"Mindless"

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La bête

Parmi le royaume et de tous les animaux des Terres d'Occident, il y en avait un célèbre pour être... et bien, pour être ce qu'il est. Est-il possible de le dire sans être trop cruel ? Car on le dit inconscient, ahuri, étourdi, bêta, baudet sans être un (vrai) âne, idiot le plus complet et, comme son nom l'indique, bêeêeête à manger du foin, et pourtant il n'en mange pas !

De cette grande famille incomprise qui peuplait les vastes prairies du continent, Agnelle en était l'une des plus jeunes et sans doute des plus jolies. Car, il faut bien le dire, le charme des agnelles avait ce petit quelque chose d'ingénu, cette douce innocence qui plaît tant aux prédateurs paresseux. Et bien sûr, ça, Agnelle le savait. Boucle blonde, peau blanche et lèvres de rose, ses grands yeux pouvait faire fléchir le monde.

Cette même demoiselle marchait ici d'un pas décidé, grimpant sur les rochers avec l'agilité d'un bouquetin, fouillant du regard l'horizon à la recherche d'un signe. Elle n'avait pas perdu l'un de ses moutons -car comme chacun le sait, Agneaux et Agnelles sont de formidables bergers, mais cherchait quelque chose qui lui manquait. Cela datait déjà de quelques soirs, alors qu'elle faillit mourir de peur... et de bien d'autres choses encore. Un Loup était venu la voir, un loup terrible, un loup méchant qui l'avait dévorée et laissée dans la grange sans autre forme de procès, comme toute pastorale qui se respecte. Mais il ne faut pas prendre Agnelle pour plus bête qu'elle n'est... Car ce qui était arrivé, elle l'avait pleinement décidé. Bien sûr, on lui avait parlé d'un étrange criminel qui hantait les bois, et bien sûr, on a lui avait parlé de sa tignasse grise, de sa longue fourrure et de ses canines pointues. Une Agnelle ne pouvait-elle donc pas un peu rêver ? Le danger ne lui faisait pas peur ! Elle avait réussi donc à le charmer, à l'amener dans sa propre grange bien préparée, et il était tombé dans ses filets. Mais qui donc pouvait résister aux charmes de la douce bergère ? Certainement pas un loup affamé !

Oui, mais voilà, le monstre avait filé. La Bête. Quel imbécile ! se disait-elle, les joues rouges encore des souvenirs de la nuit. Ne pouvait-il donc pas rester un peu plus longtemps, profiter de ses côtés et de la nourriture apportée ? Son cœur était lourd, ses yeux mouillés par son désir insatisfait. Alors elle était partie, las, esseulée, et cherchait son prédateur préféré. Les doigts serrés sur son bâton de marche, les grelots de sa chevelure tintant dans le souffle du vent, elle continua à marcher tout droit vers la pleine campagne bordant le palais. Elle comptait bien lui faire payer son inconstance !

Le soleil commençait à se coucher, et l'ombre de la forêt s'abattait sur la plaine. Seule encore la frêle silhouette de la jeune fille semblait briller dans la pénombre. Ce n'était plus un temps à laisser un mouton dehors... D'ailleurs, en y réfléchissant bien, on lui avait parlé de quelques jeunes filles qui avaient mystérieusement disparues. Disparues ? Quelles sottes ! Elle, elle avait vaincu un loup ! C'est qu'elle sait y faire avec les prédateurs ! Et donc, elle ne risque totalement rien.

Soudain, un bruit. Un frisson parcouru les buissons alentours. Agnelle se retourna, jeta un œil sur les derniers rayons rouges du soleil et glissa l'une de ses longues mèches derrière l'oreille. Le vent lui fouettait le visage. Peut-être était-ce lui qu'elle entendait hurler à travers les branches ?

Soudain, un craquement. Si ce n'est pas le vent, ça doit être un animal. Un tout petit animal, gentil et inoffensif. Un lapin ?

Soudain, un mouvement. Agnelle déglutit, jeta un regard vers la ville qui n'était finalement pas si loin. Elle recula, prête à en découdre. Une main noire et griffue apparue de l'ombre, lui attrapa la bouche. Elle essaya de crier, mais en vain. Une autre main s'enroula autour de sa hanche, lui bloqua son corps tout entier. Elle voulut donner un coup de pied, mais une douleur sourde à l'épaule la figea. Impossible de sortir, impossible de fuir, ses paupières lui semblèrent lourdes alors que la main gantée s'écartait lentement de son visage. Elle se sentit tirée dans l'ombre, et puis, plus rien.

De la petite agnelle, on n'en vit plus une boucle. Au petit matin, une étrange rumeur gonfla dans le village.

« Vous savez quoi ?! Il paraît qu'une fille a encore été enlevée !

— Oui ! Il paraît même que c'est la bergère qui s'est perdue...

— Perdue ? Elle n'est pas si bête !

— Et puis, et puis... Et puis il parait même qu'on a retrouvé sa houlette et l'une de ses chaussures !

— Quoi ?!

— Oui, ils étaient au milieu d'une prairie et...

— Et ils étaient tâchés de sang !

— Mon dieu, mais c'est horrible !

— Vous savez quoi ? Je crois qu'elle s'est vraiment faite dévorer, cette fois...

— ...

— ...

— C'est bête, je l'aimais bien.»

Et la vie sembla reprendre son cours.

(Jusqu'à la suite des événements... ;) )

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