Chapitre 10 - Julie

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Lili est réveillée par des tambourinements à sa porte et une voix qui l'appelle :

— Lili, dépêche-toi ! Il est déjà sept heures. On a rendez-vous au foyer dans trente minutes et tu n'es pas encore sortie du lit ! Tu vas être en retard pour la marche matinale !

C'est la voisine de chambrée. Lili lui répond, la voix pâteuse et ensommeillée :

— J'arrive... Merci.

Après avoir baillé tout son saoul, Lili s'assoit sur son lit. La jeune fille a l'impression de s'éveiller d'un long et agréable rêve. Pourtant, avec sa fenêtre mal refermée, force est de constater, qu'Alex est bien venu dans sa chambre discuter une bonne partie de la nuit. L'adolescente s'habille en hâte pour rejoindre le bâtiment principal.

Tout le monde est déjà prêt pour la petite randonnée matinale. Même heure, mêmes geignements qui s'amenuisent rapidement. Les discussions vont bon train tout le long du trajet, sauf pour quelques récalcitrants qui continuent à se lamenter, jusqu'à l'arrêt forcé devant la cascade. Ce silence ressource toujours autant Lili. Ses pensées flottent vers Alex. Elle revoit son visage, ses gestes, ses yeux. Des étincelles électrisent son corps, la réchauffant au passage. Elle a envie de bouger, de sauter. Et même de danser ! Moi, Lili danser ? Le glas du départ ramène la jeune fille au moment présent et le groupe se met en branle pour entamer le chemin du retour.

Le trajet est dédié aux tracas de Maéline dans le camp : où trouver du maquillage car elle a cassé son rouge à lèvres, comment accéder au téléphone du camp pour discuter avec son chéri... Elle n'a plus le temps de penser à Alex.

Avant d'entrer dans la salle du petit-déjeuner, Lili passe par les toilettes. Elle laisse son esprit repartir dans cette douce rêverie de la nuit qui vient de s'écouler. Elle remplit son plateau et voit Maéline, déjà installée, lui faire de grands signes avec les bras. Soudain, une voix venant de derrière la surprend :

— Bien dormi ?! Moi, j'ai la tête dans l'cul.

— Oh, Salut Alex.

En voyant sa tête qui ressemble plus à un robot somnolent qu'à un être humain, elle ne peut s'empêcher de pouffer.

— En effet, on dirait un zombie !

— C'est pas cool de se moquer.

Et s'appuyant à moitié sur elle, il la pousse vers la table où il s'affale sans plus de cérémonies.

— Salut Lili. Salut Alex, t'as mauvaise mine ! lance Maéline.

Tout ce que la jeune fille obtient, c'est un grognement digne d'un homme des cavernes. Lili lui répond :

— Salut Maé. Je crois que je vais lui apporter son ptit-déj, il me fait pitié.

Et, joignant le geste à la parole, Lili se dirige vers le buffet où elle prépare un assortiment des plus variés.

— Ah merci, t'es la meilleure ! lui lance-t-il en effleurant sa joue de sa main chaude et douce.

Gênée par le débordement d'émotions qui l'envahit à ce simple contact, Lili tourne la tête et tombe directement sur le regard noir de Julie. Elle semble vouloir lui jeter un sort à distance. L'adolescente détourne la tête et baisse les yeux vers son verre de jus d'orange. Puis Maéline prend en charge la discussion ou plutôt le monologue matinal, pendant que Lili mange en l'écoutant d'une oreille distraite, et qu'Alex boit son café, la tête toujours ensommeillée. Lili fait tout son possible pour éviter le regard de la blonde. Avant de déposer leurs plateaux, Maéline demande au jeune homme, tout en lançant un regard taquin à son amie :

— Alex, tu t'es inscrit à quelle activité ce matin ?

Il lève la tête, prend plusieurs inspirations, avant de répondre d'une voix rauque :

— Dessin des paysages ardéchois. J'aurais préféré mangas, pfff.

— Nous aussi, à tout à l'heure alors si tu ne t'es pas rendormi d'ici là, lui dit-elle en pouffant de rire.

Elle est rapidement accompagnée par le rire discret de Lili.

Chacun repart ensuite vers son bungalow : Alex pour dormir, Maéline pour écrire à son chéri et Lili, à ses parents. Ils lui ont bien fait comprendre qu'elle devait donner des nouvelles plusieurs fois avant son retour, alors autant se débarrasser de la corvée tout de suite. Arrivée à l'intersection de deux chemins, l'adolescente tombe sur Julie et deux de ses copines. La jeune fille s'approche d'elle, les yeux levés, les poings sur les hanches, et la voix emplie de colère l'invective :

— Alors comme ça, tu te crois intéressante, la Girafe ?!

À ces mots, Lili se fige. Les pensées se bousculent. Le traumatisme la percute de plein fouet. Ce dernier est revenu, par ce simple mot, avec une force et une vivacité qu'elle pensait avoir laissée derrière elle, à Morlaix. L'adolescente pensait avoir trouvé un peu de répit et que cela dureraitle temps du séjour.

— Ahhh, tu fais moins la fière maintenant ! Vous avez vu, les filles, la grande asperge ne vaut pas grand chose. T'approche plus d'Alex, il est pas fait pour toi, la Girafe !

C'est le mot de trop. Lili sent son corps se mettre en mouvement, mu par un réflexe de survie. Elle se met à courir, le feu au visage, la boule au ventre et les poings serrés. Elle entend le rire des trois jeunes filles. Ils sont comme autant de lames de rasoir lacérant sa tête de toute part. Elle tourne sur un autre chemin. Puis, un choc. Désorientée et sonnée par la collision, Lili peine à comprendre ce qui se passe.

— Lili, est-ce que ça va ?! Tu as l'air affolée !

Alex ?! Non, pas maintenant, pas comme ça.

Il la saisit délicatement par un bras et de sa main libre lève sa tête vers lui. Elle tremble comme une feuille.

— Me dis pas qu'ils sont revenus pour t'effrayer ?!

De nouveau ce regard carnassier dans les yeux d'Alex.

— Non, je... Ce n'est rien.

— Arrête tes conneries, je vois bien que ça ne va pas !

Une fissure. Elle la sent lézarder dans sa poitrine, en cet instant, avant qu'il n'ajoute d'une voix où perce l'inquiétude :

— S'il te plaît, dis-moi ce qui t'arrive sinon je vais m'imaginer le pire !

La fêlure s'étend dans tout son corps. La jeune fille a la sensation de se fracturer en deux, comme si le barrage qui retenait sa souffrance depuis tant d'années venait de céder. Son corps se met à trembler comme pris de convulsions. Elle sent Alex la tenir plus fermement des deux mains. Puis elle s'effondre sur lui en larmes. Un flot continu ruisselle le long de ses joues. De légers râles sortent de sa bouche, et rapidement, c'est comme si les larmes s'écoulaient également par son nez. Elle pleure ainsi de très longues minutes, tremblante. Alex reste près d'elle, accueillant ce trop plein déversé soudainement. Il ne demande pas d'explications, réceptacle silencieux, mais ô combien contenant et soutenant, de ses douleurs passées. Le visage de Lili la pique mais le flot ne semble pas se tarir. Sa gorge se serre lui donnant l'impression de suffoquer avant de laisser une goulée d'air salvatrice pénétrer dans ses poumons. Elle a la douloureuse sensation que sa tête va exploser, ou imploser, ou les deux en même temps. Dans tous les cas, cela finira mal et dans la souffrance. Dès que le torrent semble ralentir, une nouvelle vague de pleurs la submerge à nouveau provoquant au passage un nouvel élancement dans son crâne.

Puis, aussi soudainement que le flot a jailli, il se tarit, et le calme l'envahit. Pas ce que l'on peut appeler un apaisement mais plutôt comme un épuisement de tout son être, la fontaine désormais à sec. Enfin !

Alex la tient serrée contre lui, une main dans ses cheveux.

— Tu te sens mieux ?

— Je... Je ne sais pas. Ah ?! Mais ton sweat est trempé ! Je suis désolée !!

— J'm'en fous. Raconte-moi ce qui s'est passé sinon je vais devenir dingue ! S'il te plaît !

Lili plonge son regard dans les yeux sombres d'Alex. L'inquiétude semble avoir fait place à l'angoisse. Il ne l'a pas lâchée. Il est resté près d'elle tout ce temps, elle sait qu'elle lui doit une réponse. La jeune fille ne sait pas comment les mots vont pouvoir sortir de sa bouche, mais elle se doit d'essayer.

— J'ai croisé Julie et ses copines. Elle voulait que je te laisse tranquille. Je...

— Quoi ?! Qui leur permet de se mêler de ma vie ?! Je...

— Non, ce n'est pas ça, le coupe-t-elle. Enfin, pas que ça. Elles ont utilisé un surnom qu'on me donne au lycée. Je crois que ça a fait tout ressortir. Je pensais être enfin tranquille ici. Mais ça recommence.

— Qu'est-ce qui recommence ?

— La Girafe. C'est comme ça qu'on m'appelle. C'est ce que je suis : une fille stupide montée sur échasses.

— N'importe quoi ! Je vais leur dire deux mots à ces pétasses !!

Lili sent les mains du jeune homme, toujours posées sur elle, se contracter comme les serres d'un rapace. Puis d'un coup, tout son corps se raidit sous l'effet d'une sourde colère. Il est prêt à bondir, à passer à l'attaque. C'est ce qu'elle constate en apercevant les traits haineux qui déforment son visage. Lili prend peur. Il est dans le même état que l'autre fois, et il avait failli casser le bras de ce type ! Pourtant, une partie de son être est charmée de cet élan protecteur. Elle attrape son poignet et lui dit :

— Merci. Personne n'a jamais pris ma défense. Ça me touche. Vraiment.

La cloche retentit. Il est l'heure des activités. Les deux adolescents se regardent et, comme si le temps reprenait son cours après s'être stopper, Alex dit :

— Bon, pas le temps de dormir on dirait. J'étais venu t'apporter le tome 2 de Berserk. Je le mets dans mon sac avant qu'on ne finisse dans le bureau du directeur. Et puis, Julie, j'en fais mon affaire.

Il pousse Lili par les épaules pour lui donner l'impulsion et ensemble ils rejoignent le foyer.

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