"Ripe"

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«Mûr »

Renard regardait le chien de garde devant sa cage. Il faisait des allés et retours, semblait s'ennuyer, la mine endormie, les oreilles basses. Cela faisait des semaines qu'il avait l'avait étudié : le chemin de sa ronde, ses compagnons qui prennent la relève, son nom bien sûr mais aussi son âge, ses goûts et sa vie toute entière. Il était le plus prédisposé à l'écouter. Pas à le délivrer, bien sûr, mais tout du moins à lui offrir la seule chose qui lui manquait. La dernière petite chose qui lui permettrait enfin de sortir d'ici. Car il n'était pas resté ici les bras croisés... Le filou avait une réputation à redorer ! L'idée était au point, le plan bien mûr. Le renard s'approcha, attrapa les barreaux en passant presque son blanc visage entre ces derniers. Puis il chuchota.

« Hey, l'ami ! J'ai quelque chose à te dire ! »
Le chien se redressa tout à fait, se tourna vers le prisonnier. Il gronda d'abord, agacé.
« Que me veux-tu, le renard ? Je n'ai pas de temps à perdre avec toi.
-Ha bon ? Que peux-tu donc bien faire de mieux pendant tes cent pas devant mon cachot ? »

Le garde ne répondit pas. Après-tout, le rouquin avait raison : que pouvait-il bien faire d'autre, prisonnier lui aussi pendant ses heures de travail dans ce souterrain sordide et humide ? Il se garda tout de même d'approuver. Renard continua, un léger sourire sur les lèvres.

« Allons, tu ne risques rien. Je souhaitais juste te poser une question. Sais-tu s'il fait jour ou nuit dehors ? »
Le dogue sembla surpris, voulu regarder un peu plus loin vers une lucarne, ou peut-être la porte de sortie. Mais, Renard le savait, aucune lumière n'arrivait jusqu'ici.

« Le jour, il me semble...
-Vraiment ? Tu es sûr ? Il me semble que cela fait bien 5 heures que tu es ici à tourner en rond. »

Le chien hésita, secoua la tête enfin.

« Non, non... Sinon l'heure de relève serait passé.
-Je crois bien, oui... » continua Renard d'un air inquiet.

Le jeune homme laissa un court silence s'installer, puis pointa une petite flaque d'eau où tombe, une à une, quelques gouttes du plafond de pierre.

« Tu vois, j'ai compté plus de dix-huit milles gouttes tomber ici.
-Dix-huit milles ? Tu penses vraiment que je vais te croire ?
-Je n'ai pas d'autres choses à faire... C'est ma façon de passer le temps.
-Et alors ?! »

La garde commençait à s'énerver.

« Crois-moi ou non, mais dix-huit milles gouttes ici, c'est une par seconde. Dix-huit milles secondes, c'est cinq heures de passé !

-Humf... »

Le geôlier se figea, comme s'il essayait de compter. Mais Renard continua :

« Tu sais, je dis ça pour Dalma. Celle dont du m'a parlé hier...
-Je t'ai parlé d'elle hier ?
-A moi ou à un autre, je ne sais plus... Est-ce si important ? »

Le chien fronça le regard, presque inquiet.

« Dois-je te rappeler ton rendez-vous avec elle à 20 h précisément ? Et que si personne ne vient te chercher...
-Quoi ?! Tu veux dire que je suis en retard ?! »

Renard hocha la tête d'un air grave.

« 5 h de passé, et personne qui vient te chercher. Comme par hasard !
-Quoi ? Pourquoi me feraient-ils ça ?!
-Le prochain garde, c'est bien ton ami aux cheveux blancs, c'est ça ?
-Oui...
-Celui qui disait justement qu'elle était très jolie, je me trompe ? »

Un silence encore s'installa, puis le cœur du chien fit un bond.

« Ha, bougre, le chacal, je vais le... !
-Tu ne devrais pas trop tarder, au risque qu'on te chipe ta belle... »

Le garde sembla perdu un instant, jeta un œil vers le tunnel de sortie, puis vers Renard, et à nouveau vers l'extérieur. Son sang bouillonnait, et sa raison déjà n'était plus là. Renard prit un air chaleureux, ses yeux plissés dans un très grand sourire.

« Ne t'en fais pas ! Où penses-tu que je puisse aller ? Tu n'as qu'à monter, appeler celui qui est censé te remplacer. Cela ne te prendra que quelques minutes. »

Le chien hésita encore, semblant flairer le piège.

« Tu m'as l'air bien pressé que je parte... » constata ce dernier.

Renard hocha les épaules d'un air désintéressé.

« C'est que... je trouve ça pas très aimable pour toi. Tes compagnons n'ont aucun scrupule... Et peu importe ce que l'on dit de moi : moi j'en ai. Je voulais juste t'aider... »

A nouveau, le garde gronda, soupira presque de désespoir. Il n'y avait aucun doute qu'il croyait le Renard.

« Ecoute. Si cela peut te rassurer, tu peux m'attacher. Menotté et en cage, je ne pourrais même plus me lever.

-Vraiment... ? »

Renard hocha la tête d'un air rassurant.

« Tu sais, cela fait de mois que nous restons ensemble. On peut presque dire que nous sommes amis. »

Le chien de garde ne prit pas le temps de plus réfléchir et trouva que c'était une bonne idée. Il attrapa les fers à sa taille et s'approcha de Renard. Le rouquin tendait ses bras à travers la grille, prêt à se laisser faire. Clic-clac, voilà le goupil attaché. Enfin rassuré, le dogue vérifia une dernière fois la porte de la prison, puis s'éclipsa au pas de course.

Renard se crispa : il n'avait que quelques minutes avant que le chien n'atteigne la surface et découvre la supercherie. Quelques minutes, cela suffirait. D'un seul geste, sa main droite se désarticula tout à fait. Autrefois blessée par un certain chat jaloux, elle en avait gardé les séquelles. Ma foi, c'était bien pratique dans ce genre de cas. Il passa la chaîne vers lui, se dirigea vers la porte verrouillée. Pourtant, il ne jeta pas un seul regard à la serrure, bien trop complexe à forcer. Et d'ailleurs, il n'avait rien pour le faire...

Toujours menotté de la main gauche, il enroula les fers tout en bas de la porte, à l'un de ses côtés. De toute ses forces, il tira vers le haut, agrippa les menottes et se pencha de tout son poids. Un grincement, et puis un bruit sourd : la porte était sortie de ses gonds. Légèrement, à peine de quoi s'entrouvrir, mais assez pour laisser passer un fin renard affamé. Le jeune homme se faufila alors et jeta un œil vers la sortie.

Un chien de garde allait avoir des problèmes...

Le rusé s'enfonça enfin dans le cœur des souterrains sans s'inquiéter plus à ce sujet.

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