"Frail"

2 minutes de lecture

"Frêle"

La meute hurlait à travers l’ombre de la forêt, avançait à l’aveugle vers les odeurs du gibier terrifié. Pourtant, un jeune limier, l’œil vif, les oreilles droites, s’était déjà écarté, attiré par un parfum étrange. C’était un bel homme agile et vigoureux, à la crinière aussi rousse que les flammes, aux muscles élancés et aux traits élégants. Il s’était approché du chant d’une onde pure, coulant à travers les fougères et la mousse dense. Le bruit d’un tintement, le soupire d’une femme : quelqu’un se cachait donc derrière le rideau de feuille… Reniflant l’air chargé de sève et d’humidité, le jeune cerbère écarta doucement les herbes et cru voir l’apparition la plus charmante qui soit.

C’était Cerf, qui se chargeait encore de ses nouvelles trouvailles : colliers d’or, bracelets de topaze et parures magnifiques… Tirés de l’une de ses cachettes, ils brillaient de mille feux entre ses doigts. Et la belle rajoutait un nouveau bijou dans ses bois décorés, se mirait dans l’eau avec satisfaction.

Mon dieu, qu’elle était belle ! Grande et longiligne, elle ressemblait à une branche parsemée de fleurs. Ses yeux étaient plus profonds que le bois d’un chêne, sa chevelure ressemblait à un rayon de soleil sur un arbre vert. Une ramure trônait au sommet de son crâne telle une couronne, où pétales et joyaux s’emmêlaient avec grâce. Le jeune chien ne put retenir un soupir d’admiration, mais Cerf ne l’entendit pas.

La dame avait l’esprit ailleurs, continuait d’admirer le reflet à ses pieds. Que ses bois étaient beaux ainsi parés, se disait-elle avec fierté. Mais mon dieu, que le reste faisait pitié ! Tant bien que mal, elle enroulait ses poignets d’anneaux, ses chevilles frêles de chaînes précieuses. Mais rien n’y faisait : ils étaient si menus, si fins qu’aucun bijou ne pouvait y rester sans glisser immédiatement à terre. C’était peine perdue. Et la belle en était fort agacée.

« Comme tu es jolie ! » osa pourtant le jeune voyeur, dans un souffle passionné.

Aussitôt, la demoiselle se redressa, fixa l’homme un instant. Puis, d’un seul geste, elle s’éclipsa, fila tel le vent. Elle avait pris la fuite !

Un grondement, sourd, surpris. C’était le guerrier qui, d’abord immobile, sentait son sang bouillir dans ses veines.

Un premier hurlement ; il appela ses amis. C’était l’heure de la chasse !

Un deuxième, tout proche. Le cerf courait sur ses frêles jambes élancées. Mais elle savait qu’elle pouvait les distancer.

Soudain, une douleur, un coup en arrière. L’horreur ! C’était l’un de ses bois qui s’était pris à un feuillage, un bijou enroulé autour de branchage. La demoiselle poussa un cri, réussit à se défaire. Mais aussitôt, elle s’emmêla à nouveau.

Les chiens n’étaient plus très loin, elle pouvait entendre leur course sur le sol moelleux, distinguer leurs allaitements affamés, sentir leur souffle chaud sur sa peau…

Sentir la main vigoureuse du premier limier, ses crocs s’abattre sur son cou fébrile. Et les autres, à leur tour, bondir…

Et dieu seul sait ce qui arriva ensuite, dans l’ombre vert de la forêt.

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile ;

Et le beau souvent nous détruit.

Ce Cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ;

Il estime un bois qui lui nuit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Alyciane Cendredeau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0