La pluie est romantique à qui sait l'apprécier

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Alors qu’il déambulait, déprimé par le fiasco dont il sortait, Will leva les yeux pour contempler le ciel morne. Mais, rapidement, ses pupilles se posèrent sur un élément qui tranchait du reste de ce décor gris. Au loin, arrivait ce qui semblait être une silhouette féminine. Pressée, les bras chargés de fleurs, elle laissait derrière elle des pétales aux mille nuances, tombées sous le poids des gouttes d’eau. Le bitume, d'une teinte si froide habituellement, était recouvert, çà-et-là, de taches multicolores. La traînée végétale, éclairée par les lampadaires, semblait se vêtir d’un aspect surnaturel que seul William pouvait voir. Quant à la silhouette, elle ne s’était même pas aperçue de la beauté qui se dégageait du paysage qu’elle créait. Dans sa course effrénée, elle décorait la rue, voire le monde qui, pour son observateur, n’avait toujours été qu’un amas monochrome. C’est pourquoi cet homme, qui ne savait rien de cette femme, eut la sensation que cette scène lui mettait du baume au cœur. Une sensation de chaleur l’embrassa, réparant son âme meurtrie.


Pour la première fois de sa vie, Will ne ressentit pas de gêne en la présence d’une femme. En la regardant de plus près, alors qu’elle se rapprochait de plus en plus, il remarqua qu’elle était trempée par la pluie qui s’abattait sur sa maigre carrure. De peur qu’elle ne tombe malade, et par galanterie, il s’approcha de cette frêle silhouette aux longs cheveux châtains. De son côté, celle-ci rechigna à s’arrêter en voyant un inconnu au milieu de son chemin. Le ciel couvert ne laissait même pas passer les maigre rayons de la lune, et l’éclairage des lampadaires était trop faible. À cause de cette maigre luminosité, elle ne distinguait qu’un manteau noir et un visage à moitié camouflé par un parapluie. Étant pressée par le temps et ne pouvant le contourner, elle reprit sa course de plus belle, persuadée que ses cours d’autodéfense suffiraient en cas de danger. Mais alors que ses pas résonnaient dans la rue déserte, une voix se fit entendre :


« Vous allez attraper froid, la pluie n’est pas clémente aujourd’hui. »


Surprise, elle s’arrêta, à un mètre de lui. Soit elle avait imaginé ses propos, soit cet homme venait d’indiquer qu’il se souciait de sa santé. Peu certaine, elle lui demanda de répéter, entendant les mêmes mots, avec la même inquiétude dans son timbre de voix. Il marcha, comblant la distance qui les séparait. La jeune femme eut un geste de recul, lorsqu’il lui tendit son parapluie :


« Vous en aurez plus besoin que moi. Prenez-le. »


Hésitante, elle finit par le saisir. Il s’agissait d’un parapluie à l’apparence ordinaire. Seulement, sa poignée sculptée le rendait unique en son genre. Au lieu d’une anse lambda, il y avait une sorte de phœnix élancé permettant de tenir aisément le parapluie, en plus de le rendre élégant. Alors qu’elle observait avec une sincère curiosité cet oiseau, l’inconnu tourna les talons et reprit son errance. Sortant de sa rêverie, elle sortit un papier de son sac, et gribouilla dessus avant de poursuivre cet inconnu. Arrivé à sa hauteur, elle l’arrêta, et lui tendit la note qu’elle venait de rédiger :


« C’est mon lieu de travail. Vous le retrouverez aisément. Passez quand vous le pourrez, que je puisse vous remercier et vous rendre le parapluie. »


Il fourra le bout de feuille dans sa poche pour le protéger de la pluie insatiable, incapable de balbutier le moindre mot. Une timidité qu’il ne connaissait pas bloquait chaque mot à la commissure de ses lèvres. La jolie voix de cette femme, et son accent chantant, l’avait laissé pantois. Elle reprit :


« Je vous attendrai. »


Il ne put émettre qu’un grognement et un hochement de tête en guise de réponse. Il se haït profondément pour cette embarras qui n’avait pas lieu d’être et souhaita intérieurement que cette femme ne lui tienne pas rigueur de son mauvais caractère. Il n’y pouvait rien si, depuis l’incident de ses cinq ans, il éprouvait une certaine difficulté à communiquer avec autrui. Il ne s’agissait pas d’une facette de lui qui était due au choc, mais plutôt d’une protection qu’il s’était créé pour ne plus revivre la même chose. Il n’y avait pas de traitement pour ce trouble. Les médecins avaient suggéré de faire preuve de patience avec lui. Ils pensaient que, à force d’attente, le jeune Will redeviendrait l’enfant dynamique à la langue bien pendue qu’il était. Des années plus tard, il n’en était rien. L’enfant était devenu grand et sa timidité relevait de la maladie incurable. Pourtant, avec la femme aux pétales, il aurait aimé communiquer, comme avant. Mais une sorte de voix, dans sa tête, lui intimait de parler le moins possible. C’est en gardant ses distances qu’on se protège des autres. Or, c’est à cause de ces mêmes distances que Will se sentait seul.


Cette femme avait l’air de détenir le moyen de le sortir de son mutisme. C’est pourquoi il se concentra sur elle, afin de garder chaque détail qu’elle dévoilait dans un coin de son esprit. Il la regarda reprendre sa course, alors que son être tout entier tremblait à la suite de cette rencontre. Il voyait les pétales continuaient à la suivre, bien que plus espacés. La route qu’ils traçaient finirait par disparaître, mais Will était persuadé qu’il retrouverait, malgré tout, le chemin menant à sa mystérieuse inconnue.


La pluie finit par cesser. William, encore remué par sa soirée peu commune, s’écroula sur son canapé en rentrant chez lui. Personne ne l’attendait dans son loft, donc personne ne pouvait le réprimander pour avoir trempé ledit canapé. Personne à part lui-même. Or, au vu de son état, il n’aurait pas eu la force et la volonté de culpabiliser.

Après un certain temps passé à reprendre ses esprits, il sortit la petite note de sa poche. Se redressant d’un coup sec, il s’aperçut que, malgré ses précautions, l’encre avait bavé sur la surface blanche. L’écriture autrefois élégante de son inconnue s’était transformée en une tâche bleutée, badigeonnée telle de l’aquarelle. Seules deux lettres semblaient avoir survécu au désastre. Un "Bo" suivit d’un gribouillis indéchiffrable. Loin d’être découragé, Will se promit de retrouver l’enseigne dont il était question, par tous les moyens.

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