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Un après-midi printanier, Kawamura-dono, un grand brun aux yeux aussi noirs et profonds qu'une nuit sans lune, au teint hâlé et aux lèvres pulpeuses roses pâles, lisait tranquillement sur le perron du pavillon rouge. Cela faisait six mois qu'il avait été envoyé ici par son père. Heureusement pour lui, les concubins du pavillon l'avaient accepté, devenant une amitié très forte et fusionnelle avec chacun d'entre eux.

Il n'avait rencontré l'Empereur qu'une fois. Le jour où il était arrivé, accompagné de son père, voulant sans doute se rassurer de son intégration parmi les sujets du Souverain. En effet, Kawamura-dono père, était un noble souhaitant approcher d'avantage l'aristocratie impériale. Aussi, lorsque son plus jeune fils lui annonça qu'il s'était engagé en tant que Bushi, il entra dans une colère noire. Il l'enferma dans sa chambre sans que personne ne puisse le voir et fit envoyer un portrait à l'Empereur, espérant que celui-ci, avait encore une place dans son harem. Reconnaissant que son fils était d'une grande beauté, il ne fut pas surpris lorsque le Général vint en personne chercher le nouveau concubin de sa Grâce.

Ils l'accompagnèrent au Palais. Daito-dono n'était pas fier de mener un si beau jeune homme, n'étant pas consentant à devenir concubin. D'ailleurs, Kawamura-dono fils ne regarda même pas l'Empereur dans les yeux. Le Général et son père virent bien qu'il fuyait tous les regards. Pour autant, cela ne blessa pas l'Empereur, qui prit cela pour de la timidité.

Ainsi donc Kazuma-dono se retrouva ici. Il reconnu que ce n'était pas plus mal. Loin de son père et ses soifs de pouvoir. Loin de son frère et de sa sœur aînée, complètement idiots et narcissiques. Il pensa simplement avec douleur, qu'il ne pourrait plus se rendre sur la tombe de sa mère. Partie trop tôt d'une toux qui lui faisait cracher du sang, apparemment incurable et très contagieuse d'après le médecin de famille, il n'avait même pas pu lui faire ses adieux...

Il prit une vive inspiration. Ce n'était pas le moment de repenser à ce genre de chose ! Aussi, il se pencha sur le rouleau. Il l'avait trouvé à la bibliothèque du Palais. Cela avait l'air intéressant. Il se replongea dedans. Cependant, après en avoir lu la moitié, il s'aperçut que cette histoire était aussi sombre que les pensées qu'il avait chassées plus tôt. Par ses illustrations très détaillées et ses Haiku d'une grande véracité, il en fut un peu ébranlé. Cet ouvrage traumatisant, démontrait que s'il devenait par mégarde le favori de l'Empereur, il se ferait exécuter si celui-ci en avait marre de sa compagnie. Il pouvait aussi arriver qu'il soit empoisonné par ses confrères jaloux et même étranglé ou étouffé pendant son sommeil. Cela lui mit des frissons dans le dos. Il ne devait pas devenir le favori de sa Majesté. De une, car il avait vraiment peur de la mort. L'expérience de voir sa mère ainsi, l'avait beaucoup choqué petit. De deux, il avait fait une promesse qu'il tiendrait à coup sûr...

Makoto-dono le rejoignit sur le perron. Il tenait un papier plié de façon très précise mais moins compliquée qu'un Origami.

- Regarde ce que je viens de découvrir, sourit-il.

À ces mots il le lança. Le papier s'envola et plana longtemps, avant de descendre en tourbillonnant doucement puis se posa.

- Euh...fut abasourdit Kazuma. Comment as-tu découvert cette chose étonnante ?

- Le hasard, expliqua son ami en haussant les épaules. C'était la semaine dernière, je m'énervais sur les plans d'une fontaine en bambou et j'en avais marre de faire des boules de papier que je jetais n'importe où dans l'atelier. Alors que l'ai plié sans prêterattention et en le lançant il a plané un fragment de seconde avantde s'écraser. Itsuki-dono est entré à ce moment-là, pour finir l'assemblage d'une table et m'a suggéré qu'avec plus de précision il pourrait sans doute voler.

- Remarquable ! s'exclama l'ancien Bushi admiratif.

Il aimait beaucoup son nouvel ami pour ses inventions et son intelligence.

- Qu'est-ce qui est remarquable ? intervint Hokuto-dono.

- Regarde, démontra l'inventeur de nouveau.

- J'espère que tu ne vas pas t'accaparer les faveurs de mon Empereur avec cela ! jalousa le plus jeune.

- Je ne pense pas, loin de-là, soupira Makoto roulant des yeux.

Ils furent interrompus par le rire discret de Itsuki-dono, revenant avec sa table dans les bras.

- Voilà, la table extérieur est terminée, montra-t-il. Nous pourrons manger dehors les beaux jours, qu'en pensez-vous ?

- Oh oui ! sautilla joyeuse Hokuto-dono avec un air enfantin, oubliant sa jalousie, faisant rire ses trois amis.


L'Empereur Suzuki était absorbé par les comptes de l'Empire. Il ne s'en sortait pas si mal. Le printemps allait être fructueux cette année et les récoltes seraient sûrement bonnes, évitant ainsi les grandes famines de l'hiver. Un raclement de gorge lui fit lever les yeux de ses rouleaux. Devant lui se tenaient ses ministres, son eunuque, son Général et son médecin. Tous le regardaient un sourire léger aux lèvres.

- Que me vaut cette joyeuse assemblée ? plaisanta-t-il.

- Si Votre Majesté nous le permet, tenta Daito-dono, nous souhaiterions vous faire part d'une chose importante...

- Cessez d'être aussi formel, bougonna l'Empereur, nous sommes entre nous. Parlez librement.

- Eh bien nous avons pensé, commença Akira-dono, comme cela fait plusieurs jours que vous travaillez, il serait bien de vous divertir. Et pour cela, nous nous disions que vous pourriez tirer au sort, un nom parmi vos vingt concubins. Ainsi nous les informerionsde cette méthode et certains ne se fâcheraient plus de ne pas être choisis régulièrement.

- Sauf que cette méthode pourrait donner la malchance à ceux qui ne seraient jamais tiré au sort... taquina-t-il.

- Seulement pour cette fois-ci, les prochaines vous ferez comme bon vous semble Votre Majesté, suggéra le médecin.

- Qu'il en soit ainsi ! acquiesça-t-il.

L'eunuque lui tendit un plateau sur lequel étaient mélangées plusieurs plaques de bois. L'Empereur en saisit une au hasard et tomba sur un nom qui lui était parfaitement familier.

- Je pense que l'heureux élu de ce soir devra se préparer à un accueil plus chaleureux qu'à son arrivée.

Les ministres froncèrent les sourcils alors que le Général et l'Eunuque esquissaient un sourire satisfait.

- Faites appeler Kawamura-dono à ma table ce soir, chanta-t-il gaiement, et précisez qu'il restera pour la nuit !

Les hommes s'inclinèrent et quittèrent la pièce.

Ikuta-dono ayant déjà rencontré le beau concubin, fut chargé d'aller le chercher, suivit de l'Eunuque. Entre temps, il croisa Shohei-dono, le servant du pavillon rouge. Il le pria de les accompagner afin d'annoncer la bonne nouvelle.


Kawamura venait de terminer cette terrible lecture lui torturant les entrailles. Lorsqu'il entendit, sur le pas de la porte les exclamations du médecin impérial et de son servant parlant de son dîner avec l'Empereur, il paniqua. Il ne fallait, en aucun cas, qu'il dîne et passe la nuit avec Sa Grâce. Prit par un regain d'énergie, il sauta par la fenêtre de sa chambre et courut dans le jardin. Tout à coup, une idée lui vint, il allait déjouer les plans de l'Empereur.

Shohei-dono chercha dans tout le pavillon. Il était affolé et désespéré. Mais où était passé son nouveau maître ?! Le médecin impérial et l'Eunuque commencèrent à s'inquiéter à leur tour. Les autres concubins du pavillon rouge n'avaient pas vu Kawamura-dono depuis un petit moment. Il fallait qu'ils avertissent au plus vite l'Empereur.

Tous sortirent du pavillon et furent choqués de découvrir un Kawamura-dono revenant des commodités, complètement souillé.

- J-je vous prie de m'excuser... balbutia-t-il. Lorsque vous avez crié pour dire que j'étais invité à la table de Sa Majesté, j'étais tellement surpris que je suis tombé dans le trou...

- Oh quelle horreur... laissa échapper l'Eunuque, refoulant un haut-le-cœur. Je vais en avertir immédiatement l'Empereur.

- C'est très embêtant tout ça... Qui pourrait vous remplacer ?! ajouta Ikuta-dono.

- Toutes mes plus sincères excuses, feint-il. Yoshino-dono pourrait certainement me remplacer. Il a créé une jolie danse pour Sa Majesté.

- Oh oui ! s'exclama Hokuto des étoiles plein les yeux.

- Eh bien s'il en est ainsi, veuillez nous suivre Yoshino-dono.

Le médecin impérial et l'Eunuque s'inclinèrent puis quittèrent le pavillon, suivi d'un jeune homme sautillant adorablement.

- Avoue que tu l'as fait exprès ! ragea Makoto arborant un air de dégoût.

- Vous auriez pu m'épargner cela ! chouina Shohei. Comment vais-je nettoyer vos vêtements, sans rendre le contenu de mon estomac ?!

- Oui ,c'était exprès... souffla Kazuma agacé. Cependant...ça reste entre nous... chuchota-t-il souriant malicieusement. C'est de la boue !

- Vous ! s'insurgea le serviteur.

Itsuki et Makoto explosèrent de rire sans pouvoir s'arrêter. Shohei quant à lui, sourit en pensant que son nouveau maître avait de la suite dans les idées. Il se promit de garder le secret. C'était un garçon bien, il ne fallait en aucun cas que l'Empereur apprenne qu'il avait trouvé un stratagème pour échapper à leur tête-à-tête.


Quelques temps plus tard, ce qui parut bien court aux habitants du pavillon rouge, un petit Yoshino-dono, arriva en traînant des pieds et en chouinant.

- Que s'est-il passé ?! s'enquit Kazuma.

- Rien ! Absolument rien, justement ! éclata Hokuto de rage. Il te voulait toi !

- Oh.. .Je suis tellement désolé... s'excusa-t-il avec sincérité. J'ai un plan qui pourra te permettre de séduire l'Empereur, tu vas voir !

Il lui chuchota plusieurs choses à l'oreille, auxquelles le plus jeune poussa des petites exclamations de contentement. Voyant cela, Itsuki et Makoto furent rassurés  de voir les deux amis se réconcilier.


Le lendemain matin, sachant que l'Empereur faisait toujours une petite promenade avant de commencer à travailler, Kazuma conseilla à son jeune ami de se mettre bien en vue au milieu du jardin, et d'effectuer la danse très sensuelle qu'il avait créé quelques jours plus tôt. Ainsi, l'Empereur serait certainement charmé et le prendrait le soir-même ou peut-être bien, dans l'instant, à l'abri des regards indiscrets... Hokuto en eut le rouge aux joues mais tenta le tout pour le tout.

Kazuma se cacha derrière des arbustes, un foulard sur la tête, en scrutant le chemin menant aux Appartements de l'Empereur. Hokuto prit place au milieu du jardin. C'est alors qu'un mal de ventre le prit subitement. Il savait qu'il n'aurait jamais dû manger cette salade d'algues que Shohei-dono avait prévu de jeter... Il courut vers les commodités, espérant que Son Amour de Majesté ne passerait pas dans le jardin tout de suite.

Malheureusement pour le pauvre petit concubin. Suzuki-dono s'était levé plus tôt qu'à l'accoutumé. Il s'aventura ici-et-là et s'arrêta, entendant un hululement de chouette tout prêt. Il trouva cela bien étrange que l'animal nocturne ne fut pas encore couché au lever du soleil.

Ce qu'il ignorait, c'est que cet hululement parfaitement interprété par Kazuma-dono était le signe pour que Hokuto-dono commence sa danse. Seulement, le pauvre concubin était toujours en train de se soulager alors que l'autre, ne comprenait pas pourquoi il n'entendait aucun mouvement.

- Que faites-vous mon Cher ? demanda gentiment l'Empereur en touchant son épaule. Vous imit-

Il fut tellement pris de stupeur en entendant cette voix forte derrière lui, qu'en se retournant brusquement, il mit un coup de poing dans le nez du Souverain, le coupant dans sa phrase, avant de quitter le jardin en courant.

Il était fichu, il serait torturé et exécuté sous peu, pour avoir blessé l'Empereur...

Hokuto-dono revint tout pimpant, il allait beaucoup mieux. Apercevant l'Empereur, son cœur bondit dans sa poitrine. Il se mit en position et commença à interpréter sa danse d'une grande sensualité. Néanmoins, le pauvre jeune homme se stoppa, voyant que son Tendre, non seulement ne le regardait pas, mais en plus rejoignait le Palais, une main sur le visage...

- Qui vous a infligé cela ?! s'enquirent les sujets de Suzuki-dono.

- Je pense savoir... gémit-il au moment où Ikuta-dono essuya le sang.

- Dois-je préparer une cellule d'isolement ? intervint le Général les sourcils froncés.

- Hors de question Daito-dono, il ne l'a sans doute pas fait exprès, expliqua l'Empereur. Je l'ai surpris et il a eut le réflexe de me le faire savoir, rit-il tendrement.

Surpris par sa réaction plus que douce, les membres de la Cour se regardèrent sans savoir quoi ajouter.

- Je le punirai moi-même, conclut-il le regard pétillant, au moment où le médecin finissait de le panser.

- En tout cas, il a une sacré droite ! reconnu le Général pour détendre l'atmosphère.

- Oui ,cela reflète un caractère et une fougue que j'apprécie particulièrement, admit l'Empereur. Faites appeler Kawamura-dono, et dites-lui que son tissu sur la tête ne cache rien de sa beauté !

Choqué, l'Eunuque partit délivré le message.

C'est invraisemblable... songea-t-il. Je n'avais jamais vu un concubin essayant autant d'échapper à notre cher Empereur...

Pendant ce temps, au pavillon rouge, la tension était palpable... Makoto se demandait ce qu'avait encore pu faire son ami pour être aussi tendu. Itsuki se demandait la même chose tout en s'interrogeant sur les pensées des autres et Hokuto s'énervait de savoir quel mal avait pu prendre son bien-aimé pour partir une main sur le visage.

- Kawamura-dono ! s'écria le serviteur les jambes tremblantes. L'Eunuque impérialvous fait demander. Il semblerait que vous ayez gravement blessél'Empereur et celui-ci vous réclame sur le champ pour vous infligerune correction... termina-t-il des sanglots dans la voix.

- Oh Kamisama ! s'enquit le concubin. Je suis fichu !

- Mais qu'as-tu fait encore ?! s'exclama Makoto paniqué.

- I-il se  pourrait que j'ai malencontreusement frappé le nez de l'Empereur avec mon poing... dit-il en se levant avec peine.

- Quoi ?! furent surpris ses trois amis.

- Allons-y, insista le serviteur, nous ne pouvons le faire attendre plus longtemps...

Hokuto-dono se mit à pleurer. Itsuki et Makoto le serrèrent dans leurs bras. Ils étaient mort d'inquiétude pour leur ami.

Mais que lui avait-il pris de faire un geste aussi stupide ?!

Lorsque Kawamura-dono entra dans le Palais, les yeux baissés vers le sol, l'Empereur s'efforça d'arborer un visage sévère. Le concubin s'inclina devant le trône, à genoux, le front collé sur ses mains posées au sol.

- Pensiez-vous que votre beau visage serait caché à ma vue par un simple voile ? déclara Suzuki-dono d'une voix ferme.

- En aucun cas Votre Majesté... répondit-il, la voix étranglée par la peur.

- Que tout le monde se retire, je veux parler seul avec lui, intima l'Empereur.

Toujours incliné, Kazuma retint son souffle et ses larmes.

C'est trop tard pour pleurer pauvre idiot... pensa-t-il avec amertume.

- Redressez-vous je vous en prie, dit Sa Majesté d'une voix plus douce.

- Je ne puis vous regarder après ce que je vous ai infligé Votre Grâce... sanglota-t-il.

- Allons, allons... Ce n'est rien, j'ai connu plus grave blessure lors des batailles de Chine et de Corée, rit-il doucement.

Kawamura-dono se redressa et eut honte de regarder l'Empereur. Un tissu recouvrait son nez et il crut même voir un hématome commençant à se former.

- Toutes mes excuses Votre Majesté ! s'exclama-t-il les larmes aux yeux. Je ne voulais point vous blesser !

- Je l'ai compris, ne vous en faites pas, le rassura-t-il. Mais je suis obligé de vous infliger une punition sinon je ne serais pas reconnu comme un Empereur digne de ce nom.

Le concubin acquiesça. Suzuki-dono ne put s'empêcher de l'observer et de le trouver magnifique.

- Comme vous avez échappé à notre petit tête-à-tête d'hier soir,expliqua-t-il. Je souhaiterais que vous alliez en cuisine et que vous me prépariez un plat de votre choix. Il va s'en dire que ce doit être mangeable sinon votre prochaine punition sera beaucoup plus sévère.

- Je comprends Votre Majesté, s'empressa-t-il de répondre. Je ferais en sorte que cela vous plaise...

- Je n'ai pas fini, ajouta-t-il implacable, faisant trembler le jeune homme. À charge de revanche pour hier et ce matin, vous prendrez le repas avec moi et nous passerons la soirée ensemble. Je vous octroie de partir avant mon coucher. Je peux comprendre que vous ne soyez pas encore prêt à avoir une relation intime avec moi...

Il fit une pause, faisant bien peser ses mots.

- Cependant, reprit-il, j'escompte que vous me tiendrez bientôt compagnie une nuit et même plusieurs, car je ne vous cache pas que vous me plaisez énormément Kawamura-dono.

À ces mots, l'ancien Bushi retint une exclamation de surprise.

Non, il ne voulait pas ! Il ne voulait pas que l'Empereur s'intéresse à lui ! Il devrait lui en parler ce soir avant qu'il ne soit trop tard !

- Bien, si c'est entendu, vous pouvez vous retirer, finit Sa Majesté satisfait. À ce soir ! s'exclama-t-il joyeusement.

- À ce soir Votre Majesté, s'inclina de nouveau le concubin avant de quitter la pièce.


Arrivé aux cuisines, le Chef étant déjà au courant de la punition du concubin, peu sévère à son goût, lui montra tous les éléments de la cuisine. Il se retira, avec ses sous-fifres afin de le laisser se débrouiller, arborant un sourire moqueur.

Lorsqu'il fut seul, Kazuma prit une profonde inspiration et médita un moment. Il se remémora les choses que lui avait appris sa mère. Il se décida enfin. Il allait cuisiner un poulet à la façon Kawamura.

Il retroussa ses manches de kimono et les fixa avec la bande de tissu prévue à cet effet, afin qu'elles ne se salissent pas.

Il alluma le feu avec des brindilles puis des bûchettes, sous le wok. Coupa les légumes et les aromates en attendant que cela chauffe.

Il fit rapidement revenir les légumes avec les aromates, de la sauce soja et un peu d'eau. Puis il les laissa dans un plat en terre. Il s'occupa du poulet. Le coupa en morceau en réservant la carcasse pour faire un bouillon. Frottant les morceaux avec de la sauce soja, de l'ail et quelques épices. Il les fit revenir dans le wok. Pendant ce temps il s'occupa de faire son bouillon, car un repas sans soupe n'est pas un repas ! Sa mère disait souvent cela.

Une fois terminé, il retira les morceaux de poulet et remis les légumes à cuire dans le wok afin qu'ils prennent le goût du poulet et des épices. Pour finir, il fit appeler les serviteurs du Souverain afin qu'ils l'aident à porter les plats aux Appartements de l'Empereur. Celui-ci l'attendait tout sourire. L'Eunuque testa le poison avec une aiguille, puis quitta les lieux en fermant les battants derrière lui.

- Si j'avais voulu vous empoisonner Votre Majesté, cela n'aurait pas été avec ce plat faisant honneur à ma défunte mère ! taquina le concubin.

- Eh bien, j'apprends à l'instant que non seulement vous imaginez m'empoisonner mais en plus que vous avez de l'humour ! s'exclama-t-il joyeusement. Vous me plaisez de plus en plus mon Cher... ajouta-t-il en lui faisant un clin d'œil.

- Mangez tant que c'est chaud, Votre Majesté, s'empressa-t-il pour changer de sujet.

L'Empereur commença par le bouillon. Il le gratifia d'un compliment puis goûta quelques légumes qu'il ne feint pas d'apprécier. Lorsque ses baguettes se plantèrent dans la viande tendre du poulet, il fut agréablement surpris d'en constater la cuisson parfaite. Au moment où il mit le morceau dans sa bouche, il écarquilla les yeux. Kazuma prit peur. Est-ce que l'Empereur n'aimait pas son poulet ?

C'est alors qu'un bruit guttural se fit entendre et le Souverain se leva de table une main sur la bouche.

- Votre Majesté ! s'enquit le cuisinier, Avez-vous avalé un os par mégarde ?

- Kamisama ! s'exclama-t-il en regardant vers son concubin. Je n'ai jamais mangé de poulet aussi extraordinaire !

Surpris et touché par la réaction naturelle et loufoque de Sa Majesté, Kazuma tenta d'étouffer un rire.

- Ravi de voir que la recette Kawamura vous plaît, Votre Majesté, sourit-il.

À cet instant, en voyant ce magnifique sourire sur ce bel homme, le cœur de l'Empereur s'emballa.

- Je souhaite que vous me fassiez ce poulet dès que l'occasion se présentera et ce, jusqu'à ce que je meurs ! déclara-t-il gaiement mais implacable.

- Euh, et bien si vous le souhaitez, Votre Majesté... balbutia-t-il, perdant son sourire.

- Que se passe-t-il ? s'enquit l'Empereur.

- V-votre Majesté, bégaya-t-il, permettez-moi de vous parler sans détour...

- Oui allez-y je vous en prie... se calma-t-il en se rasseyant devant son bol.

- Vous ignorez peut-être que je suis ici contre mon gré ? demanda-t-il peu confiant.

L'Empereur hocha la tête, lui faisant comprendre qu'il était au courant.

- Bien que j'essaie de m'adapter et de faire des efforts, je dois vous avouer que ce n'est pas tous les jours facile. Je vous prie de m'en excuser, Votre Majesté... s'inclina-t-il. J'ai lu un ouvrage très intéressant,que j'ai emprunté à la bibliothèque. Cependant il a réveillé des peurs que j'ai depuis l'enfance.

Le Souverain resta silencieux, faisant comprendre à son concubin qu'il pouvait parler librement.

- J'ai peur de mourir Votre Majesté... avoua-t-il honteusement. Bien que je me sois engagé comme Bushi avant d'intégrer votre harem, je n'y pensais pas avant d'être tombé sur ce rouleau. Il décrit parfaitement ce qu'il se passe lorsqu'un Souverain accorde ses faveurs à un ou une concubine... S'il se lasse, la personne peut perdre la vie, et si ce n'est pas de la main de l'Empereur, les confrères ou consœurs peuvent se charger de tuer le favori. Alors je vous le demande à genou... pria-t-il en s'exécutant devant Sa Majesté. Je ne souhaite en aucun cas votre amour et dès qu'il vous sera possible d'accepter, je souhaiterai quitter le Palais...

Toujours penché, le concubin ne vit pas le regard de son Souverain.

Celui-ci était resté interdit. C'était bien la première fois qu'un concubin lui demandait de ne pas l'aimer et de partir. Il en fut extrêmement heurté... D'une part, il était confus de se dire que, une seule seconde, son nouveau concubin se soit imaginé qu'il puisse lui faire du mal. Et de l'autre, il ne se doutait pas qu'il souhaita toujours quitter le Palais après tous ces mois... Et pourtant il allait accepter. N'avait-il pas instauré l'ère Zuii ?

- C'est accordé... chuchota-t-il. Lorsque je le sentirai, je vous laisserai partir... Mais pour l'instant, je souhaite que vous restiez ici quelques temps encore...

- Merci Votre Majesté ! souffla-t-il.

Ils finirent leur repas dans une ambiance qui se voulait légère, seulement en apparence. Car lorsque le nouveau concubin sortit du Palais pour rejoindre son pavillon, l'Empereur se coucha et ne put fermer l'œil. Il devrait tenir sa promesse... Cela causa un vif chagrin dans son cœur et en même temps, il ne connaissait pas suffisamment le jeune homme pour en être aussi ébranlé...

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