresseux, qui préférait papillonner, l’air abasourdi par quelque histoire passionnante !). Ce qui était bien moins le cas de la Vieille Goule qui, malgré des rides marquées de sourires et de l’oisiveté faites loi, restait vive et alerte, tirant la bande hors des sentiers boueux et surtout baveux.

La pluie était passée sur la Cité, comme si une armée de pipieux chérubins avait étée envoyée par les Dieux tout pissants pour se gausser des malheurs citadins.
Mêlant l’âcre cendré à l’ocre arable, on pouvait constater l’ampleur du carnage ; les flammes n’avaient pas étées clémentes.
Ils passèrent sous l’arche de la grand-porte et le regard dur mais perdu du Blaire Altier, vigie scrutatrice qui accusait l’horizon de tous les maux du Monde.
Bob s’en était demandé s’il ne valait pas mieux abandonner l’épave de ses rêves ; aprés tout, il n’avait connu aucune douleur pareille lorsqu’il n’avait encore rien réussi ; mais à la vue de ses pairs qui s’activaient à déblayer miettes et gravats, il se sentit bien bas et petit. Des plus braves que lui ne s’étaient posés aucune question veule et s’étaient remontés les manches : il avait croisé le Bel Hêtre, le nez dans la pinède, à compter chacun des caïeux sauvés de la consomption ; il avait aperçu la Baie Ligotée affairée à un obscur spectacle de cordes tendues, des rocs durs et fendus de veines braisées exigeant d’être déplacés ; ce sous la supervision du Lancelot, maïeur haut perché sur sa bécanocavale.

Au loin, prés du vieux pont aux eaux rassérénantes, il vit une figure prévenante ceinte de rimes léonines. Doucement, il se détacha de ses compères, laissant songeur, goguenard et sage pour une embrassade maternelle.
À l’abri, sous une caresse taisant inquiétudes, il s’autorisa une larme et un soupir bercés. Car dépouillé de tout ce qu’il avait fait, il s’était cru sans ami ni famille, seul ; bon qu’à couler au fond d’une station d’épuration ; et il remerciait les étoiles encore timides dans le ciel, voilà d’un gris toussotant, de l’avoir fait mentir.

« Merci Mater. »

Lors pourceau qu’il était, il s’agenouilla et planta ses mains dans la boue bistre. Il se saisit d’un charbon quelconque qu’il glissa dans sa poche mitée.
Enfin, il erra dans la Cité, gravant petites pensées, peignant des crayonnés, jusqu’au cœur de la communauté. C’était une velléité faite certitude, une apodicticité dont il devait se faire chantre.
Il fallait sourire, danser, courir, sauter, rire, grimper, offrir, tomber et guérir.
Tout ça pour dire « Merci ».

Et il continua ainsi jusqu’à s’échouer sur le rivage d’une île perlée de vert, dormant en une mer de gris béton.
Un hâvre qui avait résisté aux colères et aux flammes.
Et il s’est arrêté ; tu par la peinture qui se coloriait face à ses yeux maigres perdus dans l’immensité de leurs cernes.

Là, habillée de simplicité et de spontanéité, elle faisait fleurir des lonicera et autant de papillons l’honoraient de leurs vols gracieux.
Tu crois entendre leurs rires crystallins, les sourires d’enfants et le chant des cerfs-volants. Le temps d’un instant, tu en oublies tes larmes, tes ires comme tes respirs ; les étoiles gravées au fond de tes yeux se taisent même, car il ne faudrait pas que cela flétrisse d’un mot mal donné.

C’est la journée des bébeilles aprés tout, il faut penser à elles !

Là, au milieu des ruines sanglantes ; ici, au cœur du jardin de coquelicots ; elle dépose au creux de tes mains quelques graines de citrouille. Un rien d’où peut germer le Tout.

Tu les serres, sincère, et lui offres un sourire.

« Demain, j’en planterai autant que je pourrai. »

Il ferme les yeux, entouré de la mer battante des cœurs-coquillages qui lui cantent à l’oreille.
Mais il n’entend pas l’orage qui vient.
Cette masse lourde et mauvaise qui ne vient que pour lui.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Caracal Le Scribopolite ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0