Le cadavre gisait là, sa tête reposant dans l’assiette qui lui avait été fatale. Le repas avait été organisé par Sophie. Elle fêtait ses 30 ans et tous ses amis avaient été conviés. La table avait été joliment décorée comme elle aimait le faire à chaque occasion. Des bougies étaient encore allumées et projetaient des ombres mystiques sur la scène du crime. Les policiers s’affairaient autour de la table, relevant minutieusement tous les indices qu’ils pouvaient trouver. Le cadavre n’avait pas encore été touché. Il restait là, seule preuve qu’un drame venait de se dérouler. Les convives étaient rassemblés dans le salon, en attente d’un interrogatoire, en état de choc. C’était mieux ainsi, au moins, ils parleraient sans aucune difficulté.

Sarah faisait le métier d’inspecteur depuis plusieurs années et elle était reconnue comme l’une des meilleures. Elle observait attentivement la scène comme les suspects. Le chewing-gum qu’elle mâchait frénétiquement, l’aidait à tenir une certaine prestance. En réalité, elle n’en avait pas besoin. A la brigade, tout le monde la respectait et lui montrait une grande déférence. Elle avait un taux de clôture des enquêtes clairement impressionnant. Ce soir, elle n’aurait pas dû être de service. Mais le grand Thibaut était malade et elle avait dû le remplacer au pied levé. Elle avait accepté sans hésitation. Son sens du devoir était toujours plus fort. Sa mère, qui organisait un repas familial, avait été déçue. Sarah le savait bien, mais son job passait avant tous le reste.

L’équipe Medico légale arriva et plaça le cadavre dans le sac noir, sur une civière, prêt à partir. Le médecin lui fit part de ses premières observations. Il confirma les siennes. Il y avait bien eu empoisonnement. Le doute n’était plus permis. Il y avait bien eu meurtre et l’ensemble des convives devenaient dès lors des suspects.

Elle adorait ces situations. Elle avait hâte d’entrer en scène. Et comme dans chacune de ses enquêtes, elle ne souhaitait que trouver toutes les ramifications entre les gens et déterminer qui était le coupable. C’était comme un jeu pour elle.

D’abord, il fallait qu’elle en donne les règles à l’ensemble des suspects regroupés dans le salon.

Lorsqu’elle pénétra dans la petite pièce, l’ambiance était lourde. Pas un mot, les souffles étaient comme retenus. Neuf paires d’yeux étaient braqués sur elle. Elle prit un court instant pour les observer un à un. Sophie, l’hôtesse de la soirée, était prostrée sur le bord du canapé, les doigts dans la bouche à ronger ses faux ongles. Son regard était inquiet, nerveux. D’autres paraissaient plus détendus, plus sereins. Sarah se méfiait tout particulièrement des personnes qui restaient stoïques et maître de leurs émotions. Elle en repéra deux dans la pièce.

Finalement, elle prit la parole d’une voix ferme et forte. Elle confirma la mort par empoissonnement.

Les regards se cherchèrent les uns, les autres. Certains étaient fuyants et n’osaient pas se poser sur autre chose qu’un objet bien souvent invisible.

Sarah voyait tout ça et elle sentait, elle sentait le trouble, les peurs. Elle le savait, il fallait être attentif au moindre détail. Comme la grosse dame, la mère de l’hôtesse de la soirée, qui tournait sa grosse bague autour de son gros doigt boudiné qui malgré son calme apparent, montrait toute son angoisse dans ce simple geste.

Sarah savait déjà comment elle allait mener son enquête et les interrogatoires. Elle leur annonça d’ailleurs leur qualité de suspect dans cette affaire et qu’ils devaient se tenir disponible pour un 1er interrogatoire dès le lendemain. Pour ce soir, on prendrait uniquement leur déposition de façon brève.

L’enquêtrice savait ce qu’elle devait faire. Sa maîtrise des interrogatoires ne laissait aucuns doutes. Elle avait l’habitude efficace de poser les mêmes questions à tous les suspects. Cela lui permettait de repérer les incohérences.

Ils avaient tous répondu présent et Sarah n’eut plus qu’à dérouler son scénario.

Tous les interrogatoires seraient enregistrés. Ainsi, elle pourra les écouter de nouveau, un à un, en prenant des notes.