Chapitre 7

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Des souvenirs lui revennaient, flou comme de vieilles photographies jaunies. Comme une fois où il était assis sur un banc public, absorbé par ses pensées sombres habituelles, quand un jeune homme s'était approché, l'air visiblement perdu. Ils avaient brièvement échangé quelques mots. Le jeune homme se lamentait sur son manque d'opportunités, sur sa "vie de merde" due, selon lui, à l'absence d'une "vraie éducation". Il parlait avec une amertume envieuse des diplômés, de ceux qui avaient eu la chance de suivre les "bonnes" filières, d'acquérir les "bonnes" compétences. Il y avait dans sa voix une résignation teintée de colère, une conviction que son destin était scellé par ce manque initial.

Il n'avait rien dit à l'époque, se contentant d'un hochement de tête vague. Mais intérieurement, une pensée avait germé. Cette idée que l'éducation se limitait aux bancs de l'école, aux diplômes encadrés. N'était-ce pas une vision terriblement réductrice ? La vie elle-même n'était-elle pas une éducation constante, souvent brutale, mais ô combien instructive ? Les erreurs, les échecs, les rencontres fortuites, les déceptions... tout cela ne façonnait-il pas un individu au moins autant que les manuels scolaires et les professeurs condescendants ?

Il les entendait parfois, ces litanies auto-apitoiantes sur leur "mauvaise éducation". Ces adultes geignant sur les carences affectives de leurs parents, les méthodes éducatives dépassées, les traumatismes infantiles brandis comme des trophées de victimisation. Il y avait une ironie grinçante à les entendre disserter sur ce qu'ils auraient dû recevoir, sur le modèle parental idéal qu'ils n'avaient jamais eu. Car, se disait-il, n'était-ce pas là une forme d'éducation, aussi imparfaite fût-elle ? Un apprentissage par la négative, certes, mais un apprentissage tout de même. On apprend autant de ce qu'on ne veut pas que de ce qu'on désire ardemment.

Il pensait à Montaigne, à ses "Essais" où la remise en question et l'introspection étaient érigées en art de vivre. Même une éducation chaotique, pleine de contradictions et d'erreurs, offrait un terreau fertile à la réflexion, à la construction d'une pensée critique. N'était-ce pas mieux que d'être bercé d'illusions et de certitudes factices ? Il y avait une forme de robustesse qui émergeait des épreuves, une capacité à naviguer dans les eaux troubles de l'existence avec une méfiance saine envers les dogmes et les vérités toutes faites.

Il faisait un parallèle évident avec sa propre conception de l'amour. Ses échecs sentimentaux, ses déceptions amères, n'étaient-ils pas aussi une forme d'éducation ? Chaque relation ratée, chaque cœur brisé lui avait appris quelque chose, même si la leçon était souvent douloureuse. Il avait appris à reconnaître les signaux d'alarme, à déceler les failles cachées derrière les sourires, à ne plus idéaliser l'autre au point de s'oublier lui-même. Ces cicatrices étaient sa propre "mauvaise éducation" amoureuse, mais elles lui avaient aussi permis de définir plus clairement ce qu'il ne voulait plus jamais revivre.

Les échecs de la vie, en somme, ressemblaient étrangement à ceux de l'amour. On trébuche, on tombe, on se relève parfois plus fort, parfois plus cynique. Mais chaque chute laisse une trace, un enseignement. Ceux qui se lamentent sur leur "mauvaise éducation" oublient peut-être que la perfection n'existe pas, ni dans l'éducation, ni dans l'amour, ni dans la vie en général. Attendre un modèle idéal, c'est se condamner à une frustration perpétuelle.

Vers la fin de ses réflexions, une satire grinçante commençait à poindre. Il imaginait un manuel d'éducation parfaite, avec des instructions claires et infaillibles pour former des êtres équilibrés et heureux. Un peu comme ces notices de montage de meubles suédois où la réalité finit toujours par différer du schéma idyllique. Et il se disait que ceux qui se plaignaient tant de leur éducation devraient peut-être considérer la chance qu'ils avaient eue d'apprendre par eux-mêmes, de forger leur propre opinion, de ne pas être de simples produits standardisés d'une usine à bonheur factice.

La véritable "bonne éducation", ironisait-il intérieurement, n'était peut-être pas celle qui nous épargne la douleur, mais celle qui nous donne les outils pour la comprendre et la surmonter. Et en amour, comme dans la vie, les échecs étaient peut-être les meilleurs professeurs, ceux qui nous forçaient à nous remettre en question, à redéfinir nos attentes, à devenir, finalement, des versions plus lucides – et peut-être un peu plus désabusées – de nous-mêmes. Alors, à ceux qui pleurnichaient sur leur passé éducatif, il aurait bien envie de lancer, avec un sourire noir : "Bienvenue au club des mal-éduqués lucides. La prochaine réunion est au bar."

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