CHAPITRE 2 - CYRIL

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* * *

Garance a quitté Shanghai en compagnie de Louis.

Ils sont maintenant à Taïwan, plus précisément à Taipei, dans un Relais & Châteaux du nom de Villa 32. Elle aurait préféré une suite avec des futons, mais il ne dort convenablement, que dans un lit !

Pas le temps d’aller au Huashan 1914 Creative Park ou de visiter le Lungshan Temple, mais un passage au 101 Shopping Center, pêché mignon de Louis qui aime habiller et déshabiller sa créature. Elle était radieuse pour le dîner d’hier.

Louis est parti signer ses contrats, puis déjeuner avec ses clients.

Garance a profité du spa puis d’un massage sous des mains divines. Après un plat de linguine aux truffes blanches, dans la quiétude des jardins, elle ouvre son ordinateur…

* * *

CHAPITRE 2 - Cyril

 La morsure du froid de ce mois de janvier te laissait indifférente alors que la porte de l’hôtel se refermait. Tu avais cependant resserré le col de ce manteau pour faire le point de cette journée, de ta première journée.

 Le premier qui s’imposait, aussi inéluctable que tangible, était les quatre cents cinquante euros qui se trouvaient dans ton sac. C’était un fait, et ton résultat, celui à l’image de ta chatte, bien trop sensible, qui miaulait et griffait à la barrière de ton string noir à paillettes de strip-teaseuse. Cet argent aurait pu te griser, emporter ton sourire en dépenses somptuaires. Tu n’y voyais que ton quotidien.

 Pour le second, tu avais pleuré cet après-midi, ensuite de ton premier client, c' était bien le mot adapté. Même si tu étais cachée derrière une annonce d'escorting, tu prenais conscience de cette évidence, d'être une prostituée, réellement, depuis aujourd'hui. Tu avais loué ton corps, ta jeunesse, tu avais mis un tarif sur la disposition de ta chair.

 A cet instant, les premières phrases d’un de ces livres que tu avais commencé sans le terminer, comme une préparation à ton avenir, s’imposaient à toi, le « Journal Intime d’une Callgirl » :

« La première chose que vous devez savoir, c’est que je suis une pute.

Je n’emploie pas ce mot à la légère. Je ne l’utilise pas pour « secrétaire », « employée sous-payée » ou encore pour « jeune pigiste travaillant dur pour gravir les échelons ». Pour beaucoup de mes amis, travailler comme intérimaire ou vendeuse équivaut à de la prostitution. C’est faux. Je le sais, j’ai fait de l’intérim et j’ai baisé pour de l’argent, et cela n’a rien à voir. Il y a un monde entre les deux ».

 Cependant sur ta carte d’identité, il n’était noté ni Belle de Jour, l’autrice de ce livre, ni Catherine Deneuve, dans le film dans le film éponyme. En cette première journée, une nouvelle prostituée était née, une vraie, de celles dont on pouvait parler avec un rictus qui déformait la bouche de répugnance. Dans un élan d’orgueil, tu te convainquais que, derrière ces regards contempteurs, il y avait aussi, pour tous, un sentiment d’interdit et d’avidité, une barrière qu’ils aimeraient à oser franchir. Tu l’avais franchie, et te faire à cette idée au moins pour essayer de garder ton identité. Quant à ta fierté… tu en aviserais plus tard ! Certaines disaient qu'elles n'avaient pas eu le choix, toi, tu l’avais fait, enfin…

 Tu avais eu dix-sept, quelques jours plus tôt, en un vingt et un janvier qui avait résonné comme le glas. Même avec cette fausse carte d'identité qui te vieillissait de deux ans, tu peinais à l’assumer, ce choix, aussi simple et cru qu’il pût paraître. Une citation qu’on te répétait souvent était venue, elle aussi comme un rappel : « le premier pas indispensable pour avoir ce que vous désirez dans la vie est : décidez ce que vous voulez ». Ton corps peinait cependant à traduire en lui tous les errements de cette journée. Plus complexe encore, était l'imbroglio émotionnel qui tempêtait sous ton crâne. Tout ce qui en ressortait, là, à ce moment, était que tu avais fait le premier pas, toute seule.

 D'une certaine façon, Cyril aura été ton premier client sur un chemin qui échappait encore à ton contrôle. Avec sa quarantaine entamée, il s'offrait un extra, comme un énième accroc dans un mariage où chacun picorait dans d’autres assiettes tout en préservant une façade sociale. Il n'arrêtait pas de parler pendant que tu le suçais ou pendant qu'il te récurait le minou au papier de verre. Tu ne mouillais pas, était-ce l’angoisse de cet instant premier ?

 Tu avais mis du temps à te composer un look, malgré la maigreur de ton dressing. Au moment de frapper à la porte de cette chambre, tes genoux jouaient des castagnettes, ton cœur, un rock endiablé, ta langue, aussi desséchée qu’un vieux parchemin. Ces sensations n’avaient fait que grandir et nourrir la boule qui grossissait dans ton ventre. Comme pour retarder l’échéance, il avait été nécessaire de reprendre ton maquillage, aussi tremblant que tes mains qui se refusaient à trouver le trou de ta serrure.

 Pour un premier client, Cyril était ce que tu pouvais espérer de mieux. Il t'avait à peine regardée, alors qu'il refermait la porte de la chambre, un peu comme un tombeau sur ta destinée. Il était indubitablement un habitué des prostituées. L'argent glissé dans ta main, il te dirigeait déjà vers la salle de bain d’une main sur tes fesses. « Pas de temps à perdre reviens à poil » t’avait-il dit. Tu aurais voulu mieux cacher ta pudeur en te présentant à lui, alors qu’il t'attendait sur le lit en tenue d'Adam, son sexe commençant à hisser le drapeau.

 Il te regardait avec ses yeux bleus et ronds, pétris d’un appétit qui aurait pu te transformer en petit chaperon-rouge. Il était plutôt grand. Sa quarantaine bedonnante te laissait supposer qu’il était plus adepte du canapé que de la salle de sport. Un bras en travers de ta poitrine, l’autre couvrant gauchement ton pubis de sa main, tu t’étais approchée, tremblante, ne sachant pas trop quoi faire.

Par habitude, il s’était fait directeur.

« Suce-moi » ;

Tu l’avais sucé, n’intellectualisant plus rien, juste là pour obéir à ses demandes et lui donner du plaisir.

« Tourne-toi que je goutte ta chatte, suce ma bite » soixante-neuf ;

« branle moi avec tes nichons, serre les plus » branlette espagnole ;

« Aval ma queue » ;

Il t’avait tenu la tête pendant que sa bite chatouillait ta luette, que tu bavais pour en faciliter le passage et ne pas vomir. Ton estomac avait joué au yo-yo, tes yeux étaient larmoyants.

« Tourne-toi, je vais me finir en levrette » ;

Ses coups de boutoirs, le drap préparait une recette aux effluves présentes sur ton visage pendant que ta voix apportait ce que tout homme attendait. Tu simulais sa virilité d’une voix en notes d’abandon, rythmes de spasmes, stridulant onomatopées et encouragements.

« A genoux, ouvre bien grand »

Il en terminait en éjaculant sur ton visage puis en enfournant sa bite dans ta bouche tout en te disant :

« nettoie salope »

Sous son regard de mâle dominant satisfait, ta bouche avait terminé à dégorger, et ta langue à reluire le membre maintenant reposé.

« Bonne fille » t’avait-il dit.

 Dans le timing, Cyril t’avait renvoyé à la salle de bain. Tu avais fermé la porte pour aller vomir ton dégoût. Dans tes larmes, tu te répétais, comme un mantra, « tu as choisi ». Un « grouille, j’ai pas qu’çà à faire » t’avait fait sortir de ta litanie. En te relevant, la glace t’avait montré un visage souillé, celui d’un Pierrot dont le maquillage aurait coulé, le sperme en plus. Tu ne pouvais couper à une douche.

 L’eau salvatrice avait ruisselé sur tes lèvres vaginales râpeuses. Vigoureusement tu lavais ta peau pour ôter un body-painting d’une couleur dénommée Cyril. Pourtant, quelque chose faisait sens à cet instant dans ton esprit. Donner ton corps de cette façon venait de te libérer de toute fausse pudeur, mais pas encore de tout jugement sur ton activité.

 Tes cheveux courts avaient rapidement été séchés. Tes peintures d’escort, constituées d’un smokey-eyes anthracite léger, pour mettre en valeur tes yeux vert bouteille, tes lèvres d’un rouge carmin et enfin un peu de blush sur ton teint livide de Morticia Addams, avaient repris place. Tu avais enfilé ton cache-sexe, ton soutien-gorge noir, tes collants et ta robe en maille à colle-boule de la même teinte. Le tout était ceins d’une ceinture rouge grenat, coordonnée à tes échasses de grue.

 En sortant de la salle de bain, comme si elle pouvait se rallonger, tu tirais sur ta robe, perdue dans ce contexte inconnu. Comme il te fallait en sortir, sur un roulement de hanches, tu te décidais à aller vers Cyril pour lui laisser un baiser assorti d'un « à bientôt », plutôt lascif. Il avait levé simplement la main mimant un « au revoir », les yeux rivés sur son portable pour t'indiquer qu'il en avait terminé avec ton évaluation, tout en frappant l'écran d'un dernier coup de pouce.

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