Le voyageur

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Le chemin était raide et sinueux. Pourtant, le voyageur qui marchait depuis maintenant 5 mois et 21 nuits forçait le pas, les pieds enfoncés dans la boue – la route avait été rendue instable par la tempête passée.

Le ciel était gris et menaçant ; la lumière du soleil semblait n’avoir jamais traversé les nuages de ce triste paysage. Les ombres de quelques oiseaux formaient des cercles et autres figures hostiles au-dessus de la tête de notre voyageur et piquaient parfois vers la végétation désolée qui bordait le sentier.

Au loin vers l’ouest, s’étendait la mer Baltique. Les vagues violentes s’écrasaient contre la falaise qui entourait une immense bâtisse dont les contours se dessinaient à peine dans ce ciel encore grondant. Des éclats de lumière apparaissaient ci-et-là en arrière plan, lui donnant un air sinistre, comme un avertissement.

Pourtant, c’était bien là la destination de notre voyageur. Les souliers en loques et les pieds meurtris, il arrivait péniblement devant les portes de cette demeure qui devait jadis être d’une beauté sans pareille. Mais le temps et les conditions météorologiques avaient fait son œuvre : les murs de pierre étaient effrités, le verre des fenêtres brisées, une partie des toits effondrée, et les gargouilles étaient soit éclatées dans le sol, soit dangereusement branlantes.

Le voyageur entra, non sans forcer l’un des battants, et tomba assis dans la poussière. Enfin, il s’octroya un instant de répis.

Cet endroit, il en avait lu quelques pages dans un livre oublié au fond de la bibliothèque de feu son oncle, et cela avait été suffisant pour attirer son attention. Cet oncle avait tout donné à ses fils et filles, excepté sa bibliothèque personnelle qui été revenue à ce neveu. En effet, ce dernier était d’un genre solitaire – mais pas timide –, à préférer lire ses livres qu’à étudier les étiquettes et les mariages de sa famille noble. L’oncle, qui lui avait pourtant souvent reproché son peu d’intérêt pour le clan, le poussant à trouver jeune fille à marier plutôt qu’encre sur papier, semblait avoir changé d’avis sur son lit de mort. Notre voyageur avait donc passé les deux dernières années à lire ces livres plus ou moins mystiques.

Car peu avait eu accès à cette bibliothèque avant ca et peu en savait donc le contenu. Le neveu découvrit très vite que cet oncle avait une passion cachée pour l’occultisme et les mystères et légendes rapportées des quatre coins de la planète. Peu savait également que le neveu avait en réalité, caché derrière son air calme, une soif d’aventure et d’inconnu ; c’est pourquoi, lorsqu’il lut un passage intriguant sur ce qu’enfermerait ce château, il avait décidé de s’y rendre. Bien sur, son père s’y était fermement opposé, le forçant finalement à un mariage arrangé ; il dut s’enfuir une nuit, sans le sou, mais plein d’espoir pour son avenir.

En partant, il ignorait comment il allait pouvoir s’y rendre, ni même comment il allait se présenter à la famille qui aurait du y vivre. Mais cherchant son chemin auprès de pécheurs et marchands ambulants, il avait fini par atteindre destination, et surtout par apprendre que la famille avait depuis longtemps été décimée par les accidents et les maladies. On l’avait mainte fois mis en garde contre l’endroit – non pas qu’il était réputé hanté, bien au contraire, mais parce que l’endroit abandonné, il était devenu suicidaire d’y mettre les pieds. Nombreux sont les voleurs et autres chercheurs de trésors qui ne s’en étaient pas sortis vivants – pour cause le plancher qui s’était effondré sous leurs pieds ou un morceau de toiture qui les avait assommé. Ces informations avaient redoublé l’intérêt du voyageur, car il s’était dit que ce qu’il cherchait avait encore une chance d’y être.

Secouant son manteau déchiré et terreux, il se remit sur pied et tenta tant bien que mal de se repérer dans la pénombre. Devant lui, de grands escaliers se distinguaient tandis que des couloirs se prolongeaient de part et d’autre. Sur la gauche une porte ne tenait qu’à un gond et menait à une pièce presque sans toit dont le centre ne contenait plus qu’un vaste trou. Et sur la droite, il vit un troisième couloir mais dont l’accès était obstrué par un amas de plafond tombé. Le voyageur prit la décision d’empreinter le couloir le plus à gauche. Il se rendit vite compte qu’il n’y avait qu’une série de portes menant à différentes pièces : bureaux, anti-chambres, bibliothèque… Rien qui n’avait de la valeur à ses yeux. Il prit finalement le couloir à droite de l’escalier, celui qui n’était pas bouché, mais il ne menait qu’à un salon et une serre dont le jardin devait avoir été un jour superbe.

Puisque son but était les sous-sols, il se rendit à l’évidence que leur accès était par le couloir bloqué. Les gravats étaient cependant trop lourd et depuis si longtemps en place que la poussière semblait les avoir soudé entre eux. Sa force ayant été grandement diminuée par le voyage, il n’eut d’autre choix que de trouver une seconde solution : il tenta sa chance par le trou de la première salle à gauche de l’entrée. Pour se faire, il avait déjà une corde dans sa besace, offerte par un marchand croisé sur une route lituanienne. Pour la lumière en revanche, il n’avait que quelques allumettes humidifiées.

Un éclair fit sursauter le voyageur, projetant son ombre sur un mur. Le cœur battant, il grinça des dents, ennuyé par le retour de la tempête. Quelques gouttes lui tombèrent sur le nez ce qui le poussa à se dépêcher de descendre. Il n’en vit pas le fond, mais prit tout de même la décision d’amorcer une descente. Il accrocha sa corde à une armoire massive et la déroula dans la brèche. Ses mains glissèrent de la corde. Il percuta des débris, roula la tête la première et tomba de trois bons mètres dans une eau légerèment salée. Il lui fallu quelques secondes pour reprendre ses esprits et se rendre compte qu’il n’était ressorti de cette chute qu’avec un mal de tête lancinant. En se remettant debout, il remarqua que l’eau qui avait amorti sa chute le couvrait jusqu’aux hanches. Bien qu’il n’eut jamais été impliqué dans l’enseignement biblique, il remercia le bon dieu qui, par il ne savait quel miracle, venait de lui sauver la vie.

Maintenant complètement immergé dans les ténèbres, il tâtonna les parois qui l’entourait. Elles étaient de pierres froides, mais surtout sculptées, ce qui lui assura être sur la bonne piste. Se guidant par le toucher et n’étant pas certain d’atteindre destination, il avançait avec prudence.

Était-ce la chute qui avait frappé sa tête ou le manque de nourriture qui lui jouait des tours ? Il croyait pourtant sentir des choses lui frôler les chevilles. Après quelques minutes, il atteignit une série de porte en bois qui devaient être différentes caves. Il essaya de les ouvrir, mais elles ne firent pas plus que s’ébranler. Un peu plus loin, il tomba sur quelques marches qui le firent sortir les pieds de l’eau et l’amenèrent à un espace bien plus grand mais dont le plafond semblait particulièrement bas : il sentait ses cheveux s’accrocher à la pierre rêches. Il commença par longer les murs de cette salle qui lui paraissait maintenant circulaire, jusqu’à rencontrer une table sur laquelle il balaya ses mains. Ces dernières rencontrèrent un objet qu’il n’eut pas de mal à reconnaître – et ce fut une nouvelle occasion de remercier le bon Dieu : un briquet. Après plusieurs tentatives, il arriva à faire sortir quelques étincelles qui se muèrent en petite flamme.

Il pouvait maintenant voir qu’il s’agissait bien d’une pièce ronde avec en son centre, un puits. Il y avait deux chemins pour atteindre cet endroit : celui par lequel il était arrivé et un autre à son opposé, descendant de la même manière par quelques marches.

Sur la table à ses cotés, il vit une lanterne mais dont l’huile et la mèche étaient toutes deux épuisées ; il lui fallu se contenter de sa flammèche. Il y avait également quelques instruments d’entretien comme une lame de rasoir émoussée, un blaireau et quelques bouteilles de lotion couvertes de toiles d’araignée. Au-dessus, il y avait un miroir brisé, mais dont il pouvait encore y observer son reflet : celui d’un homme fatigué, aux joues creuses, aux cheveux hirsutes et à la barbe longue jusqu’au torse. Lui qui n’était qu’un jeune homme de 19 ans, il reconnu ici un homme de presque 30.

Outre ces éléments de toilettes qui faisaient taches, il remarqua de l’autre cote du puits un sommier ronge par les mites. S’en approchant avec curiosité, il remarqua que le plafond n’était finalement pas aussi bas qu’il ne l’avait d’abord pensé, puisqu’il y avait bien une main de différence avec le haut de son crane. Il mit sa première impression sur le compte de la chute qui l’avait bien esquinté.

Ce sommier portait encore un fin matelas en lambeau. Sur son cote, une bassine prônait avec de l’eau stagnante.

Comme il n’y avait rien d’autre dans cette pièce, il s’approcha enfin du puits. Il était entouré de pierres rouges grossièrement empilées et il n’avait pas de fond.

Il était donc déçu. L’objet qu’il cherchait n’était pas là et tout ce qu’il avait pu trouver fut le repère abandonné d’un miséreux. Peut-être devait-il trouver un moyen de forcer les caves ? Ou peut-être que le sablier qu’il convoitait n’était finalement qu’une légende ? Ou bien avait-il déjà été dérobé ?

Il entendit un couinement derrière lui. Alors qu’il s’attendait à voir un rat passé, il faillit basculer dans le puits en posant les yeux sur un amas de rongeur qui l’observait de milles yeux. Désemparé par sa vision, il resta figé pendant ce qu’il lui sembla plusieurs longues minutes, mais comme aucun mouvement n’était perceptible de leur part, il se décida à faire un pas dans la direction opposée. Avec un peu plus d’attention, il remarqua qu’il ne s’agissait pas seulement de rats empilés, mais aussi de chauve-souris qui pendaient au plafond.

Il perdit son sang froid et dérapa vers la sortie la plus proche, mais les monstres lui barrèrent soudainement le passage et l’acculèrent contre le puits. Bientôt ils furent si proche qu’il n’eut d’autre choix que de sauter.

Alors qu’il se croyait mort, le vent se mit à souffler violemment et sa chute fut amortie par une tornade. Il se sentait toucher le sol, mais la rafale était si agressive qu’il ne put ouvrir les yeux. Mais même lorsqu’il n’y eut plus aucun courant, il ne put se résoudre à jeter un œil autour de lui, de peur de retomber sur une vue dérangeante. De toute manière, le briquet était tombé de ses mains lors de la chute.

Des lumières commencèrent à danser devant ses paupières et une chaleur grandissait. Cette dernière devenait de plus en plus dérangeante, à le faire suer à grosses gouttes. Ce fut la résonance d’un grognement qui poussa son instinct à jeter un coup d’œil.

Autour de lui, des flammes léchaient son manteau. Le paysage n’était pas le fond d’un puits, mais un désert au ciel orange. A quelques mètres de lui, renverser sur le sol, se trouvait un sablier grand de 30 centimètres, et flottant au-dessus de ce dernier, un visage noir, géant, le fixait d’yeux cramoisis.

Le voyageur ne put retenir un rire cynique.

« Tu es donc la ! Devant moi ! »

Le visage resta impassible.

Les yeux du voyageur se posèrent à nouveau sur le sablier et d’un élan d’énergie, il se précipita dans sa direction. Le ciel s’assombrit soudainement ; il l’empoigna et se sentit projeté au sol. En un clin d’œil. Il n’eut plus de flamme, plus de visage, plus de désert, mais le retour de la route boueuse et des oiseaux qui paillaient.

Il ria de bon cœur et approchant le sablier de sa bouche, susurra ces mots :

« Ramène-moi à la maison. »

L’instant suivant, le chemin de boue était à nouveau abandonné ; le oiseaux continuèrent leurs volées infernales et les vagues de se fracasser contre la roche sous la demeure obscure.

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