14 L’envol du gang

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A l’intérieur de la grosse berline allemande « d’emprunt », la tension se trouvait à son comble. La voiture s’était immobilisée le long de l’artère passante, à une centaine de mètres de la banque. Pierrot avait les mains tellement crispées sur le volant que ses tremblements nerveux se propageaient à tout le tableau de bord. Un détail que semblait ignorer son voisin Kiki. Derrière Kiki, Djé avait les doigts tout aussi serrés sur son riot-gun. A ses côtés sur la banquette, collé à la portière de gauche, Désiré accordait toute son attention aux dernières recommandations de Kiki, vrillé sur son siège pour leur faire face.

- Rappelez-vous, serinait le Manouche avec l’assurance du chef. Pour l’entrée dans le sas, la porte qui s’ouvre est celle de droite. Pour l’entrée dans la banque, c’est celle de gauche. On ne se goure pas ! Désiré, c’est toi qui flanques le coup de pompe dans la porte et qui entre en gueulant, O.K ?

Kiki paraissait le plus naturel tant l’action semblait lui apporter une sérénité inconnue en temps normal.

- On y va !

Pierrot embraya comme un somnambule. Au terme de son court trajet, la B.M.W coupa la chaussée en biais pour venir se placer devant la banque.

- La… la femme ! Bafouilla Pierrot.

- La femme ? Répéta Kiki en tournant la tête dans la direction du regard de Pierrot.

La voiture doublait effectivement une jeune femme poussant un landau le long du trottoir où ils s’apprêtaient à débarquer. Kiki haussa les épaules avec dédain.

- Eh alors ! T’as peur qu’elle nous pique l’oseille ?… Allez ! On fonce !

Depuis la rue, les vitrines de la banque dépolies jusqu’à mi-hauteur laissaient juste entrevoir le haut des guichets et les néons du plafond. A pied d’œuvre, Désiré n’eut que la portière à ouvrir et le trottoir à franchir pour atteindre les cinq marches de l’établissement.

La curieuse tactique de contournement de la voiture choisie par Kiki lui fit perdre plusieurs longueurs d’avance sur son complice. Djé se trouvait confronté au même problème de contournement, mais par l’arrière. Manœuvre dans laquelle il s'élança tout en abaissant de sa main libre la cagoule de motard roulée sous sa casquette. Disposition qui eut pour fâcheux effet de le plonger dans le noir total. Les orifices prévus pour les yeux se trouvaient malencontreusement sur la nuque.

Le passage frénétique des deux premiers braqueurs détourna l’attention de la jeune femme au landau des vitrines de magasins. Elle ne vit pas arriver le troisième sbire qui, emporté par son élan, les bras écartés en quête d’équilibre, trouva la voiture d’enfant sur sa trajectoire. Le choc assez violent propulsa le frêle attelage qui effectua une voltige aérienne avant de retrouver sur le bitume les 4 roues en l’air.

L’atterrissage de Djé fut encore plus scabreux. Le bond qu’il effectua d’instinct pour éviter l’obstacle l’expédia tête première contre une borne d’incendie qui vrombit de colère comme une cloche Tibétaine mais refusa de lui céder un millimètre de terrain.

Sévèrement groggy, l’ancien boxeur releva sa cagoule pour examiner les alentours. La première chose qu’il distingua fut la jeune mère pétrifiée. Les mains crispées d’horreur sur les joues, celle-ci contemplait le landau retourné dont les roues continuaient à tourner en cliquetant.

Djé se releva avec peine et se porta d’une démarche hasardeuse vers le véhicule accidenté. Chance, le matelas n’avait pas suivi la rotation du landau. Il avait conservé sa position horizontale, lesté du bébé et de ses couvertures. Pour sûr, le bambin avait dû ressentir une sacrée secousse, mais pas au point de le paniquer. Cette sensation de terreur ne le submergea qu’à la vue de la tronche de Djé coiffée par la cagoule de motard, elle même surmontée d’une casquette polaire posée de guingois. Ses yeux exorbités scrutaient intensément l’apparition.

Djé n’était pas du tout familiarisé avec les bambins. D’apercevoir celui-là le fixer d’un air épouvanté le priva de tout bon sens. Il s’en saisit sans trop savoir pourquoi, le brandit à bout de bras et le secoua comme un shaker. Réflexe stupide mais efficace. Le nourrisson poussa un hurlement strident. Souriant tant de bonheur que de soulagement, Djé le tendit à la maman.

- Tenez ! Il fonctionne encore !

Sur ce, il contourna la femme pour s’élancer vers la banque.

- Monsieur ! Monsieur ! L'interpella la jeune maman.

Djé se retourna. Il suivit du regard la direction que la femme lui indiquait du menton et se sentit rougir de confusion. Il remercia d’un sourire puis courut ramasser son riot-gun resté près de la borne à incendie.

Alors que Djé découvrait les joies du baby-sitting sauvage, Désiré se trouvait confronté à un autre genre d’aléas. Côté rue, la porte vitrée à double battant du sas offrit bien le passage sur la droite, comme observé la veille. Sans lézard ! Une fois le bref couloir traversé en diagonale, à la façon Dillinger pour ménager ses effets, Désiré flanqua un magistral coup de pompe dans le vantail gauche qui ouvrait dans la banque… et se retrouva aussi sec catapulté à l’arrière par un effet ressort absolument sidérant. Son regard ébahi croisa une seconde le regard sidéré de Kiki qui investissait le sas à ce moment précis.

A l’intérieur de l’établissement, le coup de tonnerre brutal avait provoqué un sursaut général. Sourire retrouvé, l’employée du premier guichet rassura l’imposante dame âgée qui déposait des fonds.

- Oh ! Pas grave, madame Tellier ! Encore un presbyte qui s’est fracassé le nez sur une porte du sas. Ça arrive souvent chez les jeunes trop pressés… on les condamne à tour de rôle pour désorienter les holdeupeurs.

Désorienté, Kiki l’avait été par le salto arrière de Désiré, c'est le moins que l'on puisse dire. Peut-être pas au point d’en oublier ce pourquoi ils étaient venus, mais peu s'en fallait. Il entra dans la banque l'air halluciné, le riot-gun pendant au bout de son bras ballant, aussi paumé qu'un garçon livreur timide et égaré. Les gens l'observèrent avec curiosité, apparemment sans réaliser la cause de sa présence. Croyaient-ils à une facétie de la caméra farceuse de Marcel Béliveau ? La guichetière avait à peine terminé sa phrase que Kiki sembla soudain frappé par une décharge électrique. Il brandit son riot-gun auquel il imprima un large mouvement tournant et se mit à rugir.

- Tout le monde au mur ! Et que ça saute !

Comme des figurants parfaitement rodés par une kyrielle de répétitions, la dizaine de clients en attente suivit promptement la direction indiquée par l’arme. Sous le regard satisfait de Kiki tous se collèrent le nez à la vitrine, de même que les mains au niveau de leurs oreilles.

L’esprit encore secoué par les restes de l’onde de choc, Désiré découvrit avec horreur l’alignement des clients contre la vitre à son entrée dans la banque. Muet de saisissement, son réflexe premier fut d’asséner une claque à la riflette sur l’occiput de Kiki.

- T’es malade, ou quoi ? T’organises un marché aux esclaves, ou tu ouvres un fonds de commerce de putes en vitrine ?

La phrase se perdit dans le tonnerre, puis l’écho de la détonation répercutée par les parois vitrées. La crispation réflexe de Kiki, surpris par le choc, avait provoqué le départ du coup. La balle de caoutchouc anti-émeute percuta d'abord le rebord de l’oculaire de la caméra de surveillance, ricocha sur le mur, le plafond, puis sur le crâne déplumé d’un employé qui tentait de presser sournoisement l’alarme muette, pour aller terminer sa course dans le tas de copeaux de bois servant d’engrais à un yucca en pot.

- Tous… tous à terre, bordel !... Les mains sur la tête ! Hurla Désiré.

Dans un ensemble parfait, le personnel et les clients plongèrent au sol où les avait précédé l’employé téméraire, étourdi par le choc du projectile de caoutchouc. Seule l’opulente brunette occupée à l’approvisionnement des caisses resta debout. Bouche bée, elle contemplait la scène avec fascination. Son premier braquage, à coup sûr ! Que d'histoires à raconter aux copines !

L’œil mauvais à cause de la claque, les tympans fripés par le hurlement de son complice, Kiki fit volte face pour en découdre. Dans le mouvement, il réalisa les conséquences qu’auraient pu avoir son ordre incongru et se calma.

Au volant de la BMW, Pierrot observait la jeune maman remettre le landau en ordre, un œil méfiant accroché à la vitrine de la banque. En suivant la direction de ce regard, le rouquin découvrit au dessus de la surface dépolie de la vitre une brochette de têtes au rictus figé, séparées par des paumes de main blanchies par la pression. Le tremblement des siennes se transmit de facto à la colonne de direction. Il se mit à dodeliner de la tête, comme pour nier la réalité de la scène consternante. Ses lèvres se murent d’instinct au rythme d’une prière.

A l’intérieur de l’établissement bancaire, Djé assurait la protection de l'entrée. Tout à fait remis de son explication avec la porte revêche, le sourire conquérant dans la découpe de la cagoule, Désiré prit son envol pour franchir le comptoir d’un bon gracieux, à la manière de son idole des années 30 mythifié par le cinéma. Le même type de chariot pour la desserte des fonds de caisse existait-il déjà à l’époque de Dillinger ?

Possible car à l’ère de l’acheminement des liquidités vers les chambres fortes par colonnes pneumatiques, l’ustensile aurait pu faire bonne figure dans la vitrine d’un antiquaire.

Le chariot se présentait sous forme d’une boite métallique cubique, compartimentée, montée sur roulettes. Le couvercle taillé en biais, une fois relevé, présentait la même inclinaison que la caisse perchée sur ses pieds tubulaires. Sa couleur vert olive évoquait un ustensile militaire, mais les contours de jeune femme qui le poussait auraient assurément flanqué la pagaille au sein des divisions de combats les mieux aguerries. Vingt cinq ans tout au plus, un mètre soixante dix sous la toise, le teint diaphane prenant des teintes opalescentes dans l’écrin d’une chevelure d’un noir de jais, la lèvre dodue comme des coussins d’alcôve de Geisha, un superbe spécimen d’Andalouse dont les coutures du corsage et de la robe menaçaient d’explosion au moindre mouvement. Mais ce fut elle qui explosa. De rire.

Les yeux engloutis dans le décolleté de la capiteuse créature, Désiré atterrit des deux pieds dans le couvercle du chariot, propulsant l’objet dans les airs. Un nuage de billets de banque du plus bel effet automnal assombrit un instant la scène avant de descendre vers le sol en virevoltes paresseuses. Étendu sur le bull-gomme, aussi abasourdi par sa maladresse qu’étourdi par la violence du choc, Désiré se vit recouvrir par un linceul de papier monnaie.

En dépit de louables efforts, la belle Andalouse au look de Betty Boop ne parvenait pas à endiguer son rire nerveux. Pour le plus grand effroi de ses collègues.

  • Au lieu de te marrer comme une baleine aide moi plutôt à ramasser les billets ! Fissa ! Hurla Désiré, vexé, cherchant son calibre à tâtons sous les grosses coupures.

Pierrot embraya comme un somnambule. Au terme de son court trajet, la B.M.W coupa la chaussée en biais pour venir se placer devant la banque.

- Tenez ! Il fonctionne encore !

Sur ce il contourna la femme pour s’élancer vers la banque.

- Monsieur ! Monsieur ! L'interpella la jeune maman.

Djé se retourna. Il suivit du regard la direction que la femme lui indiquait du menton et se sentit rougir de confusion. Il remercia d’un sourire puis courut ramasser son riot-gun resté près de la borne à incendie.

Alors que Djé découvrait les joies du baby-sitting forcené, Désiré se trouvait confronté à un autre genre d’aléas. Côté rue, la porte vitrée à double battant du sas offrit bien le passage sur la droite, comme observé la veille. Sans lézard ! Une fois le bref couloir traversé en diagonale, à la façon Dillinger pour ménager ses effets, Désiré flanqua un magistral coup de pompe dans le vantail gauche qui ouvrait dans la banque… et se retrouva aussi sec catapulté à l’arrière par un effet ressort absolument sidérant. Son regard ébahi croisa une seconde le regard sidéré de Kiki qui investissait à ce moment là le sas.

A l’intérieur de l’établissement, le coup de tonnerre brutal avait provoqué un sursaut général. Sourire retrouvé, l’employée du premier guichet rassura l’imposante dame âgée qui déposait des fonds.

- Oh ! Pas grave, madame Tellier ! Encore un presbyte qui s’est fracassé le nez sur une porte du sas. Ça arrive souvent chez les jeunes trop pressés… on les condamne à tour de rôle pour désorienter les holdeupeurs.

Désorienté, Kiki l’avait été par le salto arrière de Désiré, c'est le moins que l'on puisse dire ! Pas au point d’oublier pourquoi il était venu, mais peu s'en fallait ! Il entra dans la banque l'air halluciné, le riot-gun pendant au bout de son bras ballant, aussi paumé qu'un garçon livreur timide et égaré. Les gens l'observaient avec curiosité, apparemment sans réaliser la cause de sa présence. Croyaient-ils à une facétie de la caméra farceuse de Marcel Béliveau ? La guichetière avait à peine terminé sa phrase que Kiki sembla soudain frappé par une décharge électrique. Il brandit son riot-gun auquel il imprima un large mouvement tournant et se mit à rugir.

- Tout le monde au mur ! Et que ça saute !

  • Au lieu de te marrer comme une baleine aide moi plutôt à ramasser les billets ! Fissa ! Hurla Désiré, vexé, cherchant son calibre à tâtons sous les grosses coupures.

L’injonction grossière coupa net l’hilarité de la fille. Même si son corsage continua à palpiter, une certaine perception de danger dût lui effleurer le cerveau lorsqu’elle s’accroupit pour entamer sa collecte. Encore que !

La jupe moulante souffrait pas mal de la pression exercée par les chairs voluptueuses qu’elle contenait à grand peine. Entre les cuisses de la belle, le tissu se trouvait tendu comme une peau de tambour. Comme elle enfournait les billets dans le sac que le braqueur tenait d’une main, il était fatal qu’ils se trouvassent nez à nez. Enfin, si l’on peut dire. Car le radar visuel auto-guidé du Martiniqueur dérapait cher vers la ligne des cuisses fusant sous le tissu noir. Jusqu’à ce qu’un mouvement tournant de leur propriétaire ne les disjoigne, offrant une vue affriolante sur une culotte corail en résille. Un spectacle à en baver des ronds de chapeau pour tout spectateur normalement viril qui se serait trouvé aussi proche. Pour l’obsédé de la gaudriole qu’était le Martiniquais, bien évidemment …

- Cochon ! S’exclama la fascinante créature, offusquée par le regard aussi palpeur qu’une main tombée dans le métro aux heures de pointe.

  Et, aussi inconcevable que cela puisse paraître en de telles circonstances, l’insulte ne fut qu’un prélude à l'indignation magistrale. Pan ! Une maîtresse baffe en pleine tronche de Désiré qui se retrouva de nouveau au carreau, aussi sonné qu’éberlué. Que voulez-vous, y'a des jours comme çà où il vaudrait mieux rester couché.

- Mais ça va pas, non ?... Si tu veux pas qu’on reluque la fente de ta tirelire, Doudou, expose pas ta marchandise en vitrine comme çà, merde alors !

- Et alors ! Vous ne pouvez pas les fourrer ailleurs vos yeux, espèce de saligaud ! Plutôt qu’à reluquer ma tirelire, comme vous dite, vous feriez mieux de vous occuper du tiroir caisse… braqueur de petites culottes !

- Et quoi encore ?… Tu étales tes tripes, je mate. C’est humain. Maintenant, magne-toi le cul si tu ne veux pas que je t’en colle une à mon tour !

Enhardie par son premier succès, galvanisée par le regard affolé de sa collègue la plus proche, l’écervelée tenta une récidive que Désiré para sans peine. Mais, emporté par l’élan, il brisa l’équilibre précaire de la jeune femme accroupie qui, d’instinct, se raccrocha à lui. Partie à la renverse, elle l’entraîna dans sa chute. Occasion pour Désiré de sonder le regard d’un bleu si pâle qu’il le faisait penser aux hauts fonds de la Baignoire à Joséphine, là-bas, dans son île natale.

- Purée ! Avec les yeux que tu as, je te ferais bien un petit marin à deux pompons !... Tu sens la marée montante ?

Le Martiniqueur se perdait carrément dans son trip d’obsédé de la quéquette quand la voix éraillée de Kiki le ramena à la réalité. Le mirmidon avait dû se hisser sur le rebord du comptoir pour apercevoir le couple aux membres enchevêtrés.

- C’est la maréchaussée que tu vas voir débarquer si tu ne te magnes pas le fion ! Et pour ta course de têtards, c’est dans un parloir qu'il te faudra donner le départ !

Pendant que les deux étourneaux aussi inconscients l’un que l’autre se familiarisaient avec le braquage étranger à toutes normes professionnelles, au volant de la BMW volée, Pierrot ne cessait de consulter son bracelet-montre avec exaspération. Ajouté à la pression du stress, sa perruque noire et sa barbe postiche le faisaient ruisseler de transpiration. Deux coups frappés au carreau le firent sursauter d'épouvante. Une de ses mains s’agrippa au volant tandis que l’autre se pressait sur son cœur pour en calmer l’emballement. Un jeune SDF sorti de nulle part tendait le cou vers lui, souriant.

- Eh ! Camarade ! T’aurais pas une clope, des fois ?

- Désolé, jé n’feume point, rétorqua Pierrot, encore tout tremblant de frayeur.

- Et cinq ou dix euros ?... T’aurais pas ?

Pierrot secoua négativement la tête, pressé de voir s’éloigner l’importun. Mais l’autre sangsue changea d’angle d’attaque. Il extirpa de sa poche un mégot fripé, le défroissa avec plus de méticulosité que nécessaire, puis se le colla entre les lèvres.

- Et du feu, Men ?... Tu vas pas me dire que t’as pas du feu, quand même ?

L’obèse soupira, un œil dirigé vers l’entrée de la banque. Pour se débarrasser au plus vite de l’importun, le mieux était encore de lui donner satisfaction. Il enclencha l’allume cigare tout en manœuvrant l’ouverture électrique de la vitre.

- Police ! Tu bouges pas ! Beugla le pseudo clodo en précipitant les bras par l’ouverture.

Nouvelle frousse terrible chez Pierrot qui s’apprêtait à lui tendre l’allume-cigare tout juste libéré de son alvéole. Son sursaut de terreur fit que la spirale incandescente de l’allume-cigare alla se coller pile sur le pli de la première phalange de l’auriculaire du flic. Le faux pilon poussa un hurlement de douleur et se redressa de surprise tandis que son arme lui échappait des mains pour tomber sur les cuisses de Pierrot. D’instinct il voulut cependant saisir le chauffeur par les cheveux mais il se retrouva avec la perruque dans la main.

Pour enrobé qu’il fut, Pierrot n’en était pas moins doté d’une force physique peu commune. De ce genre de musculature discrète, précocement forgée par les travaux lourds, toujours propre à sidérer ceux qui s’y trouvent confrontés. L’obèse s’était saisi des deux poignets du flic grimé dans sa seule main droite et, les ayant plaqués au plafond de la voiture en tirant sur les bras, il maintenait sa victime le cou bloqué contre la carrosserie. La vitre relevée au maximum acheva d’immobiliser son agresseur. Du bout des doigts, il récupéra l’automatique tombé sur ses genoux pour le poser avec prudence sur le siège voisin.

A l’intérieur de la banque le braquage touchait à sa fin. Kiki sortait du sous-sol en poussant devant lui le directeur de l’établissement porteur de deux gros sacs de billets.

Désiré avait franchi le comptoir en sens inverse. Incorrigible, nonchalamment accoudé sur le sac gonflé du contenu des caisses, il attendait son complice en poursuivant son brin de cour.

- Dommage de s’être rencontrés dans de telles conditions… pour toi, j’aurais pu rentrer dans les ordres après une seule nuit de noce. T’es vraiment canon, tu sais.

Les clients allongés au sol ne devaient pas en croire leurs oreilles. Des braqueurs batifolant comme en surprise-partie. Ça n’est pas dans les journaux que l’on trouve ce genre de récit !

- Laisse tomber le canon si tu veux pas te retrouver avec un boulet ! Allez, on se tire ailleurs, Sénégalais ! Railla Kiki parvenu à sa hauteur.

D’une pression du flingue il incita le directeur à s’agenouiller, puis à s’étendre près des clients.

- Et si on entend l’alarme en partant, on déclenche la bombe à retardement télécommandée qu’on a laissé dans votre bureau !

Abstraction faite de l’enfilage farfelu de la cagoule, Djelloul avait parfaitement assimilé les rudiments du braquage enseignés par Kiki. Il attendit que ses deux complices fussent parvenus à la voiture, les sacs de pognons mis en sécurité, avant de décrocher de son poste d'arrière garde.

  Kiki déboula les marches, la fente basse de la cagoule étirée par un large sourire de satisfaction. Un sourire qui se mua en bâillement d’incrédulité à la vue de la tête congestionnée du pseudo-clodo scotchée au pavillon de la Bé-Hem comme la tête de Saint Jean sur le plat de Salomé.

- Hiiii !... Qu’est-ce que c’est que çà ? S’était-il écrié, hérissé d’horreur.

Les bras de l’individu coincés par la vitre et le 9mm automatique posé sur le siège achevèrent de le désorienter.

- Un clodo qui veulo s’ faire passer pour un flic. Y’ a comminché par ém' réclamer eine cigarette, pis cent balles, pis y m’a braqué avec sin faux pétard, récita benoîtement Pierrot, un rien fier d’avoir neutralisé seul son agresseur excentrique. (Un clochard qui voulait se faire passer pour un flic. Il a commencé par me réclamer une cigarette, puis il m’a braqué avec son faux pistolet.)

Kiki eut peine à déglutir.

- Il y en a d’autres ?

- Des clodos ? S’étonna Pierrot.

- Des flics, banane ! C’est le nouvel uniforme de la brigade des stups. Allez, démarre ! On va lui offrir du sport.

Dès que Djé eut claqué sa portière, Pierrot démarra à petite vitesse sous le regard interloqué des badauds. A l’angle de la grand place, Kiki pressa le bouton de descente de la vitre. Libéré, le flic pas veinard fusa en vol plané. Une boule de bowling humaine qui réussit un superbe strike dans le mobilier de terrasse d’un café. Et, dans le respect de la plus pure tradition des films de gangsters, nos Branques s’évanouirent de la surface de la terre dès le premier coin de rue tourné.

A l’intérieur de la banque, clients et employés s’étaient relevés avec prudence. Tandis que le directeur se précipitait dans son bureau pour les coups de fil urgents de circonstance, les moins intrépides se massèrent derrière la vitre blindée pour jeter un regard dans la rue, par-dessus la surface dépolie. Les audacieux s’entassèrent dans le sas.

Une berline Peugeot, surmontée d’un gyrophare bleu en action, déboula en dérapage devant la banque dans le hurlement conjugué des pneus et de la sirène. Tel un projectile, le passager avant en jaillit, effectua un roulé-boulé acrobatique, puis se cala en position de tir au beau milieu du trottoir, le flingue braqué sur les portes vitrées de la banque. Les occupants du sas se mirent aussitôt à sauter sur place comme des grenouilles posées sur de l’acide, terrorisés.

Le collègue en couverture était prudemment resté à l’abri de la portière ouverte. Quant à l’inspecteur taillé en sumo avachi à l’arrière gauche, il s’échinait toujours à s’extirper du véhicule lorsque sa flèche réalisa sa bévue. Réaction courante chez les gens ayant dû lever les bras sous la contrainte, un passant transformé en sémaphore survolté lui indiquait la place. Les bras qu’il conservait prudemment levés s’agitaient comme des balais d’essuie-glace. D’un bond, la légende locale surnommée Lucky Luke réintégra la diligence des forces de l’ordre et donna l’ordre de départ avant même que ses fesses n'aient touché le siège.

Le zélé chauffeur formé à l’école du chef à coups de pompe à l'oignon embraya en ripant juste le pied de la pédale jusque là tenue enfoncée. La voiture bondit avec la méchanceté d'un fauve et démarra en crabe dans le hurlement de ses pneumatiques torturés. Juste au moment où l’inspecteur obèse de l’arrière entamait la phase finale de débarquement en parvenant à extraire sa seconde jambe de l’habitacle. Le torse à l'extérieur, il se retrouva aspiré par le travers. Au virage de la place, il suivit une trajectoire rigoureusement identique à celle empruntée une pincée de minutes plus tôt par son jeune collègue des Stups en immersion. Si fidèlement que le contact entre celui qui se relevait et l’arrivant engendra un second ravage de la terrasse après embrassade forcenée.

- Freine ! Avait hurlé Lucky Luke alerté par le relèvement du véhicule à contre-sens de la logique cynégétique, aussi soudain qu'inexplicable.

L’obéissant chauffeur pila avec une délicatesse égale à celle mise en œuvre lors du démarrage. Les trois portières ouvertes se trouvèrent propulsées vers l’avant avec une violence telle que leur frein de course cédèrent dans un bruit de fusillade. Le fier équipage se porta au secours de deux collègues naufragés dans une mer de débris de sièges et de tables en plastique. Lorsque tout le monde eut regagné le véhicule, cahin-caha à cause des éclopés, il fallut accepter l’évidence que les trois portières repliées vers l'avant ne rabattraient jamais sans l’intervention d’un carrossier. Renonçant à tout espoir de sauver la face, les fonctionnaires embarquèrent pour le commissariat de police sous les regards goguenards des badauds en laissant les portes battre à leur aise.

Un périple complexe au cœur de la forêt de Saint Amand amena les Branques, via la base de loisir de Raismes, sur l’immense parking d’Auchan Petite Forêt. Nos hurluberlus abandonnèrent la BMW derrière Norauto et gagnèrent le super marché par la porte la plus proche. Les sacs d’argent et d’équipement remisés dans le coffre du 4x4 de Pierrot, garé depuis le matin devant Brico-dépôt, ils effectuèrent séparément des courses en se pavanant sous les caméras de surveillance. Ils quittèrent la grande surface un par un pas la porte centrale, les caddies surtout bondés de boissons alcoolisées et d’amuse-gueules variés.

Une série de précautions sages dans le recherche d’un alibi, certes, même tout à fait professionnelles, il convient de le reconnaître, mais en l’occurrence parfaitement inutile car à peine prenaient-ils pieds dans le hall d’Auchan qu’un quatuor de malfrats lillois en embuscade s’appropriaient la BMW au moteur encore tout chaud. Venus pour détrousser minablement le véhicule des promeneurs de la mare à Goriaux, ils laissèrent éclater leur joie en découvrant deux liasses de deux mille cinq cent euros échappée du sac de Djelloul et, dans la précipitation, refoulés sous le siège chauffeur. A ce trésor s’ajouta la douille du riot-gun de Kiki aussitôt hissée au rang de porte-bonheur. Les rats de parking s’offrirent le Mac’Do pour fêter l’événement et abandonnèrent la nuit venue devant un dancing réputé de l’agglomération lilloise.

La voiture isolée au beau milieu du parking désert attira l’attention d’une patrouille de police dès le lendemain matin. Le Pacha qui occupait tout le haut de l’immeuble du Stardust eut droit à l’un de ces réveils en fanfare qui ont l’heur de vous mettre le voyou haut de gamme de très mauvaise humeur. Les apprentis gangsters ne bénéficiant d’aucune côte dans le Milieu local, l’amnésie traditionnelle en de pareilles circonstances sévit moins qu’à l’accoutumé chez les employés de l’établissement de nuit du parrain. La description qu’ils fournirent des fêtards trop ostensiblement argentés fut assez fidèle pour orienter les recherches de façon utile.

Les rapines telles que le vol de véhicule entraînant rarement un relevé d’empreintes, le quatuor de pilleurs de coffres de voitures avaient tout naturellement négligé le port de gants dans l’exercice de son art. Lorsque la P.J les appréhenda rue de Béthune, au sortir d’un magasin de vêtement à la mode chez les jeunes, l’un d’eux avait encore en poche la douille du riot-gun. Un souvenir disputé à l’un de ses condisciples qui, pour le coup, y avait aussi laissé des empreintes digitales assez nettes pour enchanter le technicien de police scientifique du SRPJ de Lille, lointain émule de Bertillon.

Aucun des quatre jeunes péquins ne correspondait à la silhouette de Pierrot, de loin s’en fallait, mais en les déférant au parquet dans les temps légaux, à défaut d’aveux, les enquêteurs n’avaient pas perdu espoir de faire avouer celui qui, à n'en pas douter, avait dû enfiler une demi-douzaine de pulls d’hiver pour modifier son apparence. Sans doute suffisait-il de lui faire miroiter une peine allégée pour obtenir des aveux circonstanciés ?


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