Sans lui laisser le choix, Léandre s’agenouilla devant Sarah pour lui retirer ses souliers dans un geste qu’il voulait empreint d’attention et de délicatesse. Il savait que sa froideur n’était qu’une armure, une réaction instinctive à la révélation de la double vie de Henry.

— Pourquoi faites-vous cela ? murmura Sarah, la voix tremblante. Je suis un monstre avec vous et vous vous acharnez…

— Je ne le fais pas pour vous, répondit Léandre avec un soupir, les yeux emplis de gravité.

— Vous ne me devez rien !

— Je le dois à Henry, corrigea-t-il doucement en levant vers elle un regard compréhensif.

Sarah sentit une chaleur douce l’envahir malgré sa douleur et un pincement de regret traversa son cœur. Elle baissa les yeux, hésitante.

— Je suis désolée…

— Arrêtez, dit-il calmement. Être désolée ne changera rien. Vous devez accepter sa mort, notre relation et l’amour qu’il nous portait à tous les deux.

Léandre reprit son souffle et passa sa main dans ses cheveux survoltés.

— Henry était un homme exceptionnel. Il vous aimait profondément. Je n’ai pas le droit de vous laisser en douter.

Il se releva et lui tendit la main.

— Vous voulez lui pardonner ?

Sarah inspira longuement.

— Je… je n’en sais rien. Pas encore…

— Dans ce cas, prenez votre temps.

Un vent léger fit bruisser les branches des pins et apporta avec lui quelques grains de sable scintillants. Sarah sentit son souffle s’apaiser quelque peu. Elle prit la main de Léandre, qu’il serra avec douceur pour l’aider à se relever. Susie s’approcha et posa sa tête contre sa cuisse et Sarah la gratifia d’une caresse, un timide sourire aux lèvres, avant de se laisser envahir par l’air frais et vivifiant.

—

Au marché, les étals regorgeaient de denrées aussi diverses que variées : poissons fraîchement pêchés, fruits et légumes de saison, breloques, bibelots, vêtements et quelques antiquités.

Léandre s’arrêta devant le stand d’un maraîcher, un charmant jeune homme d’une vingtaine d’années dont le sourire s’élargit à sa vue. Ils échangèrent une accolade et un baiser sur la joue avant que Léandre ne présente Sarah.

Le jeune homme ouvrit de grands yeux.

— Vous êtes la femme de Henry ? Toutes mes condoléances.

Surprise, Sarah répondit d’un ton hésitant :

— Merci.

Elle sentit sa gorge se serrer, mais Léandre reprit aussitôt :

— Henry parlait de vous à tous ceux qu’il rencontrait.

Ces quelques mots touchèrent Sarah plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Le brouillard de ses sentiments se dissipa encore un peu, la double vie de son mari prenait forme, complexe, mais étrangement cohérente.

Léandre acheta quelques légumes que le jeune homme déposa dans une cagette. Ils se saluèrent avant de poursuivre leur chemin vers le stand d’un boucher, puis celui d’un poissonnier. Juste à côté, un étal de fleurs attira l’attention de Sarah.

Un bouquet d’hortensias bleus et roses, piqués de gypsophiles et de branches d’eucalyptus, se distinguait parmi les autres. Henry adorait cette fleur, il en avait planté tout autour de leur maison à Châteaudun et passait des heures à les entretenir. Sans même réfléchir, Sarah s’en saisit, les yeux embués.

— Je vous le prends ! dit-elle d’une voix tremblante, mais décidée.

Elle rejoignit Léandre, qui finissait ses courses et lui présenta fièrement le bouquet. Il lui adressa un sourire attendri.

— Il est magnifique. Henry adorait les…

Il s’interrompit, hésitant à terminer sa phrase.

— C’étaient les fleurs préférées de Henry, compléta Sarah d’un ton doux.

Un silence complice les enveloppa. L’animosité et la froideur qui avaient plané entre eux depuis leur rencontre semblaient s’être dissipées. Léandre soupira intérieurement, conscient qu’un pas décisif vers la paix venait d’être franchi.