Un partout

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Faï se réveilla dans un cri de terreur. Elle roula hors du matelas sur lequel elle dormait. Elle sentait les bribes noires et squelettiques de son cauchemar s’accrocher à ses chevilles, la retenir par les poignets. Paniquée, en larmes, elle rampa vite, loin. Fuir, sans réfléchir, les sorts et sorciers qui tuaient sa mère et qui, d’un coup, s’en prenaient à elle.

La chaîne la ramena à la réalité : elle se tendit brusquement à deux mètres de sa couche. L’enfant, brisée dans son élan, s’effondra face contre terre. Ils lui avaient refermé un collier autour du cou, avec à peine autant de considération qu’à un chien, et, ce soir-là, l’avaient attachée à un mur. Elle se mit à sangloter, à geindre dans les aiguës.

« Merlin… mais elle va se la fermer cette petite conne… » grogna une voix endormie, toute proche.

Faï tressaillit et fournit un effort surhumain pour ne plus renifler. Elle avait trop peur qu’ils la maltraitent de nouveau, avec leur magie.

Elle se recroquevilla contre le mur et enfouis sa tête entre ses genoux. Les cinq sorciers et sorcières se partageaient le dortoir. Au fil du temps, l’enfant avait conclu qu’ils devaient former une sorte de groupe d’intervention. Une cellule, comme ils le disaient. Une cellule de l’Ordre. Elle n’avait pas vraiment compris ce que cela signifiait.

Ils voyageaient beaucoup et ne restaient jamais plus de trois jours au même endroit. Elle avait cessé de compter les nuits passées loin de chez elle à vingt. Ils la trimbalaient partout avec eux, comme ces paquetages qu’ils déplaçaient d’un lieu à l’autre.

Fortification, ruines, grotte, crypte, simple camp de tentes dressées… Le dortoir qui les accueillait ce soir était sans conteste l’endroit le plus confortable dans lequel ils avaient échoué.

Demain, ils le quitteraient, sans doute en se transférant vers une nouvelle planque. Faï haïssait les transferts. Au mieux, ils lui coupaient les jambes.

La première fois, c’était la femme, Etzel, qui s’était approchée, l’avait attirée contre elle et les avait déplacés d’une façon que l’enfant n’arrivait pas à comprendre. La sensation, désagréable à ne pouvoir être décrite, l’avait fait vomir jusqu’à la bile. C’était parce qu’elle était humaine, avaient-ils supposé.

La magie, que la fillette trouvait si envoûtante et si belle lors des soirées passées à discuter avec l’Once, s’avérait n’être qu’une source de malheur et de souffrance.

« Quelqu’un la fasse taire ou je vous jure que je m’en occupe ! » gronda la voix grave de l’un des sorciers.

Faï sursauta. Elle s’était remise à pleurer sans s’en rendre compte.

« J’ai peur, osa-t-elle sangloter à mi-voix, en réponse. Et j’ai froid. »

La petite couverture derrière laquelle elle s’abritait ne suffisait pas à la protéger du froid ambiant. Pourtant, c’était encore l’été.

« Ok, elle l’aura cherché », claqua l’homme avec mauvaise humeur.

Une lumière blanche sortit de sa main et éclaira la salle, faisant trembler les ombres des lits superposés. Le bois grinça alors qu’il descendait du sien.

« Laisse. Je m’en occupe », souffla un autre.

Grimm, devina Faï. En un mois, elle avait appris à identifier leurs voix. Elle se colla contre son mur alors qu’une silhouette sombre se dirigeait vers elle.

« Je vais me taire ! Je vais me taire ! gémit-elle en pleurant de plus belle.

— Amène-la à côté… ordonna la voix somnolente de la femme. Arrêtez d’abuser les gars et dormez. J’ai besoin que vous soyez dispo demain. »

Grimm s’accroupit au niveau de l’enfant et la détacha. Il la releva en douceur, puis l’entraîna avec lui, à côté. La pièce pouvait s’apparenter à une cuisine. L’homme abandonna Faï près de la porte. Il ménagea un peu de lumière du bout de ses doigts, puis, penché sur un petit poêle en fonte, alluma un feu. La fillette reniflait toujours, les bras croisés et le regard fixé au le sol.

« Viens t’asseoir là », ordonna le sorcier à mi-voix.

Il fit apparaître une chaise, à côté de l’insert. L’enfant s’exécuta. Sa peau se hérissa d’un frisson de plaisir à sentir la douce chaleur réchauffer son petit corps. Grimm lui passa une couverture en laine sur les épaules. Elle se calmait, progressivement.

« Ça va mieux, gamine ? » demanda-t-il avec un sourire.

Faï hocha la tête sans rien répondre. Elle l’observa à la dérobée alors qu’il s’écartait d’elle et commençait à fouiller la pièce. Son attention se focalisa sur le bras du sorcier. Non organique du coude au bout des doigts, elle voyait ses rouages jouer à chacun de ses mouvements. Comme une machine. Grimm fourragea dans un tiroir dont il sortit une casserole. Il s’activa quelques minutes à la lueur tremblante du foyer, puis revint vers la fillette et lui tendit une pomme de terre encore fumante. Faï n’hésita pas longtemps. Elle avait trop faim.

Le sorcier l’observa se restaurer avec attention. Il s’était levé parce que la petite lui inspirait pitié. Elle avait des cernes énormes, les cheveux gras, l’air de quelqu’un qui va se casser au prochain pas. Voir cette expression chez un être si jeune l’affligeait, même chez une humaine.

La cellule ne l’avait récupérée que depuis une trentaine de jours, mais la pauvre gosse s’était amaigrie. Ses vêtements puaient et ses yeux ressortaient comme deux billes pâles trop grandes pour son visage.

Grimm en avait longuement parlé avec Etzel et ils avaient conclu que, s’ils voulaient la maintenir en vie jusqu’à ce qu’ils n’aient plus besoin d’elle, il fallait lui prêter plus d’attention. Un détail du plan qu’ils n’avaient pas prévu. En se levant cette nuit, il avait décidé d’assumer cette charge supplémentaire.

« Tu es un robot ?

— Hein ? »

Faï venait de terminer la pomme de terre, dévorée en quelques bouchées. Elle répéta, en désignant du doigt le l’épaule de l’homme :

« T’es un robot ? »

Grimm baissa les yeux vers son bras. Il s’était levé à la va-vite et n’avait pas pris le temps de dissimuler sa prothèse sous une chemise et un gant. Il grogna et, sans se donner la peine de répondre, tendit sa poigne d’acier jusque dans la cuisinière pour sortir une autre pomme de terre du feu.

L’enfant entama cette nouvelle portion beaucoup plus lentement. Grimm croisa les bras et s’appuya contre le mur en face d’elle. Il chassa d’un sortilège des traces de suie qui ternissaient le bout des doigts de son mécartifice.

Quand l’Once avait arraché son membre, Adélaïde lui avait greffé cette prothèse. Il avait d’abord refusé, mais la médic’ avait tant insisté qu’il avait fini par céder. Aujourd’hui, il avait récupéré toute sa mobilité, mais on le prenait au mieux pour un mécartificié, au pire pour un webster.

À cause de cet artefact, le comportement des autres à son égard avait changé. Il ne supportait pas leurs regards lestés de dégoût, de suspicion et de mépris. Au sein de l’Ordre, auquel il était pourtant dévoué, seuls certains de ses plus proches amis le traitaient encore comme un sorcier. Etzel, qui dirigeait cette cellule, était de ceux-là. Elle le préservait, tant qu’elle pouvait, de la violence des Vestes Grises, mais elle ne le protégeait pas de leur jugement.

À présent, il devait sans cesse justifier sa qualité d’enchanteur. Il effectuait souvent le double du travail, il se montrait le plus réactif, le plus prompt à accepter une mission. Il s’avérait plus efficace, aussi, car si son bras monopolisait continuellement une partie de sa magie, il ne pouvait nier son utilité.

Catalyseur, concentrateur, accélérateur, armes, charmes-outils, sortilèges en sommeil… son méca, plus qu’une simple prothèse, était truffé d’une multitude de gadgets et de fonctionnalités. Son corps peinait encore à s’adapter, mais, d’ici quelques mois, il produirait sans mal la magie nécessaire à la bonne marche de tous les modules. Il pourrait alors utiliser l’engin à son plein potentiel. Si le dispositif n’avait pas été aussi socialement difficile à porter, Grimm lui aurait probablement trouvé bien des qualités.

Pourtant, lorsqu’il regardait la fine mécanique, ses fluides irisés courir sous les tiges d’acier, ses roues crantées tourner avec leurs cliquetis de métal… lorsqu’il regardait son bras, il ne voyait qu’une malédiction.

La petite humaine avait cessé de manger et avait abandonné la deuxième pomme de terre entamée à même le sol. Elle le dévisageait avec une expression que le sorcier eut du mal à déchiffrer. En tous cas, la terreur l’avait quittée, lorsqu’elle se releva de sa chaise. Elle marcha jusqu’à lui, s’arrêta à moins d’un mètre, les mains posées sur ses hanches, puis déclara avec aplomb :

« Robot, tu dois m’aider, c’est la règle. Ici je suis en danger et tu n’as pas le droit de me laisser en danger. Il faut que je parte d’ici.

— Que tu partes d’ici, répéta le sorcier, pris au dépourvu.

— C’est la règle. Un robot ne doit pas nuire à un humain. Un robot doit protéger les humains. Je suis en danger ici. Aller… »

L’enfant attrapa la main de Grimm sans la moindre hésitation. L’homme eut un vif mouvement de recul et la repoussa avec violence. Personne n’osait toucher le métal de sa prothèse tant le dégoût provoqué ne serait-ce que par la vue du dispositif était ancré dans les mentalités sorcières. Faï s’écarta, perdit l’équilibre et tomba sur les fesses avec un petit cri de surprise.

« Je ne suis pas un robot, articula le mécamage.

— Mais c’est en métal ça ! C’est une machine ! se récria l’enfant en désignant son bras.

— Mais celui-là est normal ! » répliqua Grimm en levant l’autre main.

L’humaine grimaça, avala sa salive et se releva. Les bras croisés sur son ventre, elle fit un effort pour ne pas se remettre à pleurer et demanda à mi-voix :

« T’es juste un sorcier, comme les autres, alors ? »

Grimm sourit malgré lui. Juste un sorcier comme les autres. La phrase, même prononcée par une demi-portion d’humaine, gonfla sa poitrine de joie.

« Je suis un sorcier, oui. »

Faï détourna le regard en poussant un soupir dépité.

« Il va falloir retourner dormir. »

L’enfant sursauta et demanda d’une toute petite voix :

« Est-ce que je peux rester près du feu ? Il fait froid. C’est l’été, mais il fait froid.

— On est en altitude, c’est normal, répondit Grimm distraitement avant de soupirer et d’ajouter : ne bouge pas, je vais chercher ton matelas. »

Dès qu’il sortit de la cuisine, Faï traîna sa chaise jusqu’au mur, pour accéder à la petite fenêtre haute. La lucarne constituait la seule ouverture vers l’extérieur et n’était pas verrouillée. L’enfant étouffa un cri de joie. Elle passa la tête, puis le torse, dehors. L’air, sec et froid, transformait sa respiration rapide en volute de buée.

La bâtisse en plain-pied s’avéra basse et le sol proche. La nuit tissait un paysage de montagnes bleues, blanches et noires.

Faï se hissa sur le rebord, laissa pendre ses jambes dans le vide, estima les quelques mètres qui la séparaient de la liberté pour mieux se réceptionner… et fut brutalement ramenée vers l’intérieur par un sortilège. Grimm, sur le pas de la porte, la main de son mécartifice pointé sur elle, la regarda tomber et heurter le dallage en tomette. L’humaine resta immobile pendant une ou deux secondes, puis se redressa, à genoux, en se frottant l’épaule. Elle lui jeta un regard sombre à travers ses larmes, détourna la tête et attendit la suite, certaine de se prendre de la magie qui faisait mal en punition.

Le sorcier, sans rien dire, s’approcha d’elle, saisit son bras et la traîna jusqu’au mur attenant au poële. Il laissa tomber le petit matelas qui volait à sa suite, colla la gamine dessus, puis traça un large demi-cercle au sol, du bout de son doigt mécanique.

« Si tu passes cette ligne, je le saurais, précisa-t-il, sans violence. Tiens-toi tranquille et dors, tu en as besoin. Et moi aussi. »

Faï ne lui répondit pas, se contentant de refermer sa couverture autour d’elle en le fixant, pleine de colère. Il l’observa quelques instants avant de hausser les épaules et de se diriger vers la porte. Il n’avait pas tourné le dos qu’il sentit son sortilège frémir. La petite avait passé la ligne et se tenait au milieu de la salle, les bras croisés, avec un air de défi.

« Je veux pas dormir. Je fais des cauchemars. Reste avec moi, ordonna-t-elle avant de préciser, même si c’était évident : Je m’en fous de ta ligne par terre. Elle me fait rien. Je la passerais tout le temps, comme ça tu pourras pas dormir.

— Comme tu voudras gamine. »

En deux petits mouvements, Faï se retrouva à nouveau enchaînée au mur et le sorcier la laissa là pour retourner se coucher. Au moins, elle reposerait au chaud pour la nuit et personne ne serait dérangé par ses pleurs. Demain, il ferait en sorte qu’elle puisse se laver… Il était plus que temps de retrouver un peu de décence dans la façon dont ils la traitaient.

*

Xâvier traversa la salle à manger, attrapa une pomme et rejoignit le salon. Il y trouva Mattéo et Naola. Son ami lisait le journal et la jeune femme, les deux jambes passées sur l’accoudoir de son fauteuil, prenait des notes sur un mnémotique en lévitation.

Le borgne s’installa en face d’eux et croqua dans son fruit en fermant l’œil dans un soupir.

« Un problème, mec ? demanda Mattéo.

— Ouais. Pierre s’est fait violer.

— Quoi ? »

Naola se redressa d’un coup et grimaça.

« Son frère a laissé faire ça ?

— Non. Son frère n’a pas laissé faire ça. »

Il mordit à nouveau dans sa pomme, puis expliqua :

« J’ai eu du mal à le faire parler. Je voulais qu’il me montre son charme, comme que c’est un héliade et… je crois que je n’ai jamais vu une telle peur dans les yeux d’un gamin. »

Le sorcier grimaça et posa sa pomme. En fait, il n’avait pas si faim.

« Il s’est fait violer en prison. Par une nana et un gars. Ils l’ont obligé à utiliser son charme. Voilà. »

Naola avait visiblement blanchi. Elle garda un moment les yeux fixés sur le fruit entamé, sans savoir quoi répondre. Un long silence suivit la déclaration de Xâvier qui répéta :

« Voilà, voilà…

— La première ou la dernière fois qu’il y a été ? demanda Mattéo, très bas.

— La dernière fois. Avant de se barrer et de croiser les vampires qui lui sont tombés dessus à cause de son charme. Ça n’a pas aidé non plus. Vas-y pour lui expliquer que, non, c’est pas parce qu’il relâche son charme avec moi, que je vais lui sauter dessus, que ça soit pour le bouffer ou pour…

— On a compris, Xâv, l’interrompit Mattéo.

— Ouais…

— Alix est au courant ? » articula Naola d’une voix blanche.

Elle fronça les sourcils et se massa les tempes, tendue.

« Attends, pourquoi tu voulais absolument qu’il fasse… ça ?

— Absolument absolument… J’aurais aimé voir ce que ça faisait, hein. Il paraît qu’on ne peut pas y résister. Pierre est plutôt mignon, je me demandais si on pouvait s’amuser à deux. Et la réponse est clairement : non, on peut pas. Pas pour l’instant.

— Mais t’es gay ? » souffla la sorcière en écarquillant les yeux.

Elle avait toujours cru que les partenaires plus ou moins multiples et interchangeables du borgne s’accordaient au féminin.

« Le genre et le sexe de mon ou mes plans cul m’importent peu.

— Bordel, Xâvier, Pierre a 17 ans, s’indigna Mattéo.

— Vous pouvez me dire l’intérêt de parler de ça ? Ce gars s’est fait violer et on parle de ce que j’aurai peut-être éventuellement pu envisager si d’aventure ça lui avait plu qu’on projette de coucher ensemble ? Vous rigolez ? Bien sûr que j’arrête de le draguer, je suis pas con ! Quant à savoir si Alix est au courant, Nao, j’en sais rien.

— Il faut la prévenir, conclut la jeune femme.

— Elle ne peut voir Pierre que sous couverture, il n’y a pas grand-chose à faire, fit Xâvier.

— Il t’a donné un nom ? Une description ? demanda-t-elle sans tenir compte de sa remarque. Ils étaient du personnel pénitentiaire ou c’était des fédéraux ?

— Il ne m’a rien dit. Et je crois que s’il ne me l’a pas dit en une heure de discussion…

— Alix est dans son bureau ? coupa Naola.

— Maître Alix est dans son bureau, confirma Honkey sans sortir du coin sombre dans lequel il disparaissait toujours.

— Merci. »

Trois minutes plus tard, la jeune femme passait la porte des appartements de la Magistre qui rangea d’un geste ses mnémotiques de travail.

« Bonsoir ! lança-t-elle avec un large sourire. Merci de venir me tirer du boulot. Que puis-je pour toi ?

— Pour moi, rien. Et ne me remercie pas trop vite. »

Naola se laissa tomber sur la chaise qui apparut en face du bureau, poussa un soupir, puis dévisagea son interlocutrice d’un air sombre.

« Ok. Bon. Y’a pas de bonne manière de le dire donc je te le fais à la façon de Xâvier. Pierre s’est fait violer en prison fédérale. »

Alix resta parfaitement immobile à cette annonce, plusieurs longues secondes. Elle ferma les yeux et passa sa main dans ses cheveux.

« Merde, lâcha-t-elle. Au moins ça explique sa fuite… Il a osé t’en parler ? De lui-même ?

— À moi, non, mais à Xâv’ oui.

— Est-ce que tu en sais un peu plus ? Tu as un nom ? Une description ? »

La magistre avait sorti une simple feuille de papier de son bureau et commençait déjà à prendre des notes du bout d’un stylo jaunâtre usé par le temps.

« Non. Xâv’ n’avait pas plus de détail, expliqua la jeune femme. Il faudrait… interroger… Pierre pour en savoir plus, mais… »

Naola croisa les bras et détourna les yeux. C’était un rôle qu’elle n’avait aucune envie d’endosser.

« Je peux vendre l’info à Mordret, proposa-t-elle. Est-ce qu’une rumeur sera suffisante pour qu’Amalia puisse…

— Est-ce qu’il a utilisé son charme ? coupa l’autre.

— Toujours d’après Xâv’, oui », répondit Naola après un court silence.

Alix suspendit son stylo quelques secondes, puis le reposa sèchement et se laissa aller au fond de son siège, les bras croisés, les poings serrés, le visage fermé.

« Même si l’on savait de qui il s’agit, articula-t-elle, il n’y a rien à faire. Pierre est héliade. S’il déclenche son charme, il est considéré comme consentant et responsable.

— Il n’est même pas majeur ! » s’indigna Naola.

Alix passa deux doigts sur l’arête de son nez et ferma les yeux. La jeune femme déglutit. Il émanait de la magistre une fureur sourde qui hérissa sa peau d’un désagréable frisson. L’impression l’estompa aussi rapidement qu’elle était venue. La sorcière, livide, maîtrisait sa rage.

« Je ne peux officiellement rien faire, avoua-t-elle froidement, et tu ne vas rien faire non plus.

— Il doit bien y avoir un moyen, gronda Naola, en haussant le ton. Officieusement. N’importe comment…

— Tu ne vas rien faire non plus », articula lentement Alix.

La jeune femme se figea. La magistre se pencha en avant, les yeux droits dans les siens.

« L’Ordre ne doit pas être mis au courant, insista-t-elle. Ne leur donnons pas la preuve que la Fédération est aussi pourrie qu’eux. »

Naola resta la bouche entre-ouverte plusieurs secondes, puis elle avala sa salive et détourna le regard.

« On ne peut pas simplement fermer les yeux, gronda-t-elle à mi-voix. Si c’est arrivé à ce gamin, c’est probablement arrivé à d’autres ! T’es magistre, non ? Ordonne une enquête !

— Sur quelle supposition ? Le carcéral est hors de ma juridiction. Il reste sagement entre les mains du Magistère du président Du Château De Monségur, à égale distance de la présidente Perm et du président Zerflingen. Je ne peux rien faire sans risquer ma couverture. »

Un long silence suivit la déclaration de l’Once. Naola, la tête basse, se passa la main sur le visage, puis se leva. Sa chaise racla le sol, assourdissante.

« Je te laisse, souffla-t-elle d’une voix faible. Tu as du travail. »

Alix serra les dents.

« Ce n’est pas que je ne veux pas agir, Naola, articula-t-elle sèchement.

— Je sais, répondit la jeune femme avec un geste las. J’espérais, c’est tout.

— Je suis désolée, ça attendra la chute de Fillip. »

***


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