Journal crypté

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Comme un obscur et lointain avertissement, un orage approche de la côte dans un ciel devenu cotonneux. En tendant l'oreille, je commence tout juste à discerner le tonnerre jusque là silencieux. Les vagues s'abattent avec plus de fracas sur la grève à mesure que la houle grossit et teinte de gris les flots turquoises du Pacifique.

Sous son épaisse couronne blanche, son cœur de ténèbres me renvoie sans détour à l'affaire qui nous a poussés, Shirley et moi, jusqu'à cette hacienda isolée dans le sud du Mexique.

Il pleuvait fort sur San Francisco ce jour-là. Des nappes de pluie, sous de bas nuages, remontaient depuis la baie et semblaient vouloir noyer la ville sous des trombes d'eau. Une journée ordinaire malgré cette météo triste de la mi-décembre.

Quand je garai ma Ford 49 devant mon bureau, je remarquai deux hommes sous l'auvent de l'épicerie où j'allais souvent manger à midi. Manteaux et chapeaux noirs, mines sombres. Une tension stricte entre les épaules les faisait ressembler à des agents fédéraux.

À nager régulièrement dans leurs eaux et celles des truands de la ville, je savais que leur présence ici ne devait rien au hasard. Mais, sur les dernières semaines, je ne traitais aucune affaire qui pouvait les intéresser. Je ne tarderai pas à avoir la réponse ; aussi montais-je sans attendre à l'agence. En passant, je récupérai mon courrier dans la boîte aux lettres. Je fus étonné de voir mon journal déborder de la fente, visiblement plus épais que d'habitude.

Au milieu des factures, glissé dans le pli de mon San Francisco Chronicle, je trouvai un colis marron. En papier kraft marron, épais et tenu par un morceau de ficelle, il ressemblait à un petit paquet, de la taille d'un petit livre. Étrange, me dis-je. Sans réfléchir, je le remis dans le journal et la cachais au milieu du reste des enveloppes.

Au bruit de la cafetière, je compris que Shirley venait d'arriver.

 " Ah, bonjour, Sam ! Vous tombez bien.

 - 'jour, Shirley. Il est à peine neuf heures et déjà du boulot ?

 - Depuis que j'ai ouvert, quelqu'un a déjà appelé deux fois pour savoir si vous étiez arrivé. Un certain Mr Rose.

 - Connais pas. Prévenez-moi s'il rappelle.

 - Rhoo, Sam ! Vous pourriez attendre que le café ait fini de couler !

 - Désolé, miss ! "

Elle sourit. Tel était notre petit jeu du matin. Je lui laissai le courrier mais gardai le journal et le petit paquet. Je posai le tout sur mon bureau.

À ma table de travail, j'ouvris l'enveloppe brune. Je trouvais à l'intérieur un carnet en cuir brun et une feuille à en-tête du Fairmont Hotel.

Sam,

j'ignore où je serai quand tu liras ces lignes. J'espère que j'aurai réussi à traverser jusqu'au Mexique mais il est peu probable que j'y parvienne si je garde ce carnet.

Il renferme des secrets qui attisent la convoitise de bien des personnes et beaucoup d'entre elles ne sont pas bienveillantes. Loin de là.

Les magouilles que nous avons montées, toi et moi, en Europe avec l'OSS ne sont que des amuse-bouches en comparaison du cirque soulevé par ce carnet.

Je sais que nous ne sommes plus en contact depuis un bail mais j'en appelle à notre vieille amitié et à ton sens des responsabilités pour faire bon usage de ce journal.

Tu es le seul en qui je peux avoir confiance.

Joe Crocker

Joe ? Je n'eus pas le temps d'y réfléchir davantage que la porte du bureau s'ouvrit ; Shirley passa la tête :

 " Sam ? Mr Rose pour vous.

 - Au téléphone ?

 - Non, ici.

 - Faites entrer, je vous prie. " l'invitai-je en dissimulant l'almanach sous le San Francisco Chronicle.

Il paraissait bien pressé car il bouscula presque Shirley pour entrer dans mon bureau. Entre sa brusquerie et un je-ne-sais-quoi d'insaisissable dans ses manières, j'éprouvai aussitôt une vive antipathie à l'égard de ce personnage.

Il était petit et replet. Une fine moustache à la Clark Gable apportait une touche d'élégance à un visage d'enfant gâté. Il posa son chapeau couleur cannelle sur le bord de ma table de travail mais garda ses gants assortis. Avant que je l'y invite, il s'assit dans l'un des fauteuils.

 " Que puis-je pour vous, Mr Rose ?

 - Je suis à la recherche, Mr Goodspeed, d'un document qui m'a été dérobé.

 - Je vois. Et vous pensez que je suis à même de vous le restituer ? Davantage que la police ?

 - Tout à fait, Mr Goodspeed. Car, voyez-vous, c'est l'un de vos amis qui l'a volé.

 - Expliquez-vous.

 - Joseph Crocker, c'est un nom qui vous dit quelque chose ?

 - Oui, c'est une vieille connaissance. C'est quoi, ce document dérobé ?

 - Un recueil de données ésotériques impossibles à lire sans la bonne clé.

 - Je n'ai pas vu Crocker depuis des années mais je ne me rappelle pas qu'il était versé dans les sciences occultes.

 - Pas même pendant vos périples en Allemagne ? "

Il avait asséné ça, une lueur moqueuse dans le regard. Je me demandai d'où il tenait ses informations, ce qui me renvoyait directement à la lettre de Joe et à sa mise en garde. J'avais soudain l'impression de me retrouver sur le plongeoir branlant d'un bassin infesté de requins. Je répétai ma question :

  " Non, pas même à l'époque. Que puis-je pour vous, Mr Rose ?

 - Avez-vous vu Mr Crocker récemment ?

 - Non.

 - Vous a-t-il contacté par quelque moyen ?

 - Non plus. À ma connaissance, aux dernières nouvelles, il bourlinguait plutôt entre l'Angleterre et la côte Est. Qu'est-ce qui vous fait croire qu'il serait venu jusqu'à San Francisco ?

 - J'ai des hommes sur sa piste depuis Providence. Ils ont perdu sa trace à Las Vegas. Ils nous a paru alors évident qu'il chercherait à entrer en contact avec vous.

 - Au risque de vous décevoir, Mr Rose, je n'ai aucune nouvelle de Joe depuis sept ou huit ans. Et je doute qu'il réapparaisse comme ça, en claquant des doigts dans ma vie.

 - Je vois. Je vais vous laisser un numéro où vous pouvez me joindre si jamais vous apprenez quelque chose, Mr Goodspeed. " dit-il en levant un doigt impatient. Il plongea la main dans la poche intérieure de son manteau pour en ressortir une petite carte de visite.

 " Vous pouvez me joindre nuit et jour à ce numéro, Mr Goodspeed. J'insiste sur l'importance que représente ce carnet à mes yeux.

 - S'il est si urgent pour vous de le récupérer, pourquoi ne pas avoir contacté la police ou même le FBI ?

 - Parce que nous préférerions régler cette affaire le plus discrètement possible. Tous les yeux qui voudraient se poser sur ces notes ne sont pas les bienvenus dans notre cercle. "

" Tu m'en diras tant, petit con prétentieux ! " pensai-je. J'offris à Rose mon plus beau sourire et l'assurai de ma collaboration active. Il me jeta un dernier coup d'œil un peu appuyé puis quitta mon bureau.

La pluie avait cessé. Des nappes de brouillard remontaient à présent de la baie et enveloppaient la ville d'un voile de silence. En accord parfait avec le mystère épais dans lequel venait de me plonger Joe Crocker. Charge à moi de tirer ça au clair.

J'observai Rose monter dans une conduite intérieure noire et disparaître au coin de la rue. Je restai un moment à regarder la brume danser mollement autour des immeubles. Un bon nombre de pensées se bousculaient dans mon esprit.

Quelle mouche avait piqué Crocker pour qu'il plonge dans des cercles aussi viciés et troubles ? Des dettes de jeu ? Une magouille quelconque ?

Et Rose ? Comment était-il au courant pour nos liens avec l'OSS à la fin de la guerre ? Avait-il accès à des données classifiées ? J'allais devoir réactiver d'anciennes relations sans toutefois attirer trop l'attention. Il me fallait d'abord en comprendre plus sur ce carnet.

Je relus la lettre de Joe. Puis j'attaquai dans les arcanes cryptées des feuillets. Les notes ne ressemblaient à aucun code que je connaissais. Je passai une bonne partie de la matinée à essayer de déchiffrer ces runes mystérieuses.

Vers midi, je renonçai à en tirer quelques infos par moi-même. Je glissai le carnet dans la poche intérieure de mon manteau puis je téléphonai à mon ancien chef de service au sein de l'OSS, le colonel Pabodie. Sa secrétaire m'informa de son indisponibilité à cause de rendez-vous extérieurs mais elle m'assura qu'elle transmettrait mon message au plus vite.

À Shirley, je dis :

 " Je sors manger. Vous voulez bien me trouver le numéro d'un spécialiste des civilisations anciennes sur le campus universitaire, s'il vous plaît ?

 - Je vais vous trouver ça.

 - Je vous ramène quelque chose à manger ?

 - J'ai ce qu'il faut, Sam. Merci. "

Les deux chiens de garde étaient toujours là ; maintenant ils guettaient depuis la devanture de la fleuriste sur le trottoir d'en face. Leurs regards acérés me scrutaient, ils ne dissimulaient même pas leur intérêt à mon égard. Sans doute que Rose, s'ils travaillaient pour lui, leur avait dit d'augmenter la pression. Ou bien ils œuvraient pour quelqu'un qui se tenait encore dans l'ombre et se fichaient d'être repérés.

Dans l'épicerie, alors que j'attendais mon repas, je téléphonai au Fairmont Hotel. Il ne s'était enregistré ni sous ce nom-là ni sous aucun des pseudonymes que je lui connaissais. J'allais devoir m'y déplacer avec le risque que cela représentait.

Sandwich et soda dans un sac en papier kraft sous le bras, je retournai au bureau. Shirley m'avait obtenu un rendez-vous avec le professeur Akeley à Stanford. Je partis aussitôt.

Les deux gorilles m'emboîtèrent immédiatement le pas. Je les baladai un moment dans les venelles du quartier puis, à un feu rouge, je les plantai là. Ils tentèrent de me suivre mais un poids lourd les empêcha de manœuvrer. Je bifurquai dans les rues abjacentes. Ils ne réapparurent pas dans mon rétroviseur ; aussi me rendis-je par la voie rapide jusqu'au campus universitaire.

Le professeur Henry Akeley était un homme âgé mais encore alerte. Il se dégageait de ses cheveux gris argent et sa barbichette une impression de vénérabilité et de confiance.

À la vue du carnet, il se troubla. Il lut un moment, silencieux puis leva les yeux :

 " Où avez-vous eu ce manuscrit, jeune homme ?

 - Un ami l'a déposé dans mon courrier la nuit dernière.

 - Voilà qui est tout à fait étonnant...

 - Pourquoi ça ?

 - Mr Goodspeed, vous avez là l'un des ouvrages les plus étranges dont j'ai entendu parler au cours de ma carrière. Ceci est tout bonnement un ensemble d'incantations que je qualifierais de blasphématoires.

 - Une sorte de Bible démoniaque ? Pardonnez-moi, professeur, mais ceci n'est qu'un ramassis de légendes.

 - Non, jeune homme. Quelque chose de bien pire que de simples rumeurs. Laissez-moi vous montrer quelque chose. "

Il fouilla dans l'une des armoires de son bureau, en sortit une figurine hideuse. Une forme vaguement humanoïde, aux ailes de chauve-souris, à la gueule de tentacules dignes de celles d'un poulpe. Elle reposait sur la représentation d'un pilier comme ceux des temples grecs anciens. Sur lequel était inscrit de minuscules runes semblables à celles écrites dans le carnet de Joe Crocker. Le professeur Akeley me raconta l'histoire d'un jeune artiste qui, dans un accès de somnambulisme, sculpta cette œuvre ; d'un inspecteur qui mit fin à un culte impie au fond du bayou louisianais ; de ce marin norvégien mort de folie après avoir assisté à un étrange spectacle dans les eaux au large de Tahiti ; de ces Inuits qui vouaient des cérémonies révoltantes à une entité vivant sous la glace d'un fjord du Groenland. Trois récits et autant de protagonistes sans lien apparent mais qui ramenaient tous à cette mystérieuse déité noire.

 " Vous pensez que tout ceci est vrai, professeur Akeley ?

 - Je l'ignore, Mr Goodspeed. Tout ce que je sais, c'est que certains y croient dur comme fer et qu'ils seraient prêts à bien des sacrifices pour mettre la main dessus. Je vous sens troublé, jeune homme, mais je vous exhorte à la plus grande prudence. Les gens qui le convoitent ne sont pas très recommandables.

 - Est-ce que le nom de Desmond Rose vous dit quelque chose ?

 - Non. Qui est-ce ?

 - Un homme qui est venu à mon bureau ce matin. Il prétend que le carnet lui appartient.

 - Hmmm. J'ignore s'il dit la vérité. Tout ce que je peux vous dire, c'est que le dernier propriétaire connu était un modeste écrivain de la côte Est. Originaire de Providence, je crois bien, il écrivait de la science-fiction.

 - Quel est son nom ?

 - Lovell ou Loveman, il me semble. Mais son nom ne vous apprendrait rien. Il est mort pauvre et reclus avant la guerre. Il n'avait pas de famille à ma connaissance.

 - Une fausse piste donc...

 - Probablement. Mr Goodspeed, laissez-moi être franc avec vous. Vous détenez quelque chose d'une valeur inestimable au regard des convoitises que ce carnet suscite. Ce serait une véritable bombe entre de mauvaises mains. Néanmoins, il possède une incroyable importance archéologique. Sa place est dans un musée et non au cœur de cercles de fanatiques sans scrupules. Remettez-le moi, je vous prie, et mon département en fera bon usage.

 - Je regrette, professeur, mais c'est impossible pour le moment. Soyez sûr que je vous le confierais si je pouvais. Mais je dois d'abord retrouver mon ami.

 - Permettez-moi au moins de copier quelques passages pour des travaux urgents. "

Il recopia quelques extraits à l'aide de papier carbone. Je quittai le vieil homme sur d'ultimes conseils de vigilance.

À partir de là, les évènements se précipitèrent.

Le colonel Pabodie m'attendait dans mon bureau à mon retour. Je le trouvais en train de regarder les quelques photos prises en Normandie et dans les Ardennes belges en 1944 que je gardais au mur. Ses yeux vert-gris scrutaient avec une intensité folle chaque détail. Il avait vieilli mais il arborait toujours la même coupe en brosse réglementaire. Deux gardes en costume noir l'accompagnaient, tout à fait identiques à ceux que j'avais semés quelques heures plus tôt.

 " Ah, vous voilà, Sam.

 - Qu'est-ce qui vous amène ici, colonel ?

 - Vous m'avez laissé un message ce matin. Vous avez oublié ?

 - En effet, colonel, mais rien qui nécessitait que vous vous déplaciez.

 - Cela m'a semblé urgent, Sam. Si vous me parliez de ce qui vous a poussé à me contacter après toutes ces années ?

 - Ce ne sont que des rumeurs, colonel. Je vous offre un verre ? répondis-je, soudain méfiant.

 - Avec plaisir, Sam. "

Rien ne justifiait sa venue jusqu'à mon bureau. En plein jour en plus. Pas très discret pour un ancien agent des services de renseignements. Soit il était impliqué, soit je devenais parano.

 " Joe Crocker m'a téléphoné l'autre jour. Il me demandait de l'aide. Je voulais savoir si vous étiez au courant d'une quelconque opération, colonel.

 - D'où vous a-t-il appelé ?

 - Il ne m'a rien dit mais je crois qu'il était en ville.

 - Comment pouvez-vous en être sûr ?

 - Au bruit du cable car derrière lui, colonel.

 - Voilà qui est fort intéressant, Sam.

 - Je ne vous suis pas.

 - Nous recherchons Joe Crocker depuis des semaines. Il est passé à l'ennemi. Nous voudrions l'interroger pour connaître les informations qu'il a transmises au bloc soviétique.

 - Quoi ? Joe aurait vendu des données !

 - Ce sont malheureusement des choses qui arrivent. Par chance, nous avons tari la source. Reste maintenant à l'attraper pour découvrir l'ampleur des dégâts.

 - Pourquoi me racontez-vous ça, colonel ? Je ne fais plus partie de l'armée.

 - Parce que vous êtes son ami, Sam. Et que vous pouvez ainsi nous aider.

 - Je vois.

 - Merci pour le verre. Pouvons-nous compter sur votre coopération ?

 - Je vous contacte si j'en sais plus, colonel. "

La nuit tombait, lugubre dans les lourdes volutes de brouillard. Le mystère s'épaississait. Je restai dans mon fauteuil à réfléchir à ce torrent de nouvelles. Le vertige de toutes les implications supposées par Rose, le colonel Pabodie ou encore le professeur Akeley me noyait. Quelque chose ne collait pas dans cette affaire et il devenait impossible de faire le tri entre le vrai et le faux, entre la vérité et les mensonges.

Un moment après le départ de Pabodie, pendant mon troisième whisky, le téléphone sonna. Un inspecteur de police du nom de Gammell me demanda de me rendre immédiatement à la morgue d'Arkham Street.

Les rues étaient désertes, plongées dans des brumes louvoyantes. La peur me saisissait, pire que celle éprouvée dans les trous de combat dans les Ardennes enneigées pendant l'hiver 45.

Je garai ma Ford dans une allée non loin de l'entrée du funérarium. Avant de descendre, je cachai le carnet à l'intérieur du rembourrage de la banquette en cuir de ma voiture. Une petite planque aménagée des années plus tôt pour les affaires sensibles.

Je ne connaissais pas l'inspecteur Gammell ; m'attendait un homme d'une quarantaine d'années, aux larges épaules de bûcheron et au regard perçant. Il portait une épaisse moustache. Il me parla d'un corps retrouvé dans le port sur lequel on avait retrouvé un portefeuille contenant un permis de conduire au nom de Joseph E. Crocker et l'une de mes cartes de visite. J'étais là pour identifier le corps.

Je sus dès le premier regard qu'il ne s'agissait pas de Joe. Il était blond, le noyé brun. Joe arborait une ancre tatouée sur le biceps droit, le cadavre non. Mieux valait me montrer discret et méfiant, comme me l'avait préconisé le professeur Akeley.

 " Je suis désolé, inspecteur. Je ne peux pas vous certifier qu'il s'agit bien de Joseph Crocker.

 - Comment expliquez-vous que nous ayons retrouvé votre carte professionnelle sur le corps ?

 - Très bonne question, inspecteur. Peut-être quelqu'un qui voulait faire appel à mes services de détective privé. Je peux disposer ?

 - Restez disponible pour les besoins de l'enquête, Mr Goodspeed. "

J'approchai de ma Ford quand la porte de la morgue claqua dans mon dos. Deux autres silhouettes émergèrent de l'ombre d'une porte cochère. Gammell, ou quelque soit son nom, souriait à pleines dents. Un piège, c'est un foutu piège ! eus-je le temps de penser avant qu'une matraque vienne me frapper à la nuque.

 " Vous êtes particulièrement têtu, Mr Goodspeed. Fini de jouer, vous allez nous donner les réponses que nous attendons.

 - Allez vous faire... "

Un deuxième coup m'envoya contre le capot de ma voiture. Je cherchai mon .45 mais une main impitoyable me broya les phalanges. J'entendis les os craquer et ma main s'engourdir.

Les coups plurent sur mon visage, mes bras, mes côtes. L'un des trois m'étendit pour de bon avec un coup de pied dans les parties intimes.

Ensuite, je me sentis ballotté pendant qu'ils me fouillaient. Ils m'abandonnèrent dans une flaque d'eau et inspectèrent de fond en comble la Ford. Gammell lança au bout d'un temps interminable :

 " Allons voir à son bureau. Il l'a sûrement laissé là-bas. Melvin, extinction ! "

On me souleva par le col du manteau et un dernier coup de poing vint heurter mon menton.

Une pluie froide me réveilla. Impossible de savoir combien de temps j'étais resté inconscient. Mon corps tout entier n'était que douleur ; je ne parvenais pas à stabiliser ma vue, tout tanguait autour de moi. Une nausée âcre et lourde remonta dans ma gorge, j'eus juste assez de force pour rouler sur le côté et vomir. Je crois que je perdis à nouveau connaissance.

Quand j'émergeai à nouveau des vapes, la tête me tournait toujours mais moins violemment. J'avais sûrement une commotion cérébrale, peut-être même un traumatisme crânien. Au prix de bien des difficultés, je me traînai jusqu'à ma voiture. À cause du froid et des coups, je ne sentais pas mon visage.

Par je ne sais quel miracle, je réussis à rouler jusque chez Shirley. Elle hurla en me voyant puis me conduisit dans sa salle de bains. J'étais trop abîmé, trop fatigué pour résister.

Pommettes tuméfiées à en devenir violettes, nez cassé, œil gauche au beurre noir, lèvres fendues, dents déchaussées, je ressemblais à un boxeur après un match qui a mal tourné. Rectification, je ressemblais au sac de frappe après l'entraînement.

Shirley me donna quelques anti-douleurs. Avant de me plonger dans les bras de la morphine, je grommelai :

 " Il faut passer au bureau, Shirley.

 - Dans votre état, vous n'y pensez pas, Sam.

 - À votre avis, il leur faudra combien de temps pour arriver ici ? "

Le reste de l'affaire devint brumeux. Le temps d'arriver à l'agence, les pompiers s'activaient pour éteindre l'incendie.

Sans hésiter, nous prîmes la fuite. Shirley conduisit tout le trajet. Pourquoi a-t-elle choisi de passer la frontière à San Diego ? Je l'ignore, je fus inconscient la plupart des kilomètres parcourus. Je me souviens juste avoir vu un médecin mexicain dans la chambre de notre motel.

La lumière aveuglante de l'aube marqua la fin du voyage. Aujourd'hui, j'apprends à vivre avec ces cicatrices que je cache sous une épaisse barbe. Nouveau style, nouvelle identité. La semaine dernière, Shirley m'a ramené un exemplaire daté du mois de janvier du Los Angeles Times. Un article y abordait la mort accidentelle d'un éminent chercheur de l'université de Stanford, le professeur Henry Akeley.

Sommes-nous les prochains sur la liste de ceux à faire disparaitre avec Shirley ?

Dans la tempête qui approche, tant de questions restent en suspens.

Où est Joe Crocker ? M'a-t-il jamais contacté ou était-ce un piège depuis le départ ? Qui étaient les hommes qui m'ont passé à tabac dans la ruelle ? Les sbires du colonel Pabodie ou ceux de Desmond Rose ? Ou bien les deux formaient-ils un groupe ? Sont-ils sur nos traces ? N'ai-je pas commis une erreur en contactant le professeur Akeley après notre arrivée ici ?

Pendant la guerre, j'avais appris à toujours prévoir une issue de secours. Là, mes options se sont drastiquement réduites. Ne me reste que la réponse du vieux savant dans son enveloppe en papier kraft, la traduction des textes qu'il avait copiés et le carnet relié.

Maigre monnaie d'échange mais voilà tout ce que nous possédons face à l'Apocalypse annoncée. Un fléau hors du temps, oublié, nous guette et je suis le dernier rempart.

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